Le décret du 10 août 2005 institué par la loi du 13 mars 2000 [2] avait déjà rendu possible la pratique de l’acte à distance par le biais de l’acte authentique électronique. Mais la distance dont il s’agissait avait pour but de mettre en relation deux parties géographiquement distantes l’une de l’autre et se trouvant physiquement chez leurs notaires respectifs grâce à un système de visioconférence sécurisé et agréé. Ce système ne posait pas de problème car chaque partie était assistée par un notaire physiquement présent s’assurant du consentement éclairé de son client. {{}}
L’acte authentique par comparution à distance se distingue de son prédécesseur en franchissant une étape supplémentaire : instaurer une distance entre la ou les parties à l’acte et le notaire qui va recevoir leur consentement par écran interposé.
Pour encadrer sa mise en place, ce mécanisme a fait l’objet d’une attention particulière. L’échange avec le notaire s’effectue au moyen d’un système de visioconférence sécurisé par le biais d’un logiciel LifeSize autorisé par le Conseil Supérieur du Notariat. Le décret du 3 avril 2020 exige également une signature électronique qualifiée afin de garantir un niveau de confiance élevé.
Cette mesure avait été envisagée au départ comme temporaire et exceptionnelle du fait de la pandémie. Dans les faits, le gouvernement avait prolongé cette mesure jusqu’au 10 août 2020, un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Mais allait-on pérenniser cette possibilité au-delà de la crise sanitaire [3] ?
Un décret en date du 20 novembre 2020 [4] a apporté une réponse en autorisant une pérennisation partielle de l’acte authentique par comparution à distance. En effet, cette possibilité est limitée à la procuration notariée à distance introduite à l’article 20-1 du décret du 26 novembre 1971. Ce système est prévu par le Gouvernement et le CSN comme expérimental, « par prudence et volonté de déployer progressivement cette nouvelle modalité de réception » [5]. L’objectif est de tester la mise en œuvre effective de ce mécanisme avant de le généraliser à tous les actes.
Faut-il alors souhaiter une telle évolution ?
La reconnaissance de l’acte par comparution à distance semble indissociable de l’utilisation de l’outil numérique dans le notariat. De plus, elle est une solution pour les clients vivants à l’étranger notamment depuis la suppression des attributions notariales des postes diplomatiques et consulaires en 2018 [6].
Toutefois, l’acte par comparution dématérialisée est accusé de porter atteinte à l’authenticité des actes [7]. En effet, cette mesure fait intervenir un tiers : une société commerciale, étrangère à l’acte (DocuSign par ex.) habilitée à délivrer aux clients une signature qualifiée. Le notaire délèguerait ou partagerait ainsi une partie de ses prérogatives à ce tiers. Pour d’autres, l’intervention d’une tierce personne ne présente pas de risque car il ne fournit qu’un outil de signature électronique et ne remplace aucunement le rôle du notaire dans son contrôle de l’identité des signataires et de leur consentement [8]. Pour remédier à cet écueil, le notariat pourrait être amené à se doter de son propre service de certification [9].
Par ailleurs, l’acte à distance se caractérise par l’absence de comparution physique des parties devant l’officier public. Le notaire ne voit son client qu’à travers un écran. Comment est-il possible d’apprécier un consentement reçu de cette manière ? La réalité du consentement ne sera-t-elle pas entachée d’un doute [10] ? Le notaire devra être en mesure de détecter les éventuelles pressions et contraintes infligées au contractant voire une usurpation d’identité.
De plus, la comparution à distance pourrait relancer la concurrence déjà vive entre les notaires et les avocats en dévaluant l’acte authentique à un rang proche de celui de l’acte contresigné par avocats [11].
Enfin, si l’acte notarié par comparution à distance ne concerne que la procuration alors on instaure l’idée d’une hiérarchie des actes. Certains actes simples pourraient faire l’objet d’une comparution à distance tandis que d’autres actes supérieurs nécessiteraient la présence physique du notaire. Ce cantonnement constituerait une atteinte à l’unicité de l’acte notarié [12].
On le voit l’acte authentique à distance soulève bien des questions. Il n’en est pas moins vrai que ce débat existe aussi à l’étranger car l’évolution du numérique concerne aussi la profession notariale au-delà de nos frontières.
Notes :
[1] Décret n°2020-395 du 3 avril 2020, « Le notaire à distance des parties », Defrénois 5 nov. 2020 n°45-46 avec la participation de C. Vernières, « Propos introductifs », p. 19 ; M. Grimaldi, S. Gaudemet, C. Gijsbers et C. Brenner, « Le notaire à distance des parties ? Réflexion doctrinale », p. 20 ; D. Savouré, J.-F. Sagaut et G. Bonnet, « Le notaire à distance des parties ? Pratique notariale », p. 27 ; T. Douville, « Le notaire à distance des parties ? Gestion technique », p. 30.
[2] Loi n°2000-230 du 13 mars 2000 et décret n°2005-973 du 10 août 2005.
[3] C. Brenner, S. Gaudemet et G. Bonnet, « Un acte notarié à distance pour des temps ordinaires ? », JCP N 2020, étude 1124.
[4] Décret n°2020-1422 du 20 novembre 2020.
[5] Note du Conseil Supérieur du Notariat sur le décret n°2020-1422 du 20 novembre 2020.
[6] L. n°2016-1321, 7 octobre 2016, pour une République numérique.
[7] C. Brenner, S. Gaudemet et G. Bonnet, « Un acte notarié à distance pour des temps ordinaires ? », JCP N 2020, étude 1124.
[8] X. Ricard, « Acte authentique par comparution à distance et contrôle de l’identité et du consentement : divergences doctrinales », Defrénois, 22 juillet 2021 n°30-34, p.21.
[9] M. Grimaldi, « Le notaire à distance des parties ? Réflexion doctrinale », Defrénois 5 novembre 2020 n°45-46, p. 20.
[10] C. Goldie-Genicon, « L’acte notarié à distance : propos introductifs », Defrénois, 22 juillet 2021 n°30-34, p.17.
[11] C. Goldie-Genicon, « L’acte notarié à distance : propos introductifs », Defrénois, 22 juillet 2021 n°30-34, p.17 ; M. Grimaldi, « Le notaire à distance des parties ? Réflexion doctrinale », Defrénois 5 nov. 2020 n°45-46, p. 20.
[12] S. Gaudemet, « Le notaire à distance des parties ? Réflexion doctrinale », Defrénois 5 nov. 2020 n°45-46, p. 20.