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Entretien avec Séverine Vernet - Présidente de l'Ordre des géomètres-experts

Entretien avec Séverine Vernet - Présidente de l’Ordre des géomètres-experts

Séverine Vernet préside depuis le 28 février 2024 l’Ordre des géomètres-experts. Elle a accepté de répondre aux questions de la Rédaction. Elle a évoqué les objectifs de son mandat, présenté le plan de transformation stratégique « Géomètre-expert 2030 » ainsi que les « Assises Nationales de la Sobriété Foncière » qui se dérouleront les 3 et 4 juillet prochains. Elle est enfin revenue sur le développement des synergies avec le notariat.

Vous avez récemment été élue présidente du Conseil supérieur de l’Ordre des géomètres-experts, quels sont les objectifs principaux de votre mandat ?

Séverine Vernet : Il est vrai que j’ai été amenée à reprendre les rênes de l’institution à la suite du décès de mon prédécesseur Joseph Pascual. Cela fait toutefois plus de dix ans que je participe activement à la vie de l’institution. J’ai œuvré notamment au sein du Conseil régional d’Île-de-France et au sein du Bureau du Conseil supérieur depuis 2015. C’est donc une maison que je connais bien et au sein de laquelle je suivais déjà de nombreux dossiers stratégiques.

Mon mandat s’inscrit dans la continuité des mandats précédents, tout en couvrant un spectre plus large. Nous avons des sujets qui étaient déjà en cours. Donc, bien évidemment, nous allons les poursuivre. Tout d’abord, la « sobriété foncière » est notre actualité du moment, puisqu’elle va impacter fortement l’activité future des géomètres-experts. Nous organisons en ce moment même les « Assises nationales de la sobriété foncière » qui se tiendront début juillet. Ce thème de la sobriété va nous occuper un certain temps, car une fois les Assises passées, il va falloir mettre en place un véritable parcours de formation pour préparer l’évolution de la pratique de nos confrères et de nos consœurs.

Votre profession est engagée dans le plan de transformation stratégique « Géomètre-expert 2030 », pouvez-vous nous en dire plus ?

S. V. : En effet, depuis 2021, nous avons mis en place une réflexion que nous avons appelée « Géomètre-expert 2030 », qui est une vision stratégique de ce que nous voulons voir évoluer dans notre métier et dans l’institution ordinale.

C’est une action majeure que nous avons menée en plusieurs étapes, qui s’est voulue très collaborative, puisque nous avons fait participer l’ensemble de nos confrères et consœurs à ces réflexions. Cette démarche est très novatrice, car nous avons fait remonter un certain nombre d’informations sur la vision qu’avait l’ensemble de nos confrères et consœurs sur l’avenir de notre profession. Et puis, nous avons mis en place des axes stratégiques parce que la vision de la profession change en interne, mais aussi en externe. Le monde dans lequel les géomètres-experts évoluent se transforme. Les attentes qu’ont les parties prenantes vis-à-vis des professionnels changent également. Donc, il y a toute une série d’éléments qu’il faut faire évoluer. Nous menons aussi une réflexion sur le fonctionnement de l’institution, sa transparence, puisque, vous le savez, au travers des professions juridiques que vous connaissez, qu’il y a une remise en cause, parfois, de ce que peuvent être un ordre ou les institutions représentatives de manière générale.

Nous réfléchissons à la manière d’apporter plus de transparence pour générer de la confiance. Nous travaillons de plus sur le thème de l’« expérience client ». C’est-à-dire, la manière dont nous pouvons apporter de nouveaux services à nos clients afin de répondre toujours mieux à leurs commandes et de les fidéliser.

Il y a un sujet important qui concerne la formation et l’accès à la profession. Nous avons par ailleurs entamé, en tout ce qui concerne la transparence, une vaste réflexion sur le droit de la compliance. Nous travaillons aussi sur notre « raison d’être » que l’on souhaite définir début 2025. Encore une fois, il s’agit d’une approche très collaborative, puisque nous avons sollicité nos confrères et consœurs avec un taux de réponse très satisfaisant.

Toutes ces actions sont ainsi regroupées dans notre plan « Géomètre-expert 2030 ». Nous sommes à mi-chemin de l’objectif 2030 et tous ces sujets avancent en parallèle. Cela crée de belles réflexions et demande beaucoup d’implication.

Ce plan « Géomètre-expert 2030 » s’inscrit-il dans un cadre réglementaire qui s’est durci ? Avez-vous des obligations plus importantes qu’auparavant ?

S. V. : Non, ce n’est pas une réflexion que nous avons menée sous la contrainte. Au contraire, nous avons essayé d’être prospectifs, de nous poser les questions avant que ça ne devienne justement des contraintes et qu’il y ait des remises en cause. En ce qui nous concerne, c’est une loi de 1946 qui a créé l’Ordre et la profession de géomètre-expert. Il y a eu bien évidemment des évolutions depuis cette loi, mais nos textes ne sont pas aussi contraignants que ceux qui encadrent d’autres professions réglementées. Cela étant, nous devons engager des ouvertures en termes d’exercices et de typologies de sociétés, d’actionnariat, etc.

D’un point de vue métier, nous avons vécu des évolutions, par exemple des textes qui sont ceux auxquels les notaires sont aussi soumis en matière d’urbanisme ou de copropriété par exemple.

« Géomètre-expert 2030 » s’inscrit dans une démarche de réflexion prospective afin de préparer notre profession et l’institution qui la régule aux enjeux de demain.

Comment voyez-vous les évolutions de votre métier avec le déploiement de l’intelligence artificielle ?

S. V. : Comme pour les notaires, notre profession est concernée par l’intelligence artificielle. Pour moi, il s’agit d’un outil que nous devons apprendre à utiliser à bon escient et à placer au bon curseur. Notamment autour de l’acquisition et du traitement de données, qui est la partie purement technique de notre métier. Il est certain que l’intelligence artificielle va nous faire évoluer sur ce sujet spécifique parce qu’on comprend aisément que l’IA va pouvoir tracer des traits sur des points, ce que nous faisions auparavant manuellement. Toutefois, il y aura toujours nécessité d’avoir un avis d’expert et l’intelligence artificielle ne pourra pas répondre à toutes les questions. Donc, c’est un outil qu’il faut intégrer, qu’il faut apprivoiser.

L’IA va ainsi particulièrement concerner le bornage avec la rédaction des procès-verbaux. À un moment donné, peut-être faudra-t-il fixer un cadre entre ce que l’intelligence artificielle peut faire, comment elle peut le faire et jusqu’où il faut la laisser faire.

Notre métier évolue avec la technique. Nous avions d’ailleurs participé à la soutenance d’une thèse il y a quelques années déjà sur la prise en compte de l’automatisation d’un certain nombre de traitements. Nous ne sommes pas vraiment inquiets par ces évolutions.

Plus globalement, nous avons un chargé de mission à l’Ordre qui réfléchit à tout ce qui traite d’innovation.

Dans le même ordre d’idées, on nous demande de nous positionner sur l’environnement, sur des aspects sociétaux, d’inclusion. Tous ces sujets sont loin de notre pratique a priori, mais nous devons également les intégrer dans notre réflexion.

Vous allez présider les 3 et 4 juillet 2024 les « Assises Nationales de la Sobriété Foncière » qui vont notamment évoquer la trajectoire « Zéro Artificialisation Nette » ou « ZAN ». Quel pourrait être l’impact de cette trajectoire sur le marché immobilier neuf et ancien ?

S. V. : Nous préparons depuis plus d’un an et demi les « Assises Nationales de la Sobriété Foncière » en lien avec la loi « Climat et résilience » et la trajectoire « Zéro artificialisation nette ». Pour nous, il s’agit d’un sujet primordial, puisqu’il va modifier notre manière de concevoir et d’aménager les espaces. Au départ, notre congrès était réservé aux géomètres-experts. Il nous est ensuite apparu important de l’ouvrir aux autres professionnels pour échanger sur des thèmes qui sont communs et qui sont vraiment impactants sur la façon dont nous allons pouvoir aménager les territoires dans l’avenir. Le géomètre-expert est un acteur du cadre de vie, mais il n’est pas le seul. Les notaires seront bien évidemment les bienvenus !

Le congrès, initialement, devait se dérouler uniquement à Fort-de-France puisque nous sommes effectivement présents sur l’ensemble des territoires, y compris en Outre-Mer. Il était donc important pour nous de marquer notre attachement à ce maillage. Considérant l’importance du thème, nous avons décidé de décliner le congrès sur trois autres sites en métropole, à Épernay, à La Rochelle et à Aix-en-Provence. En lien avec ces territoires, nous avons défini des thèmes qui se rapportent à la sobriété foncière et qui seront traités dans chacun des sites. Nous aurons des séances communes en multidiffusion. Nous serons en direct sur les quatre sites avec deux demi-journées plénières. Après, sur chacun des sites, une séance locale sera dédiée à un thème particulier de la sobriété.

À Aix-en-Provence, nous traiterons de tout ce qui est urbain, renaturation de la ville, surélévation.

À Épernay, nous traiterons plutôt du rural et du semi-rural. À Fort-de-France, nous évoquerons la forêt et la biodiversité. Et enfin, à La Rochelle, nous allons traiter du recul du trait de côte, avec toutes les conséquences en termes d’aménagements et d’immobilier, puisque selon le récent rapport du Cerema [1] il y a environ 500 000 logements qui seront radiés de la carte dans quelques décennies.

Ce recul du trait de côte va avoir un impact vraiment important et amène de nombreuses réflexions. Cela va certainement intéresser les notaires en ce qui concerne l’évaluation immobilière. Comment évaluer des biens dont on sait qu’ils vont disparaître dans quelques années, tandis que, dans le même temps, beaucoup de nos concitoyens continuent à espérer pouvoir aller s’installer en bord de mer.

Notre programme sera riche d’intervenants divers et variés.

Le prochain Congrès des Notaires qui se déroulera à Bordeaux, va traiter de développement durable. Le recul du trait de côte devrait également être abordé, c’est une problématique aujourd’hui qui est très forte.

Si vous avez besoin d’un intervenant sur le sujet du développement durable, nous avons une commission environnement très engagée sur cette thématique. C’est un sujet que nous appréhendons depuis plusieurs années, puisque le développement durable était le thème de notre congrès à Marseille en 2010 et que nous avions mis en place un agenda 21 à cette occasion. Nous étions d’ailleurs la première et l’unique profession à l’époque à l’avoir mis en place. C’est un sujet qui nous tient vraiment à cœur.

Les géomètres-experts ont déjà des liens forts avec les notaires, quel message souhaitez-vous faire passer à la profession ?

Effectivement, au quotidien, les géomètres-experts travaillent avec les notaires. D’un point de vue institutionnel, nous avions rencontré la présidente du CSN avec Joseph Pascual au début de son mandat. Et nous avons, depuis, programmé des séances de travail avec le CSN. Nous échangeons sur des thèmes qui nous sont communs.

Nous avons déjà retenu conjointement deux pistes de travail. La première concerne le bornage et la division foncière pour élaborer un vocabulaire commun, de telle sorte que dans le cadre d’opérations foncières ou immobilières, les attentes des notaires soient satisfaites par les éléments produits par les géomètres-experts. Nous devons tous avoir le même langage. Sur le bornage, nous élaborons une terminologie, un lexique, pour disposer d’un vocabulaire qui soit partagé et défini par nos deux institutions et que nous redescendrons ensuite auprès des professionnels.

La deuxième piste concerne la copropriété et la division en volumes, puisqu’à la suite de la dernière modification de l’article 1er de la loi de 1965 sur la copropriété, il y a toujours des interprétations sur le moment où doit être constituée une copropriété. Ainsi, quand est-ce que je peux faire une division en volumes ? Encore une fois, pour éviter les interprétations disparates et des sujets de discussion sans fin entre les notaires et les géomètres-experts, nous avons prévu d’arrêter des recommandations communes en fonction de la situation dans laquelle on se trouve. Ainsi, chaque professionnel de chaque institution pourra se reposer sur une vision commune à nos deux professions.

Nos formations initiales ne sont en effet pas les mêmes. Le spectre du notaire va au-delà de tout ce qui est immobilier. Le fait d’affiner le vocabulaire sur nos sujets communs permettra de fluidifier les échanges. C’est un souhait politique qui avait été fixé par nos deux institutions. Ce rapprochement est très bien accueilli et ne peut être que bénéfique à nos deux professions.

Pour vous donner une anecdote, à l’occasion de nos discussions avec le CSN, j’avais retrouvé un document élaboré en 1963 entre les deux institutions. Depuis, quelques sujets ont été abordés, mais finalement trop peu. Ce sera en tout cas une très belle avancée, car même si nous travaillons ensemble quotidiennement, j’estime que les institutions ne se parlent pour autant pas assez et c’est une belle avancée que de pouvoir désormais le faire. Pour ces deux thèmes, nous en sommes aux séances de travail. Nous rédigerons ensuite les documents qui seront validés par nos deux institutions. Les résultats sont attendus en 2024.

Je suis ravie de cette initiative et suis certaine que les deux Présidentes en place sauront développer et amplifier cette dynamique.

Pour aller plus loin :
Assises Nationales de la Sobriété Foncière - 3 et 4 juillet 2024


Notes :

  • Entretien avec Séverine Vernet - Présidente de l’Ordre des géomètres-experts

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