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L'exercice du droit par les conseillers en gestion de patrimoine. Par Damien Lamothe

L’exercice du droit par les conseillers en gestion de patrimoine. Par Damien Lamothe

Le monopole du conseil juridique, délivré à titre habituel et rémunéré, détenu notamment par les avocats est relativement connu. Tel n’est pas le cas de la compétence juridique appropriée (CJA). Elle permet, sous certaines conditions, à d’autres professions réglementées ou non, parmi lesquels les conseillers en gestion de patrimoine (CGP), de donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé. Voyons quels en sont les conditions et les risques pour les CGP.

Le CGP est un professionnel qui opère dans la plupart des cas, en consacrant une bonne partie de son activité au suivi de sa clientèle dans le temps, et à l’entretien d’une relation commerciale construite autour d’un patrimoine que le CGP a aidé à constituer. Ce patrimoine comprend en principe des solutions d’investissement et de placement qui produisent des flux financiers, et demande donc une gestion pour laquelle le client est demandeur d’accompagnement et de conseil.

Concrètement, le CGP, comme l’expert-comptable par exemple, développe son activité autour d’un portefeuille clients [1], géré et suivi dans le temps. Les qualités humaines et professionnelles nécessaires pour opérer un tel suivi dans la confiance, et avec le niveau de service attendu par le client, induisent un climat dans lequel le CGP est écouté par le client, qui lui-même le sollicite pour être son premier interlocuteur sur certains sujets.

Dans le cadre de cette activité principale pour laquelle il est déjà rémunéré (par des commissions initiales et/ou récurrentes), le CGP est ainsi amené à accomplir des missions de conseil, dont son client a besoin [2], par suite soit d’une demande remontante de ce dernier, soit d’un premier niveau de sensibilisation du CGP, qui aura qualifié et fait émerger cette nécessité.

Dès lors que la nature du conseil est purement juridique, et que le CGP est amené à conférer [3] à son conseil écrit et rémunéré la qualification de consultation juridique [4], ou de rédaction d’actes sous seing privé, il doit agir dans le cadre de sa Compétence Juridique Appropriée (CJA).

La CJA : un accessoire « direct » ou « nécessaire »

Pour pouvoir délivrer un conseil juridique rémunéré, le CGP doit se soumettre aux dispositions de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, qui définit en ses articles 56 à 66, les limites de cette CJA, et de l’exercice du droit comme « accessoire direct » [5] ou comme « accessoire nécessaire » [6].

Ces limites sont littéralement claires, mais d’interprétations plus floues. En effet, les textes précisent que ledit CGP peut, sous réserve de remplir certaines conditions de qualifications ou d’expériences, avoir un agrément pour l’exercice du droit à titre accessoire à leur activité principale.

L’accessoire nécessaire en matière de conseil juridique – on le déduit – est le fait de produire une consultation facturée [7], qui, si elle n’est pas produite, ne permettra pas audit CGP de vendre sa prestation principale.

L’accessoire direct, est le fait de proposer une prestation qui n’est pas nécessaire, mais découle d’une logique liée à l’achat de la prestation principale.

La qualification en elle-même de l’accessoire se fonde donc sur la détermination d’un caractère principal à une prestation (non juridique), vendue de manière suffisamment connexe à la consultation juridique (qu’elle en découle ou bien qu’elle l’accompagne). Pour un CGP, la prestation principale pourrait être par exemple une intermédiation immobilière, ou la mise en place de contrats d’assurances ou encore de placements financiers.

Si l’on en revient à la notion d’activité accessoire, il apparait selon nous nécessaire d’oser une distinction entre « les conseils patrimoniaux » de nature juridique et « l’ingénierie patrimoniale » de nature juridique.

Le conseil, toujours selon notre appréciation, peut se circonscrire à un lien direct, entre les éléments d’analyse qui ressortent de l’étude patrimoniale globale [8], tels qu’un niveau de capital atteint à date, un chiffrage des droits de mutation, etc., et la préconisation d’un choix parmi différentes possibilités.

L’ingénierie, aura un lien plus axé sur la notion de montages, d’articulations et de combinaisons entre différents régimes juridiques, pour atteindre une optimisation ou réduire un risque.

Une donation avant cession, par exemple, dont le développement dans une consultation irait jusqu’à détailler les liens entre les différentes étapes et les conséquences d’une mise en œuvre, relève déjà de l’ingénierie, et même logée dans une étude patrimoniale globale, aura sans doute difficilement une qualification d’accessoire nécessaire ou direct.

L’ingénierie patrimoniale, pratiquée avec les contraintes de la CJA à titre accessoire, et sous un contrôle des chambres professionnelles des CGP, semble être en pleine contradiction avec la réglementation du périmètre du droit, d’autant que les niveaux de facturation d’honoraires de telles missions, pour être rationnels quant à la compétence et les moyens mis en œuvre, peuvent facilement déséquilibrer le rapport accessoire/principal.

Pour autant, les CGP sont en principe des experts, souvent très formés et très compétents, ayant un sens de la relation client leur permettant de qualifier, voire de préconiser un schéma d’ingénierie patrimoniale.

De fait, quelles sont les consultations juridiques dans lesquelles interviennent les CGP ?

La Chambre Nationale des Conseils en Gestion de Patrimoine (CNCGP), une des chambres de représentation réglementaire de la profession, a publié un guide sur la CJA qui donne des exemples de prestations entrant dans le champ de la consultation juridique [9].

Elle précise aussi, en plus du caractère accessoire, que ces consultations ne peuvent avoir lieu que dans le cadre d’une étude patrimoniale globale, ce qui semble être un positionnement de cette chambre sur le caractère accessoire. Selon nous toutefois, il apparaît aléatoire de qualifier les sous- parties de l’étude indépendamment les unes des autres, pour faire de la partie audit et bilan la prestation principale, et de la partie conseil juridique l’accessoire.

Il apparaît plus aisé en revanche de considérer le conseil juridique logé dans une étude patrimoniale globale comme l’accessoire d’une autre prestation rémunérée parallèlement à l’étude globale.

Or, il est intéressant de noter que cet organisme, est l’une des principales associations de la profession, et que dans le cadre de ses missions, elle accompagne les CGP dans la conformité réglementaire, et même que l’air du temps est à la co-régulation par ces chambres, qui interviennent dans des audits et contrôles de leurs membres en interne, afin de les accompagner sur la correction des non-conformités, ou l’amélioration des pratiques. On peut donc supposer que le sujet du respect de ses propres prescriptions au regard du caractère accessoire, et du cantonnement à loger les consultations uniquement dans une étude patrimoniale globale, est une préoccupation qui les poussera à contrôler ce point chez les CGP audités.

Conditions de facturation du conseil juridique du CGP

Pour être qualifiée de consultation juridique, une prestation de conseil doit donner lieu à une facturation d’honoraires, mêmes faibles.

La gratuité de la prestation de conseil exclura en effet la qualification de consultation juridique au titre de la réglementation concernée. Au regard de la gratuité, la dimension de fictivité potentielle doit donc être examinée à la loupe : si la prestation de conseil est offerte, mais que d’autres services sont facturés pour sa mise en place, alors cela peut conduire à considérer cette gratuité comme fictive.

Si la prestation est facturée, on peut se douter que la logique d’accessoire, se traduira par des analyses économiques de cette facturation.

Il apparaît raisonnable d’appliquer, par exemple, un double filtre de regard sur le niveau de facturation du conseil accessoire, d’abord par rapport aux gains procurés par la prestation principale dans un temps donné [10], ensuite par rapport à la récurrence et à la part du CA des honoraires de conseil dans l’activité globale [11].

Par exemple, et en caricaturant une étude patrimoniale facturée 5 000 € pourrait difficilement s’avérer l’accessoire d’une commission de 500 € sur un produit financier [12].

De même, un chiffre d’affaires annuel constitué de 50 000 € de commissions d’assurance, et de 60 000 € d’honoraires, rendrait fragile le modèle.

En l’état de l’art et de la pratique, le développement de la part des honoraires (conseil financier et conseil juridique) dans leur chiffre d’affaires chez les CGP se fait assez progressivement, mais constamment [13], avec des réalités très tranchées.

Un certain encouragement au modèle existe d’ailleurs paradoxalement, et la majorité des formations diplômantes du métier, laisse a minima planer l’ambiguïté, et au pire incite à prendre une voie de facturation d’honoraires qui peut s’apparenter à de la consultation juridique à titre principal. Or, les cabinets qui suivent cette voie ont-ils conscience qu’ils encourent un risque pénal ?

Le risque pénal lié à la CJA

La peine encourue isolément en cas d’exercice illégal d’une profession réglementée [14] est certes relativement faible (d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende), mais la procédure pénale sera souvent mise en œuvre en parallèle d’une procédure civile [15], et de sanctions disciplinaires ou réglementaires.

On peut rappeler d’ailleurs, que ce n’est pas le seul risque pénal qu’encours un CGP, en tant que professionnel du patrimoine, lorsqu’il se livre à du conseil sur des montages, et que notamment, il encourt des sanctions aux titres : de la complicité de fraude fiscale [16], de la complicité d’organisation frauduleuse d’insolvabilité [17], ou de la complicité d’organisation de blanchiment aggravé [18].

Dès lors, les conséquences et dégâts collatéraux sur l’activité du CGP elle-même peuvent potentiellement être très lourdes.

Les faits qui peuvent déclencher une mise en cause du CGP, seront fréquemment relevés par les professions concernées par le monopole du périmètre du droit, mais, en réalité, les actions en justice seront presque exclusivement intentées par les organes représentatifs de la profession d’avocat [19], dont la vocation est de défendre les prérogatives de ses membres.

L’affaissement des marges des modèles économiques traditionnels des professions réglementées, conduit en effet lesdites professions à rechercher des solutions de survie concurrentielle, et de nouvelles pistes de développement.

Ainsi, côté avocat, le Conseil national des barreaux et les Ordres des avocats s’impliquent assez logiquement dans la chasse aux modèles qui leur semblent relever d’un exercice illégal de la profession d’avocat par l’entrée dans le périmètre des prestations d’actes sous seing privés ou des consultations juridiques à titre principal. Legaltechs, cabinets de conseil, ou courtiers, sont donc souvent visés [20], et CNB et Ordres ont développé un certain systématisme procédural, et des instances de traitement des dossiers pour non-respect de la loi de 1971 [21]. C’est ainsi un véritable sujet.

Reste néanmoins, côté client, un réel besoin qui émergera régulièrement dans la relation avec le CGP, pour de l’ingénierie patrimoniale qui ne peut se traiter que par consultation juridique.

Les CGP sont donc limités dans leurs possibilités de produire des consultations juridiques ou des actes sous seing privé, par les dispositions légales et les impératifs de la Compétence Juridique Appropriée (CJA). Cette situation peut néanmoins permettre une véritable réflexion quant au positionnement de l’interprofessionnalité à offrir aux autres professionnels, notamment les notaires, avec lesquels une véritable collaboration à haute valeur ajoutée est possible.

Damien Lamothe
Expert en stratégie patrimoniale chez NCA


Notes :

[1Il est à noter qu’il existe assez fréquemment des associations entre CGP et experts-comptables, qui ont moins de freins et plus de compatibilité.

[2Qui plus est, le « cycle de besoins » du client et de sa famille, comprend trois phases bien identifiables mais certes parfois juxtaposées, qui créent un besoin de conseil juridique et fiscal : Création de patrimoine / Gestion et Jouissance du patrimoine / Transmission du patrimoine.

[3Volontairement ou non, et indépendamment de l’appellation des documents de restitution contenant le conseil, ainsi que du libellé exact de la lettre de mission éventuelle.

[4À distinguer de l’information juridique (Rép. min. à QE n° 24085, JO Sénat, 7 sept. 2006, p. 2356).

[7Les textes précisent que la consultation doit être rémunérée pour être qualifiée telle.

[8Il est toujours intéressant de rappeler, pour comprendre par le biais de l’Histoire du métier de CGP, son « ADN », de rappeler que l’Approche Patrimoniale Globale (APG), et le fameux « bilan patrimonial », qui paradoxalement ont pris une coloration de distinction entre l’aspect commercial, et l’aspect analytique de la gestion de patrimoine, est à l’origine une marque déposée, d’un logiciel de CRM destiné à qualifier un besoin pour vendre un « produit ». Voir not. www.patrimoine.com/pmtpro/pmt_historique.html.

[9Il est intéressant de noter que les restrictions sont en principe comparables pour les experts-comptables, et que les dispositions de la loi du 31 décembre 1971 s’appliquent également à ces professionnels : Aut. conc., 17 juin 1997, avis, n° 97-A-12.

[10Il apparaît logique que pour rattacher un accessoire à un principal, le lien de causalité ou de pertinence puisse s’exclure si les deux opérations sont trop éloignées.

[11Car le caractère habituel est un critère efficient du caractère principal.

[12Tout peut se défendre par une démonstration basée sur les flux économiques ou le potentiel des clients dans le temps.

[15On rappelle que le pénal ne tient plus le civil et que l’action en réparation du dommage causé par l’infraction prévue à l’article 2 peut être exercée devant une juridiction civile séparément de l’action publique depuis que le législateur a entendu mettre fin au sursis au jugement de cette action exercée devant la juridiction civile tant qu’il n’avait pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. Art. 20, L. n° 2007-291, 5 mars 2007, transposé à C. pr. pén., art. 4.

[16C.pén., art. 127-7 et CGI, art. 1741, 1742 et 1745.

[18C. pén., art. 324-1 et 324-2.

[19CNB, Commission Exercice du Droit, AG du 15 mai 2020, Suivi de la proposition des EGAPA.

[20On peut supposer d’ailleurs, concernant un CGP, qu’un dossier de contentieux d’un client contre son CGP sur base d’un préjudice civil de défaut de conseil, pourrait entre les mains de l’avocat mandaté pour défendre les intérêts du client, se doubler d’une procédure pénale si l’analyse de l’écrit de conseil produit révèle une consultation juridique à titre principal.

[21CNB, 2017, Vademecum de l’exercice du droit, 2e éd.

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