Clarisse Andry : Dans votre pratique, constatez-vous que la question de l’écologie est plus présente dans la préoccupation des acheteurs ?
Loïc Lecuyer : Oui, nous constatons un intérêt grandissant des acquéreurs sur cette question. La production des différents diagnostics, dont le diagnostic de performance énergétique (DPE), a commencé à les sensibiliser sur cette question depuis quelques années maintenant. Mais l’interrogation des acquéreurs dépasse le seul DPE. La recherche d’informations sur la qualité écologique existe dorénavant et, à mon avis, aura vocation à s’accentuer.
D’ailleurs au niveau de notre région, nous travaillons sur deux axes liés à cette problématique.
Le premier est issu de nos statistiques nationales et nous amène à une extrapolation régionale où nous essayons de dégager la valeur verte d’un logement. Cette notion peut être définie comme l’augmentation de valeur engendrée par la meilleure performance énergétique et environnementale d’un bien immobilier par rapport à un autre. L’énergie est une chose, mais il faut également tenir compte de l’accès aux transports en commun, du recours à l’énergie renouvelable, des matériaux de construction utilisés, voire de la qualité de l’air. Et nos premières analyses font ressortir un écart de valeur de 5% en moyenne par lettre de DPE pour les maisons.
Le deuxième axe sur lequel nous travaillons est d’essayer de déterminer l’impact de la desserte ferroviaire régionale (TER) sur le développement des communes desservies à partir d’une grande métropole. Nous sommes certains du résultat, mais nous essayons de le quantifier. Nous travaillons déjà, avec la SNCF, sur Rennes et sur quelques communes alentour desservies par le TER. Cette desserte a évidemment un impact sur la valeur des biens.
C.A. : Quel est votre regard sur la question de l’accès au droit et quelles actions mènent le Conseil régional ?
L.L. : Dans le cadre de la discussion sur la loi Macron, le ministre et le législateur disaient être très sensibles au maillage territorial du notariat et vouloir le protéger. La qualité de ce maillage est extrêmement importante puisque la profession est souvent le seul point d’accueil du droit dans nos campagnes, alors que les autres services publics les ont depuis longtemps désertés. Au bout du compte, le ministre et le législateur ont fait exactement l’inverse de ce qu’ils prônaient, en prévoyant un plafonnement des émoluments de 10% du prix sur les petits actes, beaucoup plus nombreux en zone rurale et un plancher de 90 euros.
Ces actes vont être établis à perte. La rémunération sera de l’ordre de 4,50 euros de l’heure, quand un plombier prend 45 euros de l’heure pour sa prestation. Il n’y a pas besoin d’avoir été banquier chez Rothschild pour comprendre que, pour certaines études, nous allons tout droit dans le mur. Et le pire est que toute la communication du ministre se fait sur ce point
Si nous ne faisons rien, certains d’entre nous vont déposer le bilan avant l’été. Nous sommes en train de recenser, au niveau régional et avec l’aide du Conseil supérieur du notariat, les études fortement impactées par ce plafonnement pour leur venir en aide en urgence. Sinon, c’est la catastrophe.
C.A. : Vous avez affirmé vouloir développer la médiation par les notaires : quel est exactement leur rôle à jouer dans ces règlements de conflits amiables ?
L.L. : Mon prédécesseur Bernard Drouvin est à l’initiative de la création du Centre de médiation des notaires bretons et il m’appartient aujourd’hui de le lancer. Sur 750 notaires bretons, 100 à 120 confrères ont suivi une formation approfondie en la matière, et d’autres sessions sont en cours. Nous sommes aujourd’hui opérationnels sur toute la région. Le centre de médiation peut être saisi, soit à la demande d’un magistrat, soit directement par des particuliers. C’est ensuite le centre qui nomme un médiateur parmi les notaires formés.
Nous pouvons intervenir dans tous nos domaines de prédilection, c’est-à-dire l’immobilier, le droit de la famille et le droit des entreprises. L’exemple typique est celui des contentieux sur les servitudes qui encombrent les tribunaux et les cours d’appel. Il est passionné et souvent avec un faible enjeu financier. La médiation doit pouvoir régler ces situations et permettre de désengorger les juridictions.
Même si nous avons l’impression d’avoir toujours été des médiateurs dans l’âme, puisque c’est un peu un des fondements de notre profession, il y a quand même une technique à acquérir. La médiation, ce n’est pas de la transaction, c’est faire en sorte que les personnes elles-mêmes trouvent la solution à leur problème. Il faut les y inciter et les faire travailler. Ce n’est pas de la psychanalyse, mais presque.
C.A. : Un partenariat entre le NCE et une legal start-up (Legalstart) a récemment été conclu. Quel est votre avis sur cette initiative ?
Comme dans beaucoup de domaines, il convient de trouver un juste équilibre. Croire que tout peut être « ubérisé » serait un grand danger pour la sécurité juridique. Mais il faut rapidement déterminer ce qui peut l’être, de ce qui ne doit pas l’être.
C.A. : Pensez-vous que les notaires peuvent tirer un bénéfice de ces technologies ?
L.L. : Oui. Dans ce domaine, au niveau de la Bretagne, et de l’Ille-et-Vilaine en particulier, nous avons mis en place il y a quatre ou cinq ans un site internet d’aide à la transaction de particulier à particulier : pazapa-immo.fr. Acquéreurs ou vendeurs y trouvent tout ce dont ils ont besoin : des calculettes financières, des calculs de frais, et tous les diagnostics nécessaires. Nous l’avons développé, en raison des difficultés que nous rencontrions dans nos études, lorsque les particuliers négocient directement une vente entre eux. Ils sont certes d’accord sur le prix, mais beaucoup de points n’ont pas été évoqués. Et lorsque nous leur posons des questions qui sont incontournables, cela crée parfois des difficultés et même des rétractations. Ce site a vocation à aider les personnes dans leur projet. Il est en train de passer au niveau régional, sur les cinq départements bretons (Côtes-d’Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique et Morbihan, ndlr). Et peut-être qu’un jour, il sera national !
C.A. : Communiquer est-il devenu essentiel pour les notaires, afin de mieux faire connaître votre profession au grand public ?
L.L. : Je crois que communiquer a toujours été extrêmement important, mais c’est aujourd’hui primordial. Les instances sont là pour ça. Mais chacun à son niveau doit s’y employer également. Par exemple, depuis plus d’un an dans mon étude, nous incluons dans nos ventes immobilières un camembert en couleur, faisant ressortir la ventilation des frais d’actes improprement dénommés « frais de notaire ». Cet outil simple permet aux clients de constater que ces frais sont à concurrence d’environ 80% reversés au Trésor public, que le coût des formalités est d’environ 7%, et que les émoluments, c’est-à-dire le chiffre d’affaire de l’étude, représentent 13% de la provision demandée. L’étonnement des clients est le même à chaque fois. Ce camembert est très pédagogique.
Parfois, nous nous demandons également s’il ne faudrait pas aller vers de la « communication produit ». Par exemple, en Bretagne, les notaires ont toujours fait de la négociation immobilière. Pour certains d’entre nous, c’est un chiffre d’affaire non négligeable, et pourtant, nous avons toujours l’impression que le grand public ne le sait pas.
Propos recueillis par Clarisse Andry