Une campagne 2023 chaotique et des coûts explosifs
Le déploiement de GMBI a été marqué par de multiples écueils. La première campagne de recensement, lancée en 2023, a été plutôt désastreuse. Plus d’un million de contribuables ont été imposés à tort à la taxe d’habitation ou à la taxe sur les logements vacants, entraînant des dégrèvements massifs à hauteur de 1,3 milliard d’euros pour l’État. Cette erreur a représenté près de 34 % du produit des taxes concernées pour l’année 2023.
Plusieurs facteurs expliquent ce fiasco. Tout d’abord, la procédure de déclaration totalement dématérialisée, mal adaptée à une population souvent âgée et peu familière avec les outils numériques, a généré une incompréhension générale. De plus, des situations spécifiques n’ont pas été anticipées, comme celle des « multi-propriétaires », notamment les bailleurs sociaux, qui possèdent plusieurs centaines de biens.
Les conséquences financières ont été dévastatrices. Le coût du déploiement de GMBI a presque triplé par rapport à la prévision initiale, passant de 12,7 millions à 37,2 millions d’euros. Au total, en tenant compte des mesures d’urgence mises en place pour faire face à la crise, le coût global de l’opération a dépassé les 56 millions d’euros.
Une gouvernance défaillante et des choix techniques inadaptés
La Cour des comptes pointe également une gouvernance défaillante du projet. Son pilotage a été éclaté entre plusieurs entités, rendant le processus complexe et laborieux. La Direction générale des finances publiques (DGFIP) [4] a externalisé une grande partie des développements informatiques, ce qui a entraîné des coûts supplémentaires. Par ailleurs, les relations entre la DGFIP et la direction interministérielle du numérique (DINUM) [5] ont été jugées insatisfaisantes, ce qui a entraîné des retards et des erreurs techniques.
L’outil, mis en production en janvier 2023, n’était pas finalisé à temps. Des fonctionnalités essentielles étaient manquantes ou peu fiables, ce qui a compliqué l’utilisation du service, tant pour les agents de la DGFiP que pour les contribuables.
Des données à sécuriser pour garantir l’efficacité des politiques publiques
Malgré ces erreurs, la Cour des comptes reconnaît que GMBI pourrait, à terme, offrir des gains d’efficacité substantiels pour la gestion des biens immobiliers et des impôts associés. En particulier, l’outil devrait permettre de collecter des données fiables sur l’occupation des logements, ce qui est crucial pour la mise en œuvre de politiques publiques liées au logement, comme le chèque énergie ou la loi SRU [6].
Cependant, la suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales fragilise la fiabilité des données collectées par GMBI. En l’absence de cette taxe, il devient difficile d’établir des liens fiables entre un logement et son occupant, ce qui impacte la qualité des informations utilisées pour certaines politiques publiques du logement.
Recommandations de la Cour des comptes
Afin d’améliorer la situation, dans son rapport, la Cours des comptes a formulé plusieurs recommandations :
- désigner un directeur de projet transverse pour mieux piloter les projets informatiques d’envergure ;
- réduire rapidement le taux de dégrèvement des impôts, afin de limiter les pertes financières pour l’État ;
- améliorer la coopération entre la DGFiP, les autres administrations concernées et l’Insee, notamment pour sécuriser la collecte de données fiables sur le logement ;
- organiser dès 2025 la collecte des données relatives aux loyers dans le cadre de la réforme des valeurs locatives cadastrales.
Pour aller plus loin :
Notes :
[1] La Cour des comptes est une institution indépendante chargée de contrôler la gestion des finances publiques en France, en vérifiant la régularité, l’efficacité et la performance des dépenses de l’État et des organismes publics.
[2] Le rapport de la Cours des comptes sur l’application « Gérer mes biens immobiliers ».
[3] L’application « Gérer mes biens immobiliers » (GMBI) permet aux propriétaires de gérer et suivre la gestion de leurs biens immobiliers (locations, contrats, paiements, etc.) de manière simple et centralisée.
[4] La Direction générale des finances publiques (DGFIP) est un organisme public français chargé de la gestion des finances de l’État, incluant la collecte des impôts, la gestion de la comptabilité publique, et le contrôle fiscal.
[5] La Direction interministérielle du numérique (DINUM) est un organisme du gouvernement français chargé de coordonner la transformation numérique de l’État et de promouvoir l’innovation numérique dans les services publics.
[6] La loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU) impose aux communes de disposer d’au moins 25 % de logements sociaux dans leur parc immobilier pour favoriser la mixité sociale.
Christian-Olivier Kajabika
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)