Un contexte politique et économique troublé
Comme l’indique Thierry Millon, « Le contexte de flou politique et budgétaire, conjugué à une conjoncture économique morose, trouble la visibilité des affaires et invite à l’attentisme tant du côté des entreprises que des Français[...] ». [2]. Cette incertitude générale génère une stagnation économique qui touche particulièrement les entreprises les plus fragiles financièrement, surtout celles encore marquées par les séquelles de la crise du Covid. Les Prêts Garantis par l’État (PGE) ont permis à de nombreuses entreprises de tenir pendant la crise sanitaire, mais demeurent un point d’attention majeur. Selon Bpifrance, 38,4 milliards d’euros restaient à rembourser à la fin de l’année 2024 sur les 145 milliards accordés. L’essentiel, soit 37 milliards €, est porté par les TPE et PME. Néanmoins, seulement 4 % de ces entreprises craignent de ne pas pouvoir rembourser leur prêt.
Cependant, d’autres facteurs viennent compliquer cette situation. L’une des causes principales de l’augmentation des défaillances réside dans la reprise du recouvrement forcé des URSSAF. En 2024, parmi les redressements et liquidations judiciaires, la part des entreprises ayant fait l’objet d’une assignation URSSAF dans les six mois précédents a significativement augmenté, représentant 25 % des redressements et 17 % des liquidations au troisième trimestre. Bien que ces taux restent inférieurs à la situation pré-Covid, cet indicateur démontre la fragilité des structures les plus vulnérables.
Cette situation alimente les risques d’effet domino. En 2024, les défaillances ont impacté plus de 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et les dettes vis-à-vis des fournisseurs s’élèvent à 2 milliards d’euros. Les dettes fiscales et sociales ainsi que les créances bancaires ajoutent une pression supplémentaire, avec trois milliards d’euros d’impayés auprès des établissements de crédit. Thierry Millon met en garde : « La faible croissance attendue par l’exécutif pour 2025 (0,9 %) augure mal d’un reflux des défauts, en particulier chez les TPE-PME[...] » [3]. Les retards de paiement, qui ont augmenté de +1,5 jour entre janvier et décembre 2024, atteignent un niveau record de près de quatorze jours, un chiffre que l’on n’avait plus observé depuis la crise sanitaire. Cela renforce l’idée qu’il ne s’agisse pas d’un pic de défaillances, mais d’un plateau prolongé, d’un risque commercial persistant avec lequel les entreprises devront composer dans les mois à venir.
Augmentation des défaillances : +17 % en 2024
Les défaillances ont atteint un niveau record en 2024, avec 67 000 procédures engagées, soit une hausse de 17 % par rapport à 2023. Le quatrième trimestre a enregistré plus de 18 700 procédures, un chiffre alarmant. Les TPE restent les plus vulnérables, représentant les trois quarts des défaillances, surtout les structures de moins de 3 salariés. Cette situation fragilise particulièrement le tissu économique local.
Un impact direct sur l’emploi
Les défaillances en 2024 ont eu des répercussions notables sur l’emploi, menaçant environ 256 000 postes, soit une augmentation de 4,5 % par rapport à 2023. Cette évolution souligne l’urgence de mettre en place des mesures de soutien efficaces pour préserver l’emploi dans les secteurs les plus vulnérables.
Les secteurs les plus touchés : construction, commerce et services
Parmi les secteurs les plus affectés, on retrouve la construction (avec une hausse de 8,6 % des défaillances) et le commerce, notamment celui des meubles (+54 %). Toutefois, certains secteurs résistent : l’agriculture (+1,2 %), certains segments de l’agroalimentaire et les services informatiques. Le secteur du bâtiment, et plus particulièrement le gros œuvre, a fait preuve de résilience.
Régions et secteurs : des résultats disparates
Le secteur du transport a particulièrement souffert, enregistrant une hausse de 3,6 % des défaillances, surtout dans le transport routier de marchandises (+13 %). Les restaurateurs ont également été affectés, bien que l’augmentation des défaillances ralentisse. Certaines régions, comme La Réunion, ont vu une forte hausse des défaillances (+17 %), tandis que des zones comme la Corse et la Bourgogne-Franche-Comté ont connu des baisses.
Construction : le secteur du bâtiment a tenu et les agences immobilières retrouvent le sourire
Le secteur de la construction a été l’un des plus affectés, représentant un quart du total des défaillances, soit environ 5 111 défauts, dont près de 4 000 dans les seules activités liées au bâtiment. Sur un an, le nombre de défaillances dans ce secteur a progressé de 8,6 %, un rythme inférieur à la moyenne générale (+10 %). Cependant, le gros œuvre, en particulier la maçonnerie (+3 %) et la maison individuelle (+8 %), a su résister à la crise. En revanche, le second œuvre (+12 %) et les travaux publics (+16 %) ont davantage souffert.
L’immobilier, bien que lourdement touché, présente des signes contrastés : la promotion immobilière a vu ses défaillances augmenter de manière spectaculaire (+266 %), en raison de l’effondrement d’un grand groupe lyonnais. Du côté des agences immobilières, les défaillances ont diminué de 10 %, ce qui marque une amélioration dans ce domaine après plusieurs années difficiles.
Signes positifs : une croissance des créations d’entreprises
Malgré cette situation difficile, les créations d’entreprises ont augmenté de 6 % en 2024, avec un intérêt particulier pour les sociétés par actions simplifiées (SAS). Certains secteurs du commerce de détail, tels que l’optique et les pharmacies restent dynamiques.
Notes :
[2] Propos tirés de l’étude sur les défaillances et sauvegardes des entreprises en France de l’ALTARES.
[3] Idem.
Christian-Olivier Kajabika
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)