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Semaine à 4 jours en office notarial : retour d'expérience

Semaine à 4 jours en office notarial : retour d’expérience

La semaine de travail en quatre jours dans les offices notariaux a ses thuriféraires comme ses détracteurs. Le témoignage de Maître Urso-Méhideb, notaire en Isère, vient apporter des arguments concrets et mesurables en faveur de cette organisation du travail, qui n’est pas révolutionnaire en elle-même, mais qui a réellement changé son quotidien. Nous vous proposons de les découvrir grâce à cet entretien accordé à la Rédaction.

Pouvez-vous brièvement nous présenter votre étude ?

Amélie Urso-Mehideb : Mon étude est implantée à Eybens en Isère (38), près de Grenoble. Il s’agit d’une création d’office. J’ai démarré mon activité en février 2018. Je suis la seule titulaire et mon équipe se compose de trois salariés : une assistante administrative et juridique, un clerc rédacteur et un négociateur immobilier. C’est un petit office que j’aime qualifier de « proximité ». J’ai toujours souhaité exercer dans une petite structure. C’est aussi une entreprise familiale puisque mon époux travaille à mes côtés comme négociateur immobilier.

Qu’est-ce qui vous a incité à passer à la semaine de quatre jours ?

A. U.-M. : Mon activité est très axée sur le droit de la famille en plus du domaine traditionnel du droit immobilier. Notre activité demandant beaucoup d’investissement en temps et en qualifications, notre charge de travail est rapidement devenue très intense avec le développement de l’étude. Cette hausse de la charge de travail a entrainé inévitablement beaucoup de fatigue et de charge mentale pour mes collaborateurs et moi-même. C’est la volonté de réduire le risque de « burn-out » qui a d’abord motivé mon choix de passer l’office à la semaine de quatre jours. Nous avions fait le constat que le week-end ne suffisait pas pour bien récupérer de notre semaine de travail et être pleinement opérationnel pour enchaîner la semaine suivante. Deux jours n’étaient pas suffisants, trois jours étaient peut-être la solution.

Je me sens très concernée par le sujet de l’épuisement mental. À ce stade de ma carrière, j’ai été plus souvent salariée (notaire assistante) qu’employeur. Ainsi, dès mes premières expériences professionnelles, j’ai toujours ressenti une forte envie de changement dans la manière de travailler, de manager, de challenger une équipe dans le notariat avec l’idée sous-jacente du bien-être au travail.

J’ai pu également rapidement me convaincre de l’intérêt de passer à la semaine de quatre jours afin d’augmenter l’efficacité et la réactivité dans la gestion de nos dossiers. Nos clients sont en effet en demande constante de plus de rapidité et d’efficacité lorsqu’ils passent la porte de notre office. Ainsi, travailler plus efficacement et changer quelques mauvaises habitudes dans notre pratique quotidienne m’a par ailleurs fortement motivée à changer notre organisation du travail.

Enfin, j’ai un alternant à l’office qui s’absente un jour par semaine pour poursuivre son cursus. Je souhaitais que tout le personnel travaille ensemble avec le même temps de travail et éviter que l’un d’entre nous ne soit en décalage dans le rythme de l’office. Ce dernier aspect m’a aussi séduite pour passer le pas.

Quels sont les avantages du passage à la semaine de quatre jours (côté employeur et côté collaborateurs) ?

A. U.-M. : Côté employeur, le premier aspect est la maîtrise de la masse salariale. C’est pour moi une vraie préoccupation en tant que chef d’entreprise libérale avec une activité fluctuante et dépendante du contexte économique. La réduction du temps de travail de 35h à 34h m’a permis de mieux maitriser mes coûts, tout en offrant une journée de repos supplémentaire à mon personnel.

Le deuxième aspect est la possibilité d’être plus exigeante auprès de mes collaborateurs dans les délais de traitement des dossiers. Avec un temps de travail plus court, j’ai mis en œuvre une autre manière de manager et de diriger mon équipe, ce qui s’est traduit finalement par une meilleure productivité.

J’ai constaté aussi des absences ponctuelles et arrêt de travail moins fréquents, mon personnel est fidélisé, car il apprécie d’avoir trois jours de week-end.

Enfin, de mon côté, j’ai gagné en liberté. En effet, j’ai dorénavant une vraie journée de recul pour faire le point sur l’office, son évolution, ses objectifs. Cela me donne aussi du temps uniquement consacré à mes clients sans intervention de mes collaborateurs pour des dossiers délicats. Cette journée m’offre aussi du repos pour améliorer ma vie personnelle et familiale.

Côté salarié, clairement de meilleures conditions de travail avec un véritable de temps de repos, même si les semaines restent intenses. Il s’agit d’une réelle amélioration de la vie personnelle et familiale. Je pourrai aussi mentionner de meilleures performances de travail sur un temps plus court, qui entraîne une meilleure image de soi, une reconnaissance du travail, une meilleure implication et motivation dans les missions confiées.

Avez-vous déjà pu mesurer un bénéfice (productivité, bien-être au travail, etc.) ?

A. U.-M. : J’ai constaté deux bénéfices importants. Tout d’abord une meilleure qualité de vie au travail pour mes collaborateurs et moi-même. Nous ne subissons plus notre travail, nous le vivons sereinement. Quand nous sommes au travail, nous y sommes vraiment. Les temps de pause inutiles sont réduits, bien que nous fassions bien entendu des pauses dans la journée. Les communications entre nous sont plus fluides et efficaces, les procédés de gestions sont plus rapides, notre énergie est augmentée, nos synergies améliorées et mieux maitrisées. Nous économisons tous les temps « morts » pour nous offrir un jour supplémentaire pour notre vie personnelle.

Enfin, je constate une meilleure productivité de l’office. Nous produisons plus d’actes, car nous sommes beaucoup plus pro-actifs. Le chiffre d’affaires de l’office est en augmentation cette année d’environ 10% bien que le temps de travail ait été réduit et dans le contexte plutôt morose que nous connaissons.

Avez-vous ou envisagez-vous de mettre en place un suivi d’indicateurs (KPI, KPA, enquêtes de satisfaction, etc.) ?

A. U.-M. : Oui à petite échelle, tant du côté des clients que du côté de mes salariés.

Avec mes salariés, je vais profiter de l’entretien individuel pour mesurer les ressentis de chacun sur cette nouvelle organisation du travail. Je n’ai pas, ou plus besoin, de mettre en place des points réguliers comme je l’ai fait au départ. La première année j’ai tout de même été très attentive à leur adaptation. Je faisais un petit point individuel ou collectif tous les deux mois.

Avec mes clients, je suis déjà très attentive à leur satisfaction via les avis Google ou les courriels que je reçois personnellement sur la gestion quotidienne de leurs dossiers. Avec ma nouvelle organisation, j’ai en temps réel leur retour positif ou négatif. Pour le moment, je n’éprouve pas le besoin de mettre en place d’autres procédés (questionnaires, etc.).

Les clients m’ont spontanément fait ressentir leurs avis positifs sur ce changement en y voyant une grande bienveillance de ma part auprès de mon personnel. Je précise encore que le vendredi, jour de fermeture pour mes salariés, n’est pas un jour de fermeture obligatoire pour mes clients : ils peuvent être reçus sur rendez-vous si cette journée est impérative pour eux. Cette disponibilité est appréciée et indispensable pour moi comme notaire. Je me dois d’être disponible à tout moment si mes clients me sollicitent. La semaine de quatre jours a été instaurée en priorité pour mes salariés.

Quels sont les inquiétudes de part et d’autre ou les risques sur lesquels il a fallu rassurer ?

A. U.-M. : Il existait effectivement quelques inquiétudes initiales, mais qui ont été rapidement balayées et résolues.

Tout d’abord, une crainte initiale de diminution du chiffre d’affaires. C’est en fait tout le contraire, la réduction du temps de travail n’a pas réduit mon chiffre d’affaires ! Il fallait cependant au préalable avoir une très bonne organisation des postes et tâches confiées, ce qui était le cas dans l’étude.

Ensuite, un risque d’augmentation des risques psychosociaux. Réduire le temps de travail hebdomadaire peut se traduire par une augmentation quotidienne du temps de travail, puisque trente-cinq heures peuvent être réalisées en quatre jours, avec à la clé du stress supplémentaire. En réalité, le stress ou l’anxiété des collaborateurs n’augmentent pas, puisqu’ils sont déjà présents au quotidien dans notre métier. J’ai au contraire constaté une diminution des absences et des arrêts de travail.

Enfin, une moins bonne disponibilité de l’office. Pour pallier cet inconvénient, l’office doit rester ouvert toute la semaine. À mon niveau, c’est moi qui me rends disponible le jour de fermeture si le client le demande. Au niveau de l’étude, il est nécessaire de prévoir une rotation du personnel pour maintenir l’office ouvert tous les jours de la semaine.

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