Au sommaire de cet article...
- I. Les écueils de la dématérialisation
- a. Authenticité et sécurité numériques des testaments
- b. Conservation des données à long terme
- c. Confidentialité et protection des données personnelles
- d. Les limites des preuves numériques en cas de litige
- II. Les preuves d’authenticité limitées en cas de litige
- a. Facilité de modification
- b. Examen du support limité
- c. Examen minutieux des graphismes limité
- d. Examens physiques des encres et du support en vue de recherches de falsifications empêchées
- e. Identification d’éventuels anachronismes
I. Les écueils de la dématérialisation
La dématérialisation des testaments n’est pas sans risque. Plusieurs problématiques doivent attirer l’attention.
a. Authenticité et sécurité numériques des testaments
La première menace concerne la question de l’authenticité. Le testament est un pacte particulièrement sensible, qui nécessite des garanties solides en matière de véracité de la volonté du testateur et d’intégrité de l’acte. Les solutions numériques, bien que souvent sécurisées par des systèmes de signatures électroniques et des technologies de cryptage, ne sont plus infaillibles. Le risque de falsification ou de modification non autorisée d’un document électronique est réel. De plus, l’usurpation d’identité, facilité par le numérique, pourrait rendre plus complexes les vérifications d’identité lors de la rédaction d’un testament dématérialisé.
b. Conservation des données à long terme
L’un des principaux rôles du notaire est d’assurer la protection des testaments sur une longue période. La durée de la validité d’un testament pouvant s’étendre sur plusieurs décennies, la question de la pérennité des systèmes informatiques reste essentielle. Quelle garantie avons-nous que les plates-formes et formats utilisés aujourd’hui seront encore exploitables 30 ou 50 ans après ? Le risque de voir des testaments électroniques illisibles ou altérés avec le temps ne peut être négligé.
c. Confidentialité et protection des données personnelles
La sécurité des données est également un enjeu majeur. La dématérialisation implique le stockage numérique des informations personnelles des testateurs. Cela expose ces informations à des risques de piratage ou de fuite de données, particulièrement sensible dans ce contexte. Si une faille de sécurité permet l’accès à ces informations, les conséquences peuvent être catastrophiques : violation de la confidentialité, contestation de la validité du testament et potentiellement des litiges prolongés entre les héritiers.
d. Les limites des preuves numériques en cas de litige
Le testament est souvent un document clé dans les successions, et sa validité peut être contestée pour diverses raisons (capacité du testateur, influence indue, etc..). Dans le cas des testaments électroniques, la preuve de la volonté libre et éclairée du testateur pourrait s’avérer plus difficile à établir qu’avec un testament notarié traditionnel. L’absence d’intervention physique du notaire au moment de la signature pourrait affaiblir la présomption de légitimité et entrainer des contentieux plus fréquents ou plus complexes.
II. Les preuves d’authenticité limitées en cas de litige
En cas de contestation, l’absence de l’original empêche les experts de mener les examens techniques et scientifiques nécessaires pour valider ou invalider la légitimité du testament, or seule la possibilité de cet examen garantit l’intégrité du testament.
a. Facilité de modification
Les documents numérisés peuvent être facilement modifiés à l’aide de logiciels accessibles au grand public. Cela augmente le risque de falsification par des personnes mal intentionnées, par photomontage par exemple.
Figure 1 : la signature a été ajoutée à partir d’un logiciel de traitement d’image
b. Examen du support limité
Une numérisation est avant toute chose une image plus ou moins fidèle du document original. Seul l’examen du support original permet un examen technique fiable, de la texture, de la trame et des composants du papier ainsi que de la présence éventuelle d’un filigrane authentique, ou non, lorsqu’il provient d’une impression par exemple. Ces éléments peuvent être déterminants en cas d’anachronisme.
Les traces de pliage, d’agrafages, de déchirure sont autant d’indices importants pour vérifier l’authenticité de toutes les pages constitutives d’un testament. L’exploration des indices est limitée sur une copie numérique.
Figure 2 : Analyse des bords du papier et des traces de pliages
c. Examen minutieux des graphismes limité
Certaines caractéristiques graphiques individuelles, comme la liaison des lettres, peuvent être mal représentées ou disparaitre lors de la numérisation. De même, des taches ou des ruptures de tracés peuvent apparaître sur la numérisation alors qu’elles pourraient être absentes sur le document original
Figure 3 : Tracés légers caractéristiques
L’analyse de la trace dans son mouvement est également impossible sur un document non original.
Figure 4 : Mouvement et schéma graphique uniquement identifiables sur l’original
L’examen de la pression de l’écriture et de la signature est également crucial pour vérifier l’authenticité des graphismes. Or les documents numérisés ne permettent pas cette analyse.
Figure 5 : Analyse de la pression d’une signature contrefaite : accentuation aux extrémités
d. Examens physiques des encres et du support en vue de recherches de falsifications empêchées
Lors de l’examen physique de tout document, l’expert recherche de potentiels indices de falsifications, telles que des grattages, lessivages, rajouts ou suppressions, utilisations d’un calque, etc. Il utilise pour ce faire des outils optiques, éclairages et filtrages spécifiques pour mettre en exergue des phénomènes physiques seulement envisageables sur les originaux. Examiner une copie numérique empêche de procéder à ce type d’analyse pourtant essentielle.
L’examen en luminescence chromatique met en évidence d’éventuels rajouts ou différences d’encres ou effaceur d’encre.
Figure 6 : exemples de falsifications
e. Identification d’éventuels anachronismes
Les cas d’anachronisme ou d’abus de blanc-seing sont pléthores en matière d’analyse de testament, il revient à l’expert de valider ou non la chronologie, à savoir si elle est avérée ou non.
En guise d’exemple, on pourrait citer l’incohérence d’un testament rédigé sur un livre de cuisine dont la publication date d’après le décès du testateur, en supposant que seule la page originale portant le testament a été conservée. Autre exemple d’anachronisme : un testament écrit sur un papier prétendument antérieur aux années 1950, mais, qui sous éclairage ultraviolet, révèle la présence d’azurants optiques. Ces agents chimiques, employés pour le blanchiment du papier, n’étaient pas introduits dans les procédés de fabrication avant cette période, ce qui suscite des interrogations sur l’authenticité du document. Dans le même ordre d’idée, la présence de filigrane ou tout autre marque distinctive et personnelle souvent utilisée par le testateur, à une époque donnée, ajoute également un indice supplémentaire de potentielle authentification.
La numérisation rend dès lors impossible l’analyse technique directe du support papier, privant ainsi l’expert de l’accès aux indices matériels présents sur un document original. Ces indices sont pourtant essentiels pour évaluer l’authenticité du document et détecter des anachronismes ou incohérences temporelles.
En conclusion, il est impératif pour les notaires confrontés à de nouveaux défis technologiques de défendre l’importance de conserver les testaments en original. La numérisation, bien qu’elle offre certains avantages pratiques, ne devrait jamais être considérée comme un substitut aux documents physiques. En préservant les testaments originaux, les notaires assurent non seulement la protection des volontés des testateurs, mais également la garantie d’en vérifier l’authenticité. Il est donc essentiel de sensibiliser les parties concernées à cette problématique, afin d’éviter toute ambigüité dans le traitement des volontés testamentaires et de laisser l’opportunité à l’expert de garantir ses conclusions sur l’authenticité de celui-ci. La vigilance, combinée à une adaptation mesurée aux évolutions technologiques, permettra de maintenir le rôle central du notaire dans la protection des volontés des testataires.
Sandrine LEFRANC LOISEL
Expert en Ecritures et Documents près la cour d’appel de CAEN
Agréé par la Cour de cassation
Valérie THEISMANN
Expert en Ecritures et Documents près la cour d’appel de REIMS