Sorti le 6 décembre 2023, le film « Bâtiment 5 » traite notamment de la question de l’habitat indigne dans les banlieues en faisant référence à des faits et situations réels ; plusieurs scènes du film montrent un état de dégradation particulièrement avancé de parties communes d’ensemble de bâtiments, décor que l’on pouvait également retrouver dans le film « Les Misérables » du même réalisateur.
Ce décor - semblable à celui de la copropriété du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois - illustre les graves difficultés rencontrées par certaines copropriétés privées et ses conséquences, l’occasion d’évoquer la réponse législative à cette problématique - avec un projet de loi actuellement en discussion [1] - et les outils pouvant être mobilisés selon les dysfonctionnements rencontrés, dont l’opération de requalification des copropriétés dégradées [2], pour les cas les plus graves comme celui de la copropriété précitée (1).
Par ailleurs, le film évoque la mise en œuvre concrète de la phase judiciaire d’une opération d’expropriation en soulignant le sentiment d’injustice perçu par un propriétaire occupant contraint de quitter son logement et recevant une offre de rachat jugée faible, sujet qui peut mériter des précisions et qui permet de rappeler que certaines mesures du projet de loi soumis à l’examen de l’Assemblée Nationale vise à favoriser le redressement des copropriétés et, ainsi, à éviter le départ de « propriétaires vertueux » (2).
Enfin, il est mis en scène l’évacuation urgente d’un immeuble, telle qu’elle a pu avoir lieu en 2016 à Clichy-sous-Bois, illustrant la mise en œuvre d’une police administrative spéciale relative à la sécurité et à la salubrité des immeubles, qui a fait l’objet d’une évolution récente (3).
1. L’arsenal législatif pour lutter contre l’habitat privé indigne et le mal logement en copropriété, dont l’ORCOD.
À partir des années 1980, les pouvoirs publics ont constaté un accroissement des difficultés des copropriétés entrainant des conditions d’habitat indigne et des situations de mal logement, de sorte que ce sujet est devenu, au fil des années et notamment depuis la consécration du droit au logement opposable [3], une préoccupation majeure des politiques de l’habitat.
Ces difficultés - consistant en un différentiel négatif entre les dépenses et les recettes d’un syndicat de copropriété - sont multifactorielles :
- mauvaise gestion du syndicat ;
- fin de cycle technique des immeubles, notamment ceux construit dans les années quarante à la suite de la deuxième guerre mondiale ;
- faibles performances énergétiques dans un contexte de hausse des prix de l’énergie,
- paupérisation des propriétaires occupants n’ayant pas les capacités financières pour réinvestir dans les bâtiments pour les maintenir en état ou les mettre à niveau.
Les copropriétés entrent ainsi dans un cercle vicieux en subissant, avec le temps, une augmentation des impayés de charges, une dévalorisation des biens, un fort taux de vacance, une influence croissante des marchands de sommeil bloquant tout réinvestissement nécessaire et, partant, une dégradation des immeubles jusqu’à leur insalubrité voire leur péril, comme on peut le voir dans le décor du film.
Conscient de l’enjeu social (lutte contre le mal logement), de l’enjeu de sécurité publique (risque pour les occupants et les riverains) ainsi que de financement public, le législateur a mis à la disposition de l’État, des collectivités et de leur groupement des outils juridiques pour leur permettre d’intervenir, de la manière la plus adaptée aux difficultés des copropriétés (a) notamment par la mise en œuvre d’ORCOD pour les cas les plus graves (b).
a) Les outils juridiques du traitement de l’habitat indigne en copropriété.
Depuis le constat de l’accroissement des difficultés des copropriétés, le législateur a développé un arsenal législatif de plus en plus sophistiqué, afin de traiter de la manière la plus adaptée les dysfonctionnements rencontrées par les copropriétés.
Il résulte de cette production législative, inspirée par des nombreux rapports [4] une large palette d’outils juridiques à disposition des autorités compétentes pour permettre des actions préventives, curatives voire coercitives, de manière cumulée ou autonome selon les difficultés spécifiques des copropriétés concernées.
De manière synthétique, il est possible d’identifier trois axes d’action selon le degré de difficultés rencontrées par les copropriétés (i. les copropriétés fragiles ; ii. Les copropriétés en difficultés remédiables ; iii. Les copropriétés en difficultés irrémédiables), auxquelles sont associés des outils spécifiques.
i) Pour répondre le plus efficacement aux premières difficultés, le législateur a mis en place des outils préventifs destinés à identifier les copropriétés les plus fragiles pour éviter l’entrée dans un processus de déqualification, tel que présenté plus haut.
À ce titre, ont été mis en place des outils de suivi statistiques permettant d’avoir une meilleure connaissance du parc en copropriété et de prévenir leurs éventuels dysfonctionnements :
- La « Veille et Observation des Copropriété » (VOC) constituant un outil de pré-repérage des copropriétés fragiles à l’échelle des communes (notamment par l’exploitation du fichier FILOCOM [5] regroupant des fichiers relatifs à la taxe d’habitation, au foncier (propriétés bâties), aux propriétaires et à l’impôt sur le revenu) ;
- Le registre d’immatriculation des copropriétés (RINC) imposant aux copropriétés de s’immatriculer et d’actualiser l’ensemble des données relatives à leur composition, leur état technique et financier avec pour vocation de devenir la source privilégiée pour améliorer la connaissance des pouvoirs publics et les aider à mieux cibler les politiques de prévention et de lutte contre la dégradation ;
- L’Observatoire National des Impayés Locatifs institué à la suite de la crise liée à l’épidémie de Covid et de la hausse du coût de l’énergie.
- De plus, les copropriétés subissant des difficultés en termes d’organisation ou de gestion [6] peuvent également être soutenues dans le cadre d’un Programme opérationnel de prévention et d’accompagnement des copropriétés (POPAC) visant à prévenir ou stopper les difficultés.
ii) Lorsque les difficultés des copropriétés s’aggravent tout en restant remédiables, des outils incitatifs puis coercitifs peuvent être appliqués, avec l’appui d’aides financières de l’agence nationale pour l’habitat [7], de l’Etat, des collectivités [8] ou encore de partenaires privés facilitant des offres de prêts adaptés aux copropriétés en difficulté.
Il peut notamment être cité :
- Les Opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) « Rénovations Urbaines » ou « Copropriétés en difficulté » qui sont des dispositifs permettant de soutenir financièrement, sous conditions, les propriétaires privés (occupants ou bailleurs) qui entreprennent des travaux de rénovation énergétique ou d’amélioration globale dans leur logement ;
- L’opération de restauration immobilière [9] qui, lorsque les conditions d’habitabilité des logements sont en cause, permet aux collectivités locales d’imposer un programme de travaux adaptés à la situation et, en cas de non réalisation, d’acquérir l’immeuble par voie amiable ou par voie d’expropriation [10].
Par ailleurs, en cas de difficultés importantes, un plan de sauvegarde peut être mis en place, avec ou sans signalement (étant précisé que la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 - dite loi « Alur » a mis en place une procédure d’alerte consistant en une saisine du tribunal par le syndic en cas d’impayés supérieur à 15%) afin de redresser la situation financière, réorganiser le fonctionnement de la copropriété, procéder aux travaux de conservation de l’immeuble, etc. [11].
iii) Enfin, en cas de dégradation à titre irrémédiable notamment lorsque le plan de sauvegarde a échoué, des procédures visant à démolir ou recycler les immeubles peuvent être mises en œuvre, impliquant une acquisition forcée, comme :
- La procédure spéciale d’expropriation des immeubles insalubres ou menaçant ruine dite « loi Vivien » [12] ;
- La procédure d’expropriation pour état de carence de la copropriété [13], qui a fait l’objet de renforcement et d’une sécurisation pour faciliter son recours [14]. ;
- L’opération de requalification des copropriétés dégradées qui peut être déclaré d’intérêt national (« ORCOD » et « ORCOD-IN »).
b) Le cas des opérations de requalification des copropriétés dégradées et des opérations de requalification des copropriétés dégradées déclarées d’intérêt national (ORCOD et ORCOD-IN).
Le dispositif de l’ORCOD [15]- notamment mis en œuvre à Clichy-sous-Bois où le film « Bâtiment 5 » paraît réalisé - constitue une des mesures importantes de la loi Alur du 24 mars 2014 pour traiter, de manière globale, les copropriétés situés dans des quartiers massifs et complexes où l’état de dégradation exige un important investissement financier, une ingénierie importante et une action d’ensemble [16].
Mis en place par l’État, les collectivités ou leurs groupements, une ORCOD peut être déclarée d’intérêt national permettant l’intervention d’un Etablissement public Foncier d’État ou, lorsque les territoires ne sont pas couverts par un tel établissement, un autre opérateur qui peuvent, depuis la loi n° 2018-1021 dite Elan du 23 novembre 2018, bénéficier du concours d’un établissement public d’aménagement [17].
L’intérêt particulier des ORCOD réside dans le fait qu’elles offrent un cadre contractuel global pour traiter de manière coordonnée l’ensemble des difficultés (dysfonctionnement internes de la copropriété, problèmes urbain, sociaux ou liés au marché de l’habitat) et permettent ainsi le recours à un éventail d’outils large comme :
- un dispositif d’intervention immobilière et foncière incluant des actions d’acquisition, de travaux et de portage ;
- un plan de relogement et d’accompagnement social des occupants [18] ;
- la mise en place d’un plan de lutte contre l’habitat indigne (avec un droit de préemption urbain renforcée avec obligation de joindre un rapport sur l’état du logement à la déclaration d’intention d’aliéner). Parallèlement, l’État mobilise des moyens plus important dans le cadre de ces opérations en renforçant les agences régionales de santé pour lutter contre l’insalubrité ;
- la mise en œuvre d’actions ou d’opérations d’aménagement ;
- la possibilité d’utiliser la procédure d’administration provisoire renforcée.
Le dispositif des ORCOD ne cesse d’être renforcé par le législateur [19]et s’appuyant notamment sur le retour d’expériences des opérateurs en charge des ORCOD, le projet de loi - en cours de discussion à l’Assemblée Nationale - envisage de nouvelles améliorations en :
- prévoyant un nouveau régime plus efficient de réorganisation forcée des copropriétés, afin d’assurer une meilleure prise en charge des immeubles en voie de dégradation en déconcentrant la prise de décision au niveau de gestion le plus pertinent et, le cas échéant, en isolant les immeubles les plus en difficulté nécessitant une restructuration/démolition de ceux susceptibles de faire l’objet de mesures de redressement ;
- adaptant la procédure de prise de possession anticipée spécifiquement aux ORCOD (cette dernière renvoyant actuellement, pour son application, à la loi du 29 décembre 1892 initialement prévue pour des terrains non bâtis), en vue d’accélérer le relogement des occupants et de sécuriser, dans cette attente, les conditions d’habitabilité des immeubles.
L’étoffement de ce dispositif pourra contribuer à une action plus adaptée aux diverses situations pouvant être rencontrées dans ces opérations sensibles et délicates.
2. L’expropriation dans les copropriétés dégradées.
Une des scènes du film évoque les sentiments de colère et d’injustice perçus par un propriétaire occupant qui apprend le départ contraint de son logement et recevant une proposition financière de rachat jugée faible ; dans un entretien, le réalisateur expliquait que : « L’expropriation des gens avec rachat de leurs appartements à des montants ridicules montrée dans ce film est une réalité qui m’a marqué ».
Cela mérite d’expliquer comment sont établies les offres d’indemnisation dans le cadre d’une expropriation d’un immeuble compris dans une copropriété dégradée (a) et de présenter les mesures du projet de loi qui a pour but de faciliter le redressement des copropriétés et, partant, d’éviter le départ contraint de « copropriétaires vertueux » (b).
a) L’estimation de la valeur d’un bien exproprié dans une copropriété dégradée.
Tout propriétaire exproprié a droit à une « juste et préalable indemnité » [20], couvrant l’intégralité de son préjudice direct, certain et matériel [21].
Plus concrètement, la procédure d’acquisition relative à la phase judiciaire d’une expropriation implique un volet amiable préalable constituée par la notification d’une offre d’indemnisation, qui peut être refusée et provoquera, après l’écoulement d’un délai de droit commun d’un mois, la saisine du juge de l’expropriation [22].
Cette offre d’indemnisation n’est toutefois pas établie arbitrairement et résulte, obligatoirement [23], d’un avis de la Direction Nationale d’Interventions Domaniales ou de la Direction Immobilière de l’État, qui a pour objet d’apprécier la valeur vénale d’un bien exproprié.
Comme le rappelle la Charte de l’évaluation du Domaine, l’obtention de cet avis se justifie par « la nécessité d’une plus grande transparence de l’action publique en matière immobilière et d’une meilleure maîtrise de la dépense publique ».
Soumis aux règles de comptabilité publique ainsi qu’à des contrôles budgétaires stricts, les personnes publiques ne peuvent octroyer des avantages financiers injustifiés et sont donc tenus de proposer des offres d’un montant limité par cet avis.
Pour déterminer la valeur vénale d’un bien, les évaluateurs appliquent une méthode d’évaluation dite « par comparaison », également appliquée par le juge de l’expropriation en l’absence d’accord sur le montant de l’offre
Pour une présentation plus complète des méthodes d’évaluation : L’évaluation d’un bien devant le juge de l’expropriation.
Cette méthode consiste à valoriser un bien en tenant notamment compte de sa situation géographique et de sa consistance matérielle, au regard de mutations portant sur des biens présentant des caractéristiques physiques et juridiques proches ; en d’autres termes, la valeur du lot de copropriété sera déterminée selon la valeur du marché immobilier et, en l’occurrence, le marché d’un appartement d’un immeuble situé dans une copropriété qui subit une forte dégradation sur le plan matériel et financier.
Souvent, les mutations retenues pour établir la valeur d’un tel bien correspondront à des ventes par adjudications judiciaires et donc à des prix pouvant être très faibles et investis, la plupart du temps, par des « propriétaires indélicats » (ou marchands de sommeil).
En effet, l’état de la copropriété - qui implique le paiement de charges très élevées pouvant aller jusqu’à environ 1 500 euros par trimestre - dissuade de potentiels acquéreurs et, partant, dévalorise les lots privatifs, ce qui explique notamment pourquoi les propriétaires reçoivent des propositions d’indemnisation jugées faibles et, en tout état de cause, inférieures à la valeur d’acquisition, ce qui peut être perçu comme injuste pour les plus vertueux, ayant toujours payé leur charge de copropriété et entretenu leur bien.
Si l’offre de rachat tient compte de l’état d’entretien des lots privatifs [24], le montant proposé - plafonné pour les raisons qui viennent d’être évoquées - ne permet pas toujours une nouvelle acquisition.
De même, si les propriétaires occupants bénéficient d’un droit au relogement [25], il existe un déclassement résidentiel où les propriétaires deviennent locataires et le fait de bénéficier d’un relogement - considéré comme une réparation en nature - justifie l’application d’un « abattement pour relogement » sur la valeur vénale du bien, afin de « tenir compte de l’avantage procuré à l’exproprié », comme l’a très récemment rappelée la Cour de cassation dans un avis publié au Bulletin [26].
Malgré ce sentiment d’injustice, il n’en demeure pas moins que les personnes publiques compétentes sont contraintes d’intervenir, compte tenu de l’état de dégradation de certaines copropriétés, notamment pour assurer la sécurité des occupants et ne peuvent indemniser au-delà de ce qui leur est permis, étant précisé que les offres comprennent également des indemnités accessoires qui sont aussi allouées par le juge de l’expropriation [27].
Si cela peut paraitre insuffisant pour atténuer le sentiment d’injustice perçu par les propriétaires vertueux, le projet de loi précité prévoit certaines mesures visant à favoriser le redressement des copropriétés et éviter leur départ.
b) Les mesures du projet de loi en cours visant à faciliter le redressement des copropriétés.
Plusieurs mesures envisagées dans le projet de loi n° 1984 susvisé ont pour objectif de « moderniser les outils à la main des collectivités territoriales et des opérateurs pour permettre une intervention le plus en amont possible. Elle vise également une simplification des procédures judiciaires et administratives. Ces deux objectifs doivent permettre de réduire le délai de redressement/traitement des copropriétés dégradées ».
Il a, en effet, été constaté que les délais administratifs et judiciaires inhérents aux outils juridiques à disposition des personnes publiques compétentes peuvent impliquer des délais longs et que le redressement de la copropriété nécessite une intervention le plus en amont possible et rapide ; ce redressement bénéficiera aux « propriétaires vertueux », mais il s’agit également d’un enjeu de finances publiques dans la mesure où une intervention tardive, impliquant le recyclage ou la démolition d’un immeuble, engendra des dépenses publiques plus importantes.
Pour atteindre l’objectif affiché du projet de loi, il est ainsi prévu d’étendre le régime de l’opération de restauration immobilière (ORI) - évoquée plus haut - dès qu’il y aura atteinte avérée à l’intégrité ou à la sécurité des occupants, ce qui - selon l’étude d’impact - permettra « d’anticiper de plusieurs années le traitement des difficultés évitant ainsi un cycle de dégradation inéluctable ».
Dans la même optique, il est également proposé la création d’un nouveau régime de réorganisation forcée des copropriété (scission ou création de syndicats secondaires), dans le cadre d’une ORCOD ou d’une ORCOD IN.
Tirant notamment les enseignements de l’ORCOD IN de Grigny où la scission de Grigny 2 a débuté en 2014 pour aboutir fin 2021 (soit 7 ans), cette mesure est censée « permettre une accélération de la procédure » qui sera appliquée sous le contrôle du juge judiciaire qui désignera un expert [28].
Par une réorganisation plus rapide de la copropriété, il sera envisageable d’isoler les immeubles les plus en difficulté nécessitant une restructuration/démolition de ceux susceptibles de faire l’objet de mesures de redressement, évitant le départ de certains occupants.
Enfin, la sécurisation du droit de préemption urbain renforcé - également prévue dans le projet de loi - favorisera l’introduction d’acteurs institutionnels susceptibles de se doter d’une expertise particulière en matière de gestion pour redresser la copropriété, au lieu de propriétaires indélicats (ou marchand de sommeil) ne s’acquittant pas des charges de copropriétés et bloquant les réinvestissements nécessaires.
3. La police administrative spéciale de la sécurité et de la salubrité des immeubles.
Le 8 juin 2016, un morceau de façade de 15 m² du bâtiment Ronsard de la copropriété de l’Etoile du Chêne Pointu, dans le périmètre de l’ORCOD IN du Bas-Clichy, s’est effondré, conduisant à l’intervention d’un arrêté municipal de péril imminent ordonnant également l’évacuation en urgence d’environ 400 personnes [29] ; cet évènement semble avoir inspiré le réalisateur du film « Bâtiment 5 » dans lequel est mise en scène l’évacuation en urgence d’un bâtiment et les difficultés rencontrées par les occupants.
Cette séquence illustre ainsi l’application d’une police administrative spéciale qui a récemment évolué, notamment après d’autres évènements du même ordre qui ont marqué l’actualité [30].
En effet, l’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 [31]a créé une nouvelle et unique police administrative spéciale de la sécurité et de la salubrité des immeubles [32], en remplacement de plus d’une dizaine de procédures existantes relevant de plusieurs codes (santé publique, construction et habitation).
Elle uniformise également la procédure quelle que soit l’autorité compétente qui l’engage [33]et a aussi pour objet de renforcer leur capacité à intervenir dans des délais très brefs.
Par exemple, alors qu’avant l’intervention de cette ordonnance, l’évacuation de l’immeuble ne pouvait être prononcée qu’après l’établissement d’un rapport d’expertise concluant à l’existence d’un péril grave et imminent [34], ce qui impliquait sa désignation par le tribunal administratif territorialement compétent et, ainsi, des délais de procédures qui pouvaient être incompatibles avec l’urgence.
Désormais, en cas de danger imminent et manifeste [35], l’autorité compétente peut prendre, par arrêté et sans procédure contradictoire préalable, toutes les mesures indispensables pour faire cesser le danger.
L’aspect coercitif de cette police administrative spéciale, renforcé par l’ordonnance susvisée notamment dans la lutte contre l’insalubrité et les marchands de sommeil, est accompagné de dispositions relatives à la protection des occupants [36].
Les propriétaires ou, en cas d’inexécution, la personne publique compétente [37]sont, par exemple, tenus d’assurer l’hébergement ou le relogement des occupants, selon que l’interdiction d’habiter est temporaire ou définitive [38].
Hors du champ de mise en œuvre de cette police administrative spéciale, le législateur a également réagi au risque d’une dégradation incontrôlée d’un bâtiment provoquant l’évacuation en urgence, particulièrement dans une ORCOD où la dégradation peut être telle qu’elle peut rapidement menacer la sécurité des occupants.
La loi Elan du 23 novembre 2018 permet, par exemple, dans ces opérations, l’application de la procédure de prise de possession anticipée [39]pour accélérer le relogement des occupants [40] ; cette prise de possession offre également la possibilité de réaliser des travaux urgents de sécurisation et d’habitabilité.
Comme indiqué plus haut, le projet de loi n°1984 relative à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement a aussi pour objet de renforcer la sécurité juridique de cette procédure en adaptant spécifiquement les modalités pratiques de sa mise en œuvre.
Si de nombreux outils juridiques - sans cesse améliorés et renforcés par le législateur - sont mobilisables par les personnes publiques compétentes pour répondre aux diverses problématiques (brièvement évoquées ici) liés à l’habitat indigne et au mal logement, leur efficacité dépend également des moyens humains, techniques et financiers qui seront déployés, compte tenu de la complexité des situations et des coûts engendrés.
Notes :
[1] Projet de loi n° 1984 relative à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.
[2] ORCOD et ORCOD-IN.
[3] Par la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007
[4] Dont les plus importants sont les rapports de Dominique Braye, alors président de l’ANAH, de janvier 2012, de Pierre Sallenave, alors directeur général de l’ANRU (agence de coordination et de financement du Programme National de Rénovation Urbaine et Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain respectivement lancés respectivement par les lois n° 2003-710 du 1er août 2003 et n° 2014-173 du 21 février 2014) et de Claude Dilain, ancien maire de Clichy-sous-Bois et ancien sénateur, d’avril 2013.
[5] Fichier des Logements par COMmune.
[6] Absence de syndic, règlement de copropriété inexistant ou pas à jour, pas de compte bancaire au nom du syndic, etc.
[7] L’Anah, actrice majeure de la mise en œuvre des politiques d’aides aux copropriétés fragiles ou en difficulté depuis la loi n° 2000-1208 solidarité et renouvellement urbains du 13 décembre 2000.
[8] Travaux d’urgence financés à 100%, bonification des aides des collectivités locales, amélioration aide à la gestion, etc.
[9] Article L313-4 du Code de l’urbanisme.
[10] Article L313-4-1 du Code de l’urbanisme ; pour l’appréciation de la légalité de ces opérations : CE, 30 octobre 2023, n° 474408.
[11] Article L615-1 du Code de la construction et de l’habitation ; articles 29-1 A et suivants de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.
[12] Prévue aux articles L511-1 à L511-9 et R511-1 à R511-3 du Code de la construction et de l’habitation.
[13] Prévue aux articles L615-6 et suivants du Code de la construction et de l’habitation.
[14] Cf. la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 - dite loi « Alur » - et la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et numérique dite loi « Elan »
[15] Codifiée aux articles L741-1 et L741-2 du Code de la construction et de l’habitation.
[16] Exemples d’ORCOD créées : Clichy-sous-Bois, Grigny, Argenteuil, Mantes-la-Jolie, Nîmes, Villepinte ; en outre, la création de quatre ORCOD-IN à Marseille est à l’étude.
[17] L’Etablissement Public Foncier d’Ile-de-France bénéficie ainsi du soutien de Grand Paris Aménagement pour l’ORCOD IN de Clichy-sous-Bois et de l’EPAMSA pour l’ORCOD IN du Val Fourré.
[18] La loi « ELAN » a d’ailleurs consacré la priorisation du relogement des ménages dans les ORCOD de droit commun et, pour accélérer ce relogement, a permis le recours à la procédure d’extrême urgence pour une prise de possession immédiate des immeubles dégradés (procédure d’extrême urgence prévue à l’article L522-1 du Code de l’expropriation ; cf. étude d’impact de la loi n° 2018-1021 dite « ELAN » du 23 novembre 2018.
[19] Cf. loi n° 2018-1021 dite « ELAN » du 23 novembre 2018.
[20] Article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789.
[21] Article L321-1 du Code de l’expropriation.
[22] Article R311-9 du Code de l’expropriation.
[23] L’article R1211-3 du Code général de la propriété des personnes publiques impose à une autorité expropriante de solliciter l’avis du directeur départemental des finances publiques avant de notifier ses offres.
[24] Notons, ici, qu’une grille de décote correspondant à l’état du lot privatif est notamment mise en œuvre par l’Établissement Public Foncier d’Ile-de-France au sein des ORCOD-IN et un rapport conduit par Mathieu Hanotin, Maire de Saint-Denis, et Michèle Lutz, Mairesse de Mulhouse, invite à généraliser une telle pratique.
[25] Prévu à l’article L314-2 du Code de l’urbanisme et qui impose à l’autorité expropriante de leur proposer au moins deux offres de relogement de biens offerts en location qui répondent à des normes minimales d’habilité, dans un bon en bon état d’entretien et qui correspondent en termes de surface et de composition aux besoins personnels et familiaux des occupants ainsi qu’à leur possibilité financière, et ce dans une situation géographique limitée (même commune ou une commune limitrophe).
[26] 3e Civ., 16 novembre 2023, avis n° 23-70.011, Publié au bulletin.
[27] Par exemple, l’indemnité de remploi ou l’indemnité de déménagement, cette dernière pouvant être « en nature » ou « en argent » sur la base de devis préalables.
[28] Étude d’impact du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement, page 135.
[29] Près de 70% des ménages de l’immeuble Ronsard étaient définitivement relogés ou sur le point de l’être, au 1er septembre 2016.
[30] Effondrements des immeubles en centre ancien de la rue d’Aubagne à Marseille, ou encore à Lille ou Bordeaux ; dégradation des grands ensembles à Nîmes, etc.
[31] Ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations prise sur le fondement de l’article 198 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN).
[32] Appelée, auparavant, police des édifices menaçant ruine.
[33] Maires, Préfets, Présidents d’établissement publics de coopération intercommunale (EPCI).
[34] Ancien article L511-3 du Code de la construction et de l’habitation.
[35] Article L511-19 du Code de la construction et de l’habitation : « En cas de danger imminent, manifeste ou constaté par le rapport mentionné à l’article L511-8 ou par l’expert désigné en application de l’article L511-9, l’autorité compétente ordonne par arrêté et sans procédure contradictoire préalable les mesures indispensables pour faire cesser ce danger dans un délai qu’elle fixe ».
[36] Articles L521-1 à L521-4 du Code de la construction et de l’habitation.
[37] Maire ou Président de l’EPCI.
[38] Articles L521-3-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation.
[39] Article L522-1 du Code de l’expropriation.
[40] Étude d’impact n°846 du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
Louis Chevallier
Avocat au barreau de Paris
Arkeo Avocats