Notoriété et partage : le notaire à l’épreuve du droit musulman
En droit français, le notaire dresse un acte de notoriété. Cette procédure répond à des règles très strictes et à des vérifications approfondies.
En droit musulman, l’acte de partage est appelé fredha (ou freda/frida). On peut le définir comme l’acte effectué par un adoul, notaire de droit musulman, dans le cadre d’une succession à la suite d’un décès. La succession obéit aux règles du code de la famille issu du droit musulman. C’est ainsi que pour hériter d’un musulman, il faut être musulman. Des plus, les enfants adoptés par kefala [1] n’ont aucun droit. Autre particularité : les femmes et les enfants naturels perçoivent des droits réduits.
Concernant la désignation des héritiers, les différences sont considérables entre nos deux législations. Reporter les bénéficiaires d’une fredha dans un acte de notoriété n’a donc aucune justification juridique. Cet acte de partage peut utilement renseigner sur la situation de la famille, mais son rôle se limite à cette information.
De plus, les conditions de rédaction de la fredha n’ont rien à voir avec le formalisme de l’acte de notoriété. La fredha est en effet rédigée sur la base des déclarations de deux témoins ayant bien connus le défunt. Certes, les héritiers déclarés doivent prouver leur qualité par la production d’actes d’état-civil, mais il n’en demeure pas moins que, dans les faits, de nombreux ayants droit sont « oubliés » dans les fredha. C’est ainsi que les tribunaux croulent sous les procédures en lien avec des conflits successoraux.
Si la fredha, document de partage basé sur le droit islamique, s’avère un excellent outil de renseignement pour le notaire français en charge d’une succession, elle ne peut donc constituer un outil juridique suffisant à la rédaction de l’acte de notoriété, et ce pour deux raisons :
- Les bénéficiaires et les taux de partage sont différents ;
- Il s’agit avant tout d’un acte basé sur des déclarations.
Dans la pratique, il convient donc de vérifier avec beaucoup d’attention les éléments recueillis dans le cadre de la communication d’une fredha.
Illustrations pratiques de successions entre la France et le Maghreb
Deux exemples rencontrés en pratique illustrent parfaitement les problèmes précédemment évoqués :
- Mohamed décède en France, célibataire et sans enfant. Deux frères sont connus du notaire ; les vérifications en Algérie et la consultation de la fredha confirment cette dévolution successorale. Toutefois, des investigations approfondies font apparaître l’existence de neveux, fils d’un frère défunt. C’est en toute légalité que ces neveux n’apparaissent pas sur la fredha et, pourtant, ils doivent figurer sur l’acte de notoriété ;
- Ahmed décède en France. Il a pour descendance deux filles qui seront ses seules ayants droit. Sur la fredha au Maroc apparaissent également les frères du défunt, qui n’ont cependant aucune légitimité en droit successoral français.
Il est indéniable que la multiplication de ces successions franco-maghrébines complique la tâche du notaire français, d’autant qu’un état-civil parfois lacunaire, des dates de naissance incertaines ainsi que des transcriptions de patronymes erronées accentuent les difficultés.
Ces successions doivent donc faire l’objet d’une attention toute particulière et, si une fredha figure au dossier, le notaire français ne doit pas hésiter à prendre attache avec son confrère maghrébin pour se faire préciser les conditions de rédaction de l’acte de partage.
Daniel MILLERAND
Généalogiste successoral
Notes :
[1] Procédure d’adoption spécifique au droit musulman qui correspond à une tutelle sans filiation.