En effet, s’il est prévu un maintien des mesures concernant les enfants, ce qui paraît a minima indispensable, il n’est pas clairement fait mention des conséquences de cette réécriture sur les mesures concernant les principaux acteurs du divorce, les époux.
Or, occulter les mesures provisoires entre époux est une erreur d’analyse centrale, étant donné que ce sont elles qui permettent une bonne transition patrimoniale et financière des conjoints.
Pour pallier cette incertitude il a été précisé qu’une réécriture des articles 251 à 254 du Code civil permettra à « des mesures provisoires éventuellement nécessaires à l’organisation de la vie des époux et des enfants pendant la procédure d’être prises à la suite d’une audience si au moins une des parties le demande dans le cadre de la mise en état. »
À l’occasion de cette réforme, il est important de revenir sur le régime actuellement applicable, notamment sur l’imbrication de la procédure de divorce avec celle de la liquidation du régime matrimonial, et comment ces procédures nécessiteront par le notaire liquidateur plusieurs niveaux de lectures.
Concernant ces deux procédures, il est également fondamental de rappeler qu’à compter du 29 janvier 2019 va entrer en vigueur le Règlement (UE) n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 dit « règlement régime matrimoniaux » (v. Dossier : Règlement « régimes matrimoniaux », AJ Fam. n°12, 2018, p. 643).
Ce règlement va introduire de nouvelles données qui vont venir s’ajouter au cahier des charges, déjà conséquent, du notaire liquidateur.
I. Sur la procédure de divorce
Quand le divorce n’est pas par consentement mutuel, c’est-à-dire quand les époux ne sont pas d’accord à la fois sur le principe du divorce et ses conséquences, les parties devront obligatoirement s’orienter vers une procédure judiciaire.
S’il existe différents types de divorces judiciaires, trois au total, leurs conséquences restent néanmoins les mêmes : le prononcé du divorce et l’aménagement des règles qui en découlent.
En pratique, une procédure en divorce débute par l’introduction de l’instance par l’un des deux époux sous forme de requête devant le Juge aux Affaires Familiales (JAF) près le Tribunal de Grande Instance compétent (TGI) [3].
La requête appelée « requête 251 », en référence à l’article du Code civil dont elle tire sa source [4], forme une demande devant le JAF sans indiquer les motifs de la rupture.
Cette requête va ouvrir la phase qui a vocation à disparaître, celle de la conciliation. C’est au cours de cette phase que les époux vont être conjointement convoqués par le juge conciliateur.
Cette phase peut déboucher sur plusieurs voies mais majoritairement la conciliation échoue et le juge rend une Ordonnance de Non Conciliation (ONC) qui permet aux époux d’assigner en divorce (l’époux demandeur à la requête ayant une primauté de 3 mois pour assigner [5]).
Cette ONC est très importante au niveau liquidatif car va emporter plusieurs conséquences :
- La dissolution de la communauté pour les époux soumis à un régime matrimonial d’essence communautaire ;
- Le début des mesures provisoires entre époux.
II. La dissolution de la communauté
L’article 1441 du Code civil prévoit que la communauté se dissout :
« par la mort de l’un des époux ;
par l’absence déclarée ;
par le divorce ;
par la séparation de corps ;
par la séparation de biens ;
par le changement du régime matrimonial. »
Dans le cadre d’un divorce contentieux, l’article 262-1 du Code civil prévoit que : « La convention ou le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens : (…) lorsqu’il est prononcé pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute, à la date de l’ordonnance de non-conciliation ».
C’est donc à la date de l’ONC que la communauté entre époux s’éteint et laisse place à une nouvelle phase : l’indivision post-communautaire (sauf cas de l’article 262-2 du Code civil).
Cette indivision devra, aux termes de la liquidation du régime matrimonial, être aussi liquidée. La liquidation devra prendre en compte au sur-plus l’impact des mesures provisoires entre époux qui vont venir se superposer aux règles de l’indivision post-communautaire.
Attention à ne pas confondre, comme c’est sou-vent le cas, la date de la dissolution de la communauté qui fixe la consistance de celle-ci et la date de jouissance divise qui détermine la date à laquelle on évalue les biens dépendants de la masse à partager (souvent la date la plus proche du partage [6]).
III. Les mesures provisoires entre époux
Les mesures provisoires ont pour vocation de régir les rapports familiaux jusqu’au prononcé définitif du divorce.
Le temps judiciaire entre l’ONC et le prononcé définitif du divorce peut parfois être de plusieurs années.
Il est donc nécessaire de régir ce laps de temps grâce à des règles prédéfinies par le juge conciliateur aux fins d’éluder tout contentieux supplémentaire.
Dans le cas de notre propos, seules vont nous intéresser les mesures provisoires organisant les rapports patrimoniaux et financiers entre époux (v. articles 254 et suivants du Code civil).
L’article 255 du Code civil prévoit notamment que le juge peut dans l’ONC qu’il rend :
« 3° Statuer sur les modalités de la résidence séparée des époux ;
4° Attribuer à l’un d’eux la jouissance du loge-ment et du mobilier du ménage ou partager entre eux cette jouissance, en précisant son caractère gratuit ou non et, le cas échéant, en constatant l’accord des époux sur le montant d’une indemni-té d’occupation ;
5° Ordonner la remise des vêtements et objets personnels ;
6° Fixer la pension alimentaire et la provision pour frais d’instance que l’un des époux devra verser à son conjoint, désigner celui ou ceux des époux qui devront assurer le règlement provisoire de tout ou partie des dettes ;
7° Accorder à l’un des époux des provisions à valoir sur ses droits dans la liquidation du régime matrimonial si la situation le rend nécessaire ;
8° Statuer sur l’attribution de la jouissance ou de la gestion des biens communs ou indivis autres que ceux visés au 4°, sous réserve des droits de chacun des époux dans la liquidation du régime matrimonial ».
En tout état de cause, le notaire liquidateur devra toujours demander copie de l’ONC pour déterminer les droits effectifs des époux à l’issue du processus liquidatif.
En effet, il est tout à faire possible que l’un des époux se voit attribuer le logement de la famille à titre onéreux, à charge pour lui de rembourser les échéances du prêt en cours, ou à charge pour lui de payer une indemnité d’occupation (v. Cass. 2e civ. , 6 juin 2002, n° 00-15.232. JurisData n° 2002-014570).
Dans cette hypothèse, la liquidation de l’indivision post-communautaire devra prendre en compte toutes ces données financières.
Également, il est possible qu’un époux se voit attribuer, lors de l’ONC, la jouissance de la résidence secondaire indivise à charge pour lui de s’acquitter du prêt y afférent (v. article 255.8° du Code civil).
Dans cette hypothèse, il est de jurisprudence constante que la jouissance d’un bien, qui n’est pas le logement de la famille, ne peut se faire qu’à charge de compte.
L’époux ayant, au jour de la liquidation partage remboursé les échéances du prêt, devra alors porter sa créance contre l’indivision lors des opérations liquidatives. À cette créance l’autre époux pourra demander une compensation avec l’indemnité d’occupation due pour la jouissance privative du bien indivis (v. article 815-9 du Code civil).
A savoir : Il a récemment été jugé que la taxe d’habitation est une dépense de conservation qui doit être supportée par tous les indivisaires et non unique-ment par l’indivisaire qui jouit privativement du biens indivis (Cass. 1ère civ., 5 décembre 2018, n°17-31.189).
IV. Conclusion
Il revient au notaire en charge des opérations liquidatives de procéder à la balance des différents comptes en présence pour liquider à la fois l’indivision qu’une partie de la doctrine appelle successivement :
L’indivision pré-communautaire ;
La communauté à proprement dite ;
L’indivision post-communautaire.
La réforme imminente de cette procédure va irrémédiablement modifier le processus liquida-tif. La simplification voulue par le législateur ne va-t-elle pas compliquer la procédure et augmenter le nombre contentieux ? Il faudra attendre les premiers dossiers pour s’en rendre compte.
Il n’en demeure pas moins que le droit patrimonial de la famille est un ensemble de règles en cohésion et interdépendantes : en modifier une, entraîne un « effet domino » non négligeable.
Doctrin’Actu
Pôle Civil & Patrimoine
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Notes :
[1] PLPRJ 2018-2022, AN, service de la séance, division des lois, 23 nov. 2018, art. 12.
[2] Nicole BELLOUBET - Twitter le 22 novembre 2018.
[3] Article 1070 du Code de procédure civile.
[4] Article 251 du Code civil. Également Article 251 du Code civil suivant la réforme : « Un époux peut introduire l’instance ou former une demande reconventionnelle pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute.
Un époux peut également introduire l’instance en divorce et formuler des prétentions relatives aux mesures provisoires sans préciser le cas sur lequel il fonde sa demande. Dans cette hypothèse, ce fondement doit être exposé dans les premières conclusions au fond. »
[5] Article 1113 du Code de procédure civile.
[6] Articles 829 et suivants du Code civil.