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[ENTRETIEN] « Le monde rural français est à la croisée des chemins » avec Bruno Keller – président de la fédération de la propriété privée rurale

[ENTRETIEN] « Le monde rural français est à la croisée des chemins » avec Bruno Keller – président de la fédération de la propriété privée rurale

La propriété foncière rurale se caractérise par son importante valeur économique. À court terme, de nombreuses questions entourant la transmission et les conditions d’exploitation du foncier rural vont se poser avec acuité. Le président de la Fédération de la propriété privée rurale, Bruno Keller, a accepté de nous présenter les futurs enjeux de ce monde qui est loin d’être statique. Il a aussi évoqué son souhait de renforcer ses échanges avec les notaires, spécialistes du droit rural.

Pouvez-vous présenter brièvement les missions de votre fédération ?

Bruno Keller : La Fédération de la propriété privée rurale est la seule organisation politiquement et financièrement indépendante qui défend les intérêts des propriétaires privés en France et qui promeut la propriété privée rurale sous tous ses aspects. Sur le plan politique, et c’est un point très important pour nous, nous ne sommes affiliés à aucune organisation syndicale. Sur le plan financier, nous ne bénéficions d’aucune subvention de la part de l’État et nous vivons uniquement grâce aux cotisations de nos adhérents. Leur nombre approche actuellement les dix mille. Aujourd’hui, nous sommes présents dans soixante-dix départements, c’est-à-dire que nous couvrons la quasi-totalité de la ruralité française.

Il faut avoir en tête que la propriété privée rurale représente une surface de 28 millions d’hectares.

Si vous prenez un prix moyen, qui est le prix moyen officiel de l’hectare en France de 6 000 euros, cela signifie que sa valeur économique atteint 168 milliards d’euros, ce qui la rend tout à fait comparable aux plus grandes capitalisations boursières françaises. Autrement dit, notre message est de montrer que la ruralité, la propriété privée rurale, est un acteur économique très important au service de l’économie française dans sa globalité.

Votre congrès annuel s’est tenu en mai dernier, quelles en ont été les principales conclusions ?

B. K. : Ce congrès était le premier congrès organisé par la Fédération depuis très longtemps. À cette occasion, nous avons réuni plus de cinq cents personnes à Paris, ce qui a été pour la Fédération une très belle réussite.

Nous avons organisé plusieurs tables rondes où sont intervenus notamment, avocats et notaires pour évoquer l’actualité du foncier.

Deux problématiques ont été partagées tant par les notaires que par les avocats présents. Quelles seraient les possibilités de faire évoluer le statut du fermage ? Comment éviter un désintérêt pour la détention du foncier dont la conséquence inévitable est une vente de ce foncier par les détenteurs eux-mêmes ?

Ces remarques nous interpellent directement. Elles correspondent totalement à nos axes de travail pour les mois à venir.

Le foncier rural/agricole est un actif structurant de la société française. Quelles sont vos attentes principales vis-à-vis des pouvoirs publics ?

B. K. : D’ici à huit ans, environ 150 000 agriculteurs vont partir en retraite. Ils exploitent aujourd’hui en moyenne 60 hectares chacun. Cela représente à cette brève échéance une libération de foncier agricole de plus de 10 millions d’hectares. Les conditions dans lesquelles ces changements seront réalisés demain doivent être envisagées dès à présent.

Par ailleurs, certains propriétaires veulent se libérer des contraintes induites par le statut du fermage et donc ne plus louer leurs terres. La rentabilité du foncier agricole étant actuellement faible, pourquoi un propriétaire s’ennuierait-il à gérer un actif qui n’est plus liquide, sur lequel reposent beaucoup de contraintes, notamment administratives ? Comment faire pour que les propriétaires actuels de foncier agricole aient envie de le transmettre ? Comment faire pour que la jeune génération ait envie de conserver ce foncier ?

À l’ensemble de ces questions, on pourrait y rajouter celle relative à notre souveraineté nationale afin de faire en sorte que les investisseurs français aient envie d’acquérir du foncier rural et agricole sans oublier toutes les questions écologiques auxquelles nous sommes très attachés.

Vous voyez bien qu’au travers de ces questions apparaissent les priorités de notre syndicat.

En ce qui concerne l’évolution du statut du fermage, vous savez qu’il y a eu des propositions de loi qui ont été faites, notamment celle du député Jean Terlier [1] qui visait à redonner davantage de souplesse au secteur. La Fédération soutient bien entendu ce type de propositions.

Comme je l’indiquais précédemment, il faut aussi revoir les règles de transmission du foncier. Nous militons ainsi très fortement pour alléger et simplifier la transmission du patrimoine.

Aujourd’hui, la loi prévoit que lorsqu’un propriétaire transmet des biens agricoles soumis à location par un bail à long terme, le bénéficiaire est exonéré de 75 % de la valeur jusqu’à 600 000 € tout en s’engageant à conserver les biens pendant au moins dix ans. À la Fédération, nous souhaitons augmenter très significativement ce seuil de 600 000 € afin de faciliter les transmissions et de faire en sorte que la jeune génération puisse récupérer dans des conditions acceptables ce foncier.

Sur la transmission du foncier, il y a énormément de rapports qui sortent en ce moment. J’ai moi-même participé à de nombreuses commissions, y compris au ministère de l’Agriculture.
Tous les interlocuteurs ont été réceptifs aux enjeux que nous présentons et je m’en félicite.

Ce qui marque les esprits au sein des pouvoirs publics, c’est ce fameux chiffre de dix millions d’hectares qui devront changer de mains demain. Il fait un peu peur lorsqu’on le regarde en face. Ces dix millions d’hectares, représentent 40 % de la surface agricole française. C’est considérable et impactant pour les politiques publiques.

Donc oui, je pense qu’il y a aujourd’hui une réelle écoute. Mais notre priorité est de voir comment nos propositions seront déclinées sur le terrain dans le contexte politique que vous connaissez.

Nous avons des contacts réguliers avec des députés et des sénateurs pour faire en sorte que, dès que possible, ces questions-là reviennent au premier plan parce que c’est un enjeu économique, national, vraiment important.

Quelle est votre position sur les groupements fonciers agricoles ? Est-ce une réponse adaptée à la problématique actuelle du foncier rural ?

B. K.  : En fait, nous y sommes plutôt opposés. Pour nous, la meilleure solution, c’est qu’aujourd’hui, les détenteurs actuels du foncier le gardent le plus longtemps possible. En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si on prend l’exemple du fonds « Entrepreneur du vivant », celui-ci devait être doté d’un capital de 400 millions d’euros. Ce chiffre peut vous paraître significatif, mais il est loin très loin de l’enjeu des 10 millions d’hectares.

Donc oui, le groupement foncier agricole d’investissement (GFAI) peut être un instrument de la boite à outils, mais ce n’est en aucun cas la seule réponse aux enjeux.

Une autre solution qui avait aussi été évoquée, était le rachat par les exploitants de la terre qu’ils exploitent sous le statut du fermage. Là aussi, pourquoi pas s’ils en ont la possibilité ? Prenons l’exemple d’une ferme moyenne de 150 hectares dans le sud de la France avec un prix de 3 000 € de l’hectare, l’investissement de départ atteint 500 000 €. Vous voyez bien que n’importe quel nouvel agriculteur, avant même d’avoir acheté son outil d’exploitation, va devoir s’endetter à hauteur de 500 000 €. C’est tout simplement déraisonnable et économiquement non viable.

Je constate avec une certaine satisfaction que les organisations professionnelles agricoles sont en train d’évoluer sur ce sujet. Elles sont d’accord avec le fait que les jeunes agriculteurs ne doivent pas s’endetter pour acquérir le foncier parce que l’entreprise agricole ne peut pas être rentable dans ces conditions. Par ailleurs, plus de la moitié des nouveaux exploitants qui vont venir remplacer ceux qui partent à la retraite ne viendront pas du monde agricole. En plus de l’acquisition du foncier, ils devront investir dans leur outil de travail… Donc, il ne faut absolument pas aller dans le sens du surendettement.

Pour revenir sur les groupements fonciers agricoles, il s’agit d’une forme de financiarisation de l’agriculture, ce que nous réprouvons. Ce sont de gros institutionnels qui vont investir ou ouvrir le capital de ces groupements fonciers. Au-delà du fait que les GFAI ne répondront pas à la demande, aujourd’hui, nous cherchons à réconcilier l’agriculture française et les agriculteurs avec la société civile. Si demain, nous essayons de faire dialoguer un agriculteur avec des parts sociales, personnellement, je ne sais pas faire. En revanche, je sais faire dialoguer un agriculteur avec un détenteur personne physique de foncier.

Les notaires sont des acteurs importants du droit rural. Comment travaillez-vous avec le notariat ?

B. K.  : Pour répondre très sincèrement à votre question, nous nous sommes rapprochés du Conseil Supérieur du notariat (CSN) avec qui nous avons discuté. Je souhaite poursuivre ces échanges par des séances de travail avec le CSN.

Je suis un homme pragmatique. Et donc, peu importe le sens dans lequel ça se fait, mais le message que je veux faire passer, c’est que je suis bien sûr ouvert au développement des échanges avec la profession.

J’ai fait entrer au sein du conseil d’administration de la Fédération un notaire. Donc, c’est un signal clair que j’envoie à la profession. Nous représentons les quatre millions de propriétaires privés en France. Ce public très important mérite qu’effectivement, nous nous concertions. Nous devons essayer ensemble de trouver les meilleures solutions pour l’avenir du foncier rural.

Quels sont les sujets que vous souhaiteriez voir avancer avec la profession ?

B. K.  : Ces professionnels du droit voient passer toutes les opérations de succession de terres agricoles et donc de foncier en France.

J’ai déjà évoqué les questions entourant les successions et l’évolution du statut du fermage et des baux ruraux. Nous souhaitons promouvoir autant que possible le bail à long terme, d’une durée de 25 ans. Mais nous savons qu’il y a quelques réticences à ce sujet. Ces réticences amènent des remarques du type « un bail à long terme, cela doit être enregistré, il y a un certain formalisme à respecter, c’est compliqué, ça coûte cher, etc. ». Nous devons certainement réfléchir ensemble à simplifier le processus de mise en place des baux ruraux. Rien n’est plus important que la rédaction d’un bail avec un état des lieux à l’entrée et à la sortie. Ces dispositions ont pour but de limiter les mauvaises surprises pour le propriétaire à l’échéance du bail.


Notes :

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