Les faillites d’études généalogiques survenues au cours de l’année dernière ont marqué la profession. La plus retentissante a sans nul doute été celle de l’étude Maillard, tant par l’ancienneté et la notoriété de l’étude que par le statut de son dirigeant, à la tête d’une des organisations de la profession avant la faillite de son étude. À vrai dire, l’étude Maillard n’en était pas à sa première incartade puisque, en 2006, elle avait fait l’objet d’un redressement fiscal pour avoir déduit en frais professionnels des cadeaux, chèques-cadeaux et autres bouteilles de champagne qui avaient été offerts à des notaires et à des administrateurs judiciaires. Même après cela, son comportement avait continué de détonner : « il semble que le problème chez Maillard, souligne Pierre Kerleveo, généalogiste à Lille, tenait à ce que les collaborateurs étaient incités à retarder sous des excuses diverses la distribution des fonds héritiers ». Le fonds client servait alors à faire fonctionner le compte courant du cabinet afin de masquer les conséquences financières d’une gestion pour le moins problématique.
Durant les années 2004-2006, la profession avait déjà traversé une crise semblable qui l’avait amené une forte remise en question interne. C’est à partir de ce moment que chaque étude a dû disposer de deux comptes séparés, alors que les fonds des héritiers arrivaient auparavant directement sur le compte de l’étude. Cela semble aujourd’hui évident, mais a suscité bien des réticences à l’époque. D’autres changements ont alors suivi, comme la suppression de la commission aux apporteurs d’affaire et la loi de 2006 qui créa le mandat de recherche d’héritiers.
Aujourd’hui, toute la profession est consciente que le moment est venu de réformer les pratiques et les dispositifs relatifs aux fonds client, afin de les sécuriser de la manière la plus efficace possible. Toute la question porte sur la ou les manières de parvenir à cet objectif.
Pour Généalogistes de France, l’organisation qui regroupe 95 % de la profession, la première réaction a consisté à s’assurer, via une expertise de KPMG, que les études disposaient bien de comptes séparés sans transfert injustifié. Elle a également lancé une autre réforme sur les garanties assurantielles, en relevant les plafonds et en demandant à ses membres de mentionner à leur assureur quand les fonds clients augmentent, de manière à faire évoluer les garanties proportionnellement.
Concernant la gestion des fonds à proprement parler, différentes options sont envisagées. Une première solution possible consiste à transférer les fonds clients à la Caisse des Dépôts et Consignations, ce que semblent se décider à faire certains des plus gros cabinets. Une autre possibilité, suggérée notamment par le généalogiste Jean-Philippe Guenifey, consiste à recourir au système de la fiducie, par le recours à « un tiers de confiance, le fiduciaire, qui reçoit les fonds du notaire et fait parvenir au généalogiste les fonds lui revenant ». Une troisième manière de faire consisterait à laisser les notaires transférer directement les fonds aux héritiers : « un nombre croissant de généalogistes se fait maintenant rémunérer par le notaire, indique Pierre Kerleveo, sur présentation d’une facture d’honoraires approuvée par les ayants droit. C’est une possibilité que certains de mes confrères et moi-même proposons aux notaires avec qui nous travaillons. Il ne viendrait pas à l’idée du notaire de confier le prix de vente de la maison à l’agent immobilier. Nous pensons que les généalogistes successoraux pourraient fonctionner de la même manière ».
Dans l’hypothèse où aucune de ces options ne serait retenue comme la nouvelle norme, et où chaque étude déciderait de son fonctionnement, il conviendrait néanmoins de se demander comment contrôler les études qui continuent de faire transiter les fonds clients par leurs comptes. Nous avons vu que les garanties assurantielles peuvent faire partie de la réponse, mais se pose également la question des contrôles : faut-il faire appel au cabinet KPMG pour vérifier les comptes déjà certifiés par l’expert-comptable et créer ainsi une sorte de label ? ou le travail de l’expert-comptable est-il déjà suffisant, pour autant que le notaire demande à le consulter ? Dans tous les cas, le diable est dans les détails puisqu’il s’agit de vérifier autant les transferts entre les deux comptes que de s’assurer, d’une part, que le compte héritiers ne fait l’objet d’aucun placement ou rémunération au bénéfice de l’étude et, d’autre part, que l’ensemble des frais de fonctionnement liés au compte bancaire « héritiers » sont bien pris en charge par l’étude.
Des conséquences moins dramatiques que les unes de journaux
« Comment plusieurs centaines d’héritiers se retrouvent... sans héritage », titrait le Figaro le 20 octobre dernier. Mais rien n’est encore sûr dans le cas de l’étude Maillard. Le fonds client est en effet abondé de plusieurs manières : la liquidation des biens des études, le rachat des dossiers devant le tribunal de commerce par d’autres généalogistes qui, de manière très confraternelle, ont accepté de reverser au fonds de liquidation une part majeure (entre 70 et 100%) des honoraires perçus pour ces dossiers, et enfin, il y a de fortes chances que les assurances professionnelles jouent.
Comment les notaires perçoivent-ils la généalogie successorale ? Les réponses au questionnaire diffusé par le Journal du Village des Notaires.
Comme le dit en plaisantant Pierre Kerleveo, généalogiste à Lille, « les généalogistes pensent aux notaires jour et nuit, mais l’inverse n’est pas vrai du tout ». Nous avons néanmoins voulu en savoir davantage sur la relation que ces derniers entretiennent avec la profession de généalogiste en général et avec leurs prestataires en particulier. Un premier fait ressort de cette enquête : seuls 10 % des offices notariaux n’ont jamais recours à un généalogiste, quand l’immense majorité d’entre eux y a recours entre 1 et 10 fois par an, et seulement quelques-uns plus de 10 voire plus de 50 fois par an.
L’impression générale a évolué en positif, puisque les notaires se sentent plus « rassurés sur la restitution des fonds successoraux aux ayants droit », avec des démarches effectuées « plus rapidement ». Ils se sentent davantage écoutés et les tarifs pour les vérifications sont considérés comme « plus appropriés ».
Plus de 2/3 des offices notariaux interrogés ont plusieurs prestataires, et les raisons en sont multiples. Elles tiennent autant à la volonté d’exercer sa « liberté de choix » pour ne pas être « client captif », de « tester la rapidité et l’efficacité » de différents prestataires pareillement « compétents et sérieux », de simplement « faire travailler plusieurs professionnels du secteur », mais aussi de marquer sa « neutralité ». Pour certains, « avoir plusieurs interlocuteurs est meilleur » pour des questions de disponibilité ou de « spécialisations différentes », en particulier pour les recherches à l’international. Il arrive également que des devis d’intervention soient demandés à différents généalogistes « dans le cas de recherches infructueuses qui restent à incomber à la succession ». Il peut s’agir également de montrer à ses clients qu’il n’y a pas de « favoritisme », que le généalogiste est un prestataire comme les autres jugé à l’aune de ses compétences. Il arrive même que les héritiers eux-mêmes décident du généalogiste ou que le dossier vienne d’un autre office. Pour la démarche inverse, qui consiste à n’avoir qu’un seul prestataire, la motivation principale tient à « une relation établie et qui fonctionne bien ».
Comment ont évolué les besoins ? Les notaires interrogés font de plus en plus appel aux généalogistes en raison de la « complexité des dévolutions » ainsi que pour des confirmations de dévolutions, en raison de la « disparition des notoriétés établies uniquement sur la déclaration des témoins ». Ils se disent également mieux « sensibilisés » à la démarche des généalogistes successoraux. À l’inverse, les notaires sont de plus en plus nombreux à se servir des réseaux sociaux pour réaliser les recherches par eux-mêmes.
Pour Antoine Djikpa, Président de Généalogistes de France : « Nos membres sont les seuls à apporter le maximum de garanties aux notaires »
Quelles garanties apportez-vous ?
Représenter 95% de la profession nous oblige à être responsables. Nous garantissons désormais la représentation des fonds via l’audit obligatoire de KPMG et bénéficions de garanties financières renforcées avec LSN, également courtier des notaires.
Qui conserve les fonds ?
Ce serait une contrainte excessive pour un notaire d’établir les comptes de répartition et une insécurité juridique d’être chargé de l’exécution d’un contrat auquel il n’est pas partie. Nous préférons travailler avec la Caisse des Dépôts et Consignations pour créer des comptes séparés. Cette solution a aussi la préférence des pouvoirs publics.
Jordan Belgrave
Article initialement publié dans le Journal du Village des Notaires n°68