Les politiques numériques notariales ont permis, dès la fin des années 1990, d’accompagner la transformation numérique de la société civile afin que le service public notarial n’en soit pas déconnecté. Le notariat s’est ainsi positionné en leader de l’innovation technologique parmi les professions du droit en France comme à l’étranger. En cela, et contrairement à l’idée traditionnelle que l’on se fait de la profession, le service public notarial n’a été ni déstabilisé, ni submergé par la révolution numérique.
Outre l’authenticité, cœur du métier et enjeu aussi crucial qu’existentiel la profession, le sujet révèle trois autres enjeux capitaux que sont l’indépendance numérique, la confiance diffusée au sein de la société civile et la souveraineté du notariat comme de l’État.
Authenticité
L’un des premiers défis du notariat a été de consacrer l’unicité de l’authenticité nonobstant la diffusion de l’acte dans le monde numérique. Face au déferlement d’internet, le législateur a dû choisir entre gouverner le monde numérique avec des règles dérogatoires et y transposer les règles du monde matériel. Or il n’a laissé subsister qu’un seul acte authentique, avec une double équivalence relative au support de l’acte d’une part (papier ou électronique) et à la présence physique ou numérique du notaire instrumentaire, d’autre part.
- Pour ce qui est du support, l’équivalence entre acte papier et acte électronique a été reconnue par la loi du 13 mars 2000 [2], confirmant que la modification du support ne changeait donc rien au caractère authentique de l’acte ;
- Quant à la présence ou non des parties, maintenant, (rappelons que dans le cas de l’acte authentique électronique - AAE -, toutes les parties ne comparaissent pas), un décret de 2005 s’est chargé de poser les fondations de l’équivalence. La crise liée à la Covid-19 a accéléré le processus de reconnaissance de cette équivalence, avec un premier décret du 3 avril 2020 [3] ayant autorisé l’AAE avec comparution a distance, pérennisé ensuite par un décret du 20 novembre 2020 [4] qui a entériné la procuration notariée à distance (PND). Le Conseil d’État a conforté cette position en estimant que la comparution physique n’était pas indispensable.
Indépendance
On peut se risquer à comparer le numérique à une féodalité où l’État a du mal à s’imposer pour renverser les seigneurs de l’internet féodal. Il est indéniable que les entreprises de services du numérique (ESN) sont indispensables à l’exercice du notaire via les logiciels qu’elles lui fournissent. La profession est ainsi dans une situation de dépendance vis-à-vis de quelques ESN. Le caractère féodal de l’écosystème numérique notarial s’est intensifié dans les années 2010 et les ESN sont devenues les « SS2I » de la profession (pour « société de services et d’ingénierie en informatique »).
On a assisté à une vassalisation numérique des SS2I, avec un pouvoir d’agrément donné au CSN et, avec lui, un effet pervers d’accentuation de la dépendance des notaires. Le cahier des charges de l’agrément conditions draconiennes. En conséquence, on comptait seulement 6 SS2I agréées en 2010, ce chiffre étant aujourd’hui tombé à trois, dont le leader, qui exerce un quasi-monopole sur le marché inquiète actuellement à la suite d’une prise de contrôle par des capitaux étrangers. On constate donc une polarisation autour d’un nombre d’acteurs très restreint. Une nouvelle orientation stratégique s’est fait jour avec la création par l’ADSN d’un département R&D.
Confiance
On a pu prétendre que le « cyberespace » pouvait se passer des notaires, notamment avec l’essor de la Blockchain. Cette dernière est certes un outil de sécurité informatique, mais cela n’est pas synonyme de confiance. Cette architecture décentralisée où tous les participants détiennent et contrôlent de l’information (du moins, dans le cas des des blockchains publiques) est aussi caractérisé par l’anonymat : personne ne connait l’identité des autres. Il est impossible d’identifier les individus qui sont à l’origine des transactions. Y règne donc une atmosphère de méfiance où des opportunistes peuvent sévir : la Blockchain est pavée de mauvaises intentions... Il n’y a ni confiance institutionnelle, ni confiance interindividuelle.
La création de la blockchain notariale des notaires du Grand Paris s’est accompagnée d’une « politique de confiance de la blockchain notariale ». Contrairement à ce qui a cours sur la blockchain publique, le notaire mineur n’est pas rémunéré. Le propre de la blockchain notariale est qu’elle bénéficie de la confiance institutionnelle. Cette notion de confiance absorbe donc aujourd’hui un aspect technologique et le notaire, déjà tiers de confiance juridique, est bien devenu un tiers de confiance technologique.
Souveraineté
Le notariat n’est pas seulement un utilisateur mais aussi un des principaux acteurs du numérique, et a toujours eu à cœur de développer lui-même ses instruments, ce pourquoi la notion de souveraineté revient sans cesse sous la plume des auteurs. Un paradoxe réside la cohabitation de l’idéologie libertarienne des nouvelles technologies et la confiance publique placée dans l’État seul. Le monde numérique se concevant comme un monde déterritorialisé, cela met en branle la souveraineté de l’État. Or il n’est censé y avoir qu’un seul monde, quand bien même il s’agit d’un monde hybride, phygital.
L’histoire de la construction de l’État est indissociable de sa mainmise sur la notariat comme producteur de l’acte authentique. Les notaires sont producteurs de vérité officielle et les mentions de l’acte notarié sont tenues pour vraies. À ce titre, ils sont des acteurs de la souveraineté de l’État et ne peuvent être remplacés par la Blockchain. L’utilité de la Blockchain réside alors dans l’assurance que l’information est infalsifiable. Par son appropriation de la Blockchain, le notariat n’a fait que préserver le monopole de la vérité officielle.
Le service public notarial en tant que tel a connu une transformation phygitale. Cette version « en ligne » du service public a été promue à la fin des années 1990, une orientation définitivement acquise depuis l’adoption de la LOLF [5] en 2001, avec pour but de réaliser des économies dans le secteur public. Ce passage au numérique néanmoins et corrélativement mis en danger la souveraineté de la profession comme de l’État, point sur lequel nous reviendront bientôt.
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Alix Germain
Pour la Rédaction
Notes :
[1] Recherche dirigée par Manuella Bourassin, Corine Dauchez et Marc Pichard.
[2] L. n° 2000-230, 13 mars 2000, JO 14 mars, portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique.
[3] D. n° 2020-395, 3 avr. 2020, JO 4 avr., autorisant l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire.
[4] D. n° 2020-1422, 20 nov. 2020, JO 21 nov., instaurant la procuration notariée à distance.
[5] L. organique n° 2001-692, 1er août 2001, JO 2 août, relative aux lois de finances.