C’est de loin l’une des problématiques les plus commune et courante en copropriété. Tout syndic est confronté au moins une fois dans son exercice (en réalité beaucoup plus) à la question du changement d’affectation d’un lot. Dans les faits, la situation est souvent excipée non pas a priori mais a postériori. En ce sens, le syndic se trouve face à un copropriétaire qui utilise d’ores et déjà son lot de manière illégale, pour une activité prohibée et non conforme à l’usage défini par le Règlement de copropriété. Or, tout l’enjeu va être de faire comprendre au copropriétaire litigieux l’irrégularité de ses agissements. Le dialogue est alors peu évident et quelques clefs légales à la disposition des syndics permettront d’éviter un contentieux.
Le cas typique que je rencontre dans mes dossiers est le suivant. Un copropriétaire, las de la paperasse administrative et de la monotonie professionnelle décide, dans une dynamique entrepreneuriale, de créer sa propre activité. Et pourquoi pas la restauration !
Ce juriste de formation en est certain, le droit de propriété en France c’est sacré : chacun peut disposer librement de son logement, sous réserve de ne pas porter atteinte à celui d’autrui. Coup de chance, son appartement est au rez-de-chaussée de l’immeuble et donne accès directement sur la voirie. En outre, les locaux sont parfaitement adaptés, aucun mur porteur à détruire, pas besoin de toucher à la façade l’immeuble, aucune trémie à réaliser…Finalement, il ne s’agit que d’une simple rénovation. De ce fait, aucune demande d’urbanisme n’est déposée et un simple mot manuscrit est collé dans l’ascenseur pour informer les voisins de vos travaux.
Pourtant, le jour de l’ouverture c’est le drame. À l’entrée du restaurant, comme premiers clients : un inspecteur de l’urbanisme, le syndic de la copropriété accompagné d’un huissier et, même, un membre de la Chambre professionnelle des restaurateurs. Tous veulent faire fermer boutique.
La situation semble grotesque et pourtant elle est concrète. Si la plupart des propriétaires ne parviennent pas jusqu’au démarrage de leur nouvelle activité, étant généralement interpellés préalablement par le syndic ou les autres copropriétaires, l’incompréhension sur la nécessité d’obtenir des autorisation de plusieurs ordres pour exercer un changement d’affectation est bien réelle. Or, tout cela est évitable. Tout du moins en amont.
I. Le changement d’affectation : le respect des règles d’urbanisme et de construction
Lorsque que l’on parle de changement d’affectation, on englobe largement deux notions distincts mais complémentaires : le changement de destination et le changement d’usage.
Le changement de destination : il s’agit ici d’une règle urbanistique. L’article R.151-27 du Code l’urbanisme définit cinq types de destination :
1° Exploitation agricole et forestière ;
2° Habitation ;
3° Commerce et activités de service ;
4° Equipements d’intérêt collectif et services publics ;
5° Autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire.
Ces cinq classes sont elles-mêmes déclinées en vingt et unes autres sous-sections [1].
En tout état de cause, il y’a changement de destination si un local ou une construction passe d’une catégorie à une autre.
Dans ce cas la règle est simple :
Soit la construction porte atteinte à des éléments structurels du bâtiment et/ou comprend des travaux de gros-œuvres. Dans ce cas, il conviendra de déposer un dossier de permis de construire [2] ;
Soit la construction est légère et dans ce cas une simple déclaration préalable en mairie sera nécessaire [3].
Dans tous les cas, le changement de destination doit respecter le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la commune.
Le changement d’usage : il s’agit ici d’une règle d’habitation. Elle vise à éviter une utilisation anarchique des locaux et une dénaturation du paysage urbain. Dans ce cas, la vision est quasiment binaire étant donné qu’il s’agit de savoir si le local est soit à usage d’habitation, soit à usage professionnel (il existe aussi une catégorie mixte).
L’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que pour les communes de plus de 200.000 habitants et, globalement, pour les villes d’Ile-de-France, l’obligation de solliciter une autorisation préalable auprès de la Mairie. Pour exemple, à Paris, les demandes de changement de destination et celles de changement d’usage sont traitées par les mêmes services.
Le changement d’usage s’applique dans les deux sens, d’habitation à professionnel et inversement. Il est attaché à la personne, incessible et temporaire. Il ne sera donc pas envisageable de l’affecter à un fonds de commerce par exemple.
II. Le changement d’affectation : le respect des règles de copropriété
C’est malheureusement un oubli trop récurrent. J’observe assez régulièrement des dossiers dans lesquels les propriétaires sont dans l’incompréhension. Ils ont effectué toutes les démarches et ont obtenu les autorisations pour le changement d’affectation. L’un d’eux même, accompagné de son notaire, m’avait brandi la matrice cadastrale avec l’inscription de la nouvelle destination.
Dont acte ! Toutefois, les règles d’urbanisme et de construction ne sont pas exclusives de celle de la copropriété. Les deux sont mêmes cumulatives. Car, si le droit de propriété est libre, la première chose est de respecter son voisin copropriétaire.
L’article 8 (I) de la Loi du 10 juillet 1965 énonce :
« Un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l’état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance ; il fixe également, sous réserve des dispositions de la présente loi, les règles relatives à l’administration des parties communes. Il énumère, s’il y a lieu, les parties communes spéciales et celles à jouissance privative.Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation. »
Il faut comprendre deux choses de cette disposition.
Tout d’abord, si chaque propriétaire peut disposer librement de son logement, ce droit est limité par deux conditions :
L’usage ou la jouissance ne doit pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires ;
L’usage et la jouissance ne doit pas porter atteinte à la destination de l’immeuble.
Ensuite, en cas de changement d’affectation, le copropriétaire doit se référer à son Règlement de copropriété. Or, il n’est pas rare qu’un Règlement de copropriété ou un Etat descriptif de division, s’il est inclus dans le Règlement (seul document à valeur contractuelle), prévoit une clause dite « d’occupation bourgeoise » qui limite l’exercice de certaines activité professionnelle.
Le cas échéant, le changement d’affectation ne sera possible que par un vote des copropriétaires.
Précision enfin que cette clause peut être contestée et que les juges en feront une appréciation au cas par cas, afin de déterminer si elle est sans rapport avec la destination de l’immeuble (situation géographique…) ou l’évolution de l’immeuble.
III. Le changement d’affection : le respect des règles professionnelles
C’est le dernier point et il est propre à chaque profession. L’affection d’un local à un usage commercial peut être limitée en fonction de l’activité exercé.
Pour illustration, un cabinet d’avocat ou de médecine doit être agréé par l’Ordre déontologique. La raison tient au caractère approprié du local pour recevoir de la clientèle ou de la patientèle dans des conditions permettant notamment de préserver la confidentialité.
Autre exemple, les salons de coiffeurs. Beaucoup de contrats de coiffeurs sont grevés d’une clause de non concurrence leur interdisant de s’implanter dans la zone géographique de leur ancien salon en cas de départ. Ces clauses doivent naturellement être limitées dans le temps et dans l’espace.
En conclusion, le changement d’affectation nécessite de se préoccuper préalablement de l’ensemble de ces conditions, tant d’un point de vue urbanistique, de la copropriété que des règles professionnelles. La connaissance de ces règles par le syndic permet généralement de limiter les contentieux par une information précise donnée au copropriétaire litigieux.
Notes :
[1] Article R. 151-28 du Code de l’urbanisme.
[2] Article R. 421-14 du Code de l’urbanisme.
[3] Article R. 421-17 du Code de l’urbanisme.
Charles Dulac
Avocat