Contexte
2019 : une année qui marquera le marché des transactions immobilières en France.
Le 25 juin dernier a été réalisé en effet pour la première fois dans notre pays une transaction immobilière basée sur la technologie « blockchain ».
Petit rappel pour les moins geeks d’entre nous, la technologie blockchain (littéralement chaîne de blocs) a été inventée fin 2008.
C’est une technologie qui consiste à relier des données dans un environnement ultra-sécurisé avec des serveurs informatiques dupliqués sur tous les continents. La blockchain permet un accès permanent à un registre mis à jour en temps réel et cela depuis n’importe quel ordinateur de la planète.
Technologie utilisée dans un premier temps pour faciliter les transactions des cryptomonnaies (bitcoin notamment), la blockchain connait aujourd’hui des applications multiples (industrie, finance, énergie, marché de l’art, santé…).
Dans le domaine immobilier, la blockchain se manifeste à travers la tokénisation qui revient à créer une représentation numérique d’un actif sous la forme de tokens (jetons numériques).
Un immeuble se mue ainsi par le truchement de la technologie en un avatar numérique sur la blockchain. Avatar dont le squelette constitué de jetons pourra faire l’objet d’une appropriation (totale ou partielle) sur un second marché numérique mondial.
L’hôtel particulier vendu à Boulogne-Billancourt le 25 juin a d’abord fait l’objet des diligences notariées traditionnelles. Puis les titres de la société acquéreur de l’immeuble ont fait l’objet d’un enregistrement sur un registre via la blockchain avant d’être cédés numériquement à deux promoteurs immobiliers.
Opportunités
L’identification numérique va ainsi permettre aux acquéreurs de monétiser leurs investissements immobiliers auprès de tiers qui détiendront alors une part d’un immeuble comme on peut détenir aujourd’hui une part d’un OPCI ou d’une SCPI.
Cette faculté traduit un des intérêts majeurs de la blockchain appliquée aux transactions immobilières à savoir la liquidité.
La liquidité est souvent en effet un problème de la pierre papier ou de la détention en direct d’un bien immobilier qui ne permet pas de percevoir le produit d’une cession dans un court délai.
Avec la blockchain, la cession d’un jeton est instantanée (simple mention sur le registre blockchain du nouveau propriétaire) avec l’avantage de ne pas être soumise au paiement des droits de mutation liés à la cession d’un actif immobilier.
Les coûts sont ainsi réduits et les transactions sont fluides.
Un autre avantage et non des moindres qui renforce la liquidité du jeton c’est que la blockchain ne s’inscrit pas dans un marché immobilier national mais mondial.
Notre hôtel particulier de Boulogne pourra très bien être cédé (indirectement certes) par le biais des titres de la société propriétaire à des investisseurs ou particuliers vivant à Hong Kong, New Dehli ou Sidney.
Si la blockchain semble parée des vertus d’un marché immobilier moderne (rapidité, simplicité, globalité, faible coût dans un environnement sécurisé) quelle est la vision du législateur français à son sujet ?
Cadre légal
Les premiers textes adoptés portaient sur des instruments financiers (ordonnance « Minibons » n° 2016-520 du 28 avril 2016 et son décret « Blockchain » n°2018-1226 du 24 décembre 2018, ordonnance « Titres non cotés » n°2017-1674 du 8 décembre 2017) avec la francisation de la blockchain en « DEEP » (Dispositif Electronique d’Enregistrement Partagé).
Le décret Blockchain publié le 24 décembre 2018 a voulu préciser les garanties en matière d’authentification notamment d’une inscription d’instruments financiers dans un DEEP mais également reconnaitre la constitution d’un nantissement de compte de titres financiers portant sur des jetons.
La loi PACTE du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises est venue encadrer l’offre au public de jetons (ICO) ainsi que l’activité des prestataires de services sur actifs numériques (articles 85 et 86) en indiquant que le jeton était un « bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (nouvel article L 552-2 du Code monétaire et financier).
Adaptations
Si les perspectives paraissent immenses aujourd’hui en matière de marché immobilier tokénisé en France (comme dans le reste du monde), des adaptations et précautions sont à prendre en compte :
1. Know your customer (« connaissance client ») :
La connaissance des contreparties (vendeur/acquéreur) devra faire l’objet de diligences particulières pour se prévenir notamment des risques de blanchiment et de financement du terrorisme.
2. Protection des données personnelles :
Les données personnelles collectées au sein de la blockchain devront être sécurisées.
3. Fiscalité des transactions :
Les règles fiscales devront être précisées concernant la cession de jetons sur la blockchain.
4. Rôle des notaires :
Ces derniers dont le monopole avait déjà été remis en cause par la loi Macron du 6 août 2015 devront faire preuve d’une grande capacité d’adaptation pour ne pas se voire confisquer leur rôle de tiers certificateur (contraire à l’esprit même de la blockchain) par des gestionnaires de registre blockchain.
5. Droit applicable aux contrats de vente :
Si l’acte notarié n’est plus obligatoire en matière de vente immobilière enregistrée sur la blockchain, potentiellement un droit autre que le droit français pourrait se voir appliquer à la vente d’un immeuble situé en France avec toutes les difficultés d’interprétation et de conflits de juridictions que cela pourrait générer en cas de litige.
Conclusion
Si la blockchain appliquée au marché des transactions immobilières en est à ses balbutiements dans notre pays, son évolution peut aller très vite (à l’instar des autres secteurs de la Tech) et le regard bienveillant mais exigeant de notre législateur devra accompagner cette croissance afin que l’onde ne se transforme en déferlante.
Jacques Perroy
Responsable juridique