Un besoin de cohérence dans le développement du territoire …
La question de l’aménagement du territoire a soulevé, pour l’équipe de ce 114ème Congrès, une grande problématique de cohérence dans les outils juridiques existants et les politiques menées jusqu’ici. L’idée a alors été, dès la détermination des thématiques, de prendre de la hauteur. « Nous avons souhaité prendre en compte la totalité du territoire et des activités, avec trois grands enjeux : nourrir la population, lui fournir de l’énergie et la loger, aboutissant ainsi à l’agriculture, la forêt et les nouvelles énergies, et la ville, explique Antoine Bouquemont, rapporteur général de ce Congrès 2018. La quatrième commission est transversale. Elle traite des moyens fiscaux et financiers concernant les sujets abordés dans les trois premières commissions. » Le financement est en effet une très bonne illustration du besoin de cohérence en la matière, comme le souligne Christophe le Guyader, président de la quatrième commission : « Notre commission a d’abord procédé à un état des lieux des aides et de la fiscalité en vigueur influant sur le territoire. Il en résulte que chaque enjeu du territoire de demain est accompagné d’un dispositif spécifique. L’étude de ces différents dispositifs nous a permis d’avoir une approche transversale de ces enjeux et d’apprécier le territoire globalement, et non secteur par secteur. » En effet, agriculture, forêt et ville ne peuvent pas être uniquement pensées indépendamment les unes des autres. Pour coexister, pour évoluer ensemble, le droit et les outils juridiques à disposition doivent s’inscrire dans une réflexion globale. Que veut-on faire du territoire de demain ?
Surtout que les politiques à mettre en place doivent répondre à des objectifs de gestion durable, que ne sont pas toujours effectifs aujourd’hui. Un constat qu’a notamment fait l’équipe d’Antoine Gence, président de la 2ème commission, au sujet de la forêt.
Celle-ci a doublé de surface en 200 ans, occupe 31% du territoire français et remplit plusieurs fonctions : économiques (bois de chauffage, bois d’œuvre, bois matériau), sociales (l’occasion pour l’homme urbain de se ressourcer), mais surtout environnementales : « la forêt est importante pour la ressource en eau, parce que c’est un endroit où il n’y a pas du tout de phytosanitaire, précise Antoine Gence. C’est aussi un réservoir de biodiversité, ainsi qu’un puits à carbone : la forêt agrège le carbone dans ses fibres, et permet de limiter les effets néfastes de la carbonisation de la planète. » Mais jusqu’ici, malgré plus de 250 rapports dressés depuis 1984 [1], « cette gestion durable est insuffisante. Près de la moitié de la croissance annuelle des arbres fait l’objet d’une récolte, ce qui signifie qu’inversement, 50% de la croissance annuelle des arbres n’est pas récoltée. On assiste ainsi à un stockage important de bois sur pied, ce qui n’est pas nécessairement une bonne chose, car l’arbre vieillit, meurt, et dégage alors du carbone. Sauf à ce qu’on en fasse un sanctuaire pour la biodiversité, cela a peu de sens. L’autre élément est le réchauffement climatique, qui suppose que l’homme se projette dans le temps, et qu’il puisse couper et adapter les nouvelles essences, imaginer peut-être des rotations plus courtes et qui soient moins à risque sur nos plantations. Il y a néanmoins un problème important : la balance commerciale de la filière forêt/bois est très déficitaire, alors que nous avons le troisième stock européen de bois sur pied. »
En plus des problématiques spécifiques à chaque secteur, s’ajoutent celles qui se présentent lorsqu’ils s’entrecroisent. Ville et agriculture, par exemple, doivent vivre ensemble. L’extension des villes interroge sur la sauvegarde des terrains agricoles … quand ce n’est pas l’agriculture qui s’invite dans les villes denses, comme l’envisagent les travaux de la troisième commission, présidée par Christophe Sardot. Et « l’agriculture urbaine pose pléthore de questions juridiques. D’abord, avec la copropriété :comment intégrer cette destination qui ne figure pas aujourd’hui dans les règlements de copropriété ? Ensuite si je prends des espaces urbains à bail, suis-je soumis au statut du fermage ? A notre sens, c’est le cas aujourd’hui. Puis interviennent les règles propres à SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural, ndlr), et au contrôle des structures. Quand je suis agriculteur et que je dois m’installer, on vérifie mes compétences. Pourquoi est-ce que ce ne serait pas le cas en ville ? J’ai également des problèmes techniques et d’assurance : ai-je la possibilité de couvrir le toit de mon immeuble, d’une terre potentiellement très lourde ? Et s’il y a des problèmes d’étanchéité, qui va être responsable ? »
Les outils juridiques existants ne sont plus forcément à la hauteur des nouveaux impératifs. Si la création pure de nouveaux outils n’est pas toujours nécessaire, « nous avons constaté qu’il fallait, pour certains outils, les faire évoluer de façon assez douce, et pour d’autres les réformer de façon plus radicale, confirme Antoine Bouquemont. Par exemple, en agriculture, beaucoup d’outils, qui datent du lendemain de la seconde guerre mondiale, ne sont plus adaptés. Concernant les nouvelles énergies, le domaine est assez nouveau, le cadre réglementaire est donc assez flou. La forêt est assez bien protégée, mais des problèmes de gestion demeurent… Nous avons donc des outils qu’il faudra rationnaliser, peut-être en les regroupant entre les mains d’un même opérateur pour éviter d’avoir une vision éclatée de la ville, la forêt et l’agriculture, et remettre un peu de cohérence. »
… et de modernisation des outils juridiques
En étudiant les questionnements actuels de chaque secteur et les outils juridiques en place, les commissions ont en effet constaté que ces derniers n’étaient plus adaptés. « Notre analyse de départ était vraiment, d’essayer de faire un point objectif de la situation, sans aucun parti pris, confirme Guillaume Lorisson, président de la première commission dédiée à l’agriculture. Et c’est en regardant en détail touts les piliers du droit rural comme le statut du fermage, la définition de l’activité agricole, les baux ruraux ou encore les outils de régulation comme la SAFER et le contrôle des structures, que nous nous sommes rendus compte de leur côté obsolète. Plusieurs objectifs, comme la stabilité des exploitants agricoles ou le besoin de régulation, sont à conserver, mais nous ne pouvons plus concevoir cette régulation et ces outils comme à l’après guerre. Le paysage agricole a terriblement changé : là où près d’un actif sur trois travaillait dans le monde agricole, ils représentent aujourd’hui moins de 3% de la population active. Il n’est donc pas surprenant que l’on ait besoin d’outils rénovés. Le statut du fermage, les outils d’appropriation du foncier, et ceux de régulation (SAFER et contrôle des structures), doivent vraiment être repensés en profondeur. »
Si les grandes lignes pour mener les politiques de développement et de gestion sont donc en place, elles ne répondent pas à toutes les situations constatées, bloquant leurs avancées. Dans le cas de la forêt, par exemple, « nous avons un fond d’organisation, qui est une bonne organisation, soutient Antoince Gence. D’une part, avec l’encadrement juridique et administratif du plan simple de gestion, géré par le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et toutes ses déclinaisons régionales. Et d’autre part l’amendement Monichon qui instaure une fiscalité favorable des bois et forêt et qui a été très positive, parce que l’on a invité aimablement les propriétaires à s’organiser. Aujourd’hui, 85% de la forêt de plus de 25 hectares relèvent d’un plan simple de gestion. Le problème est que plus de trois millions de Français, soit 5% de la population, détiennent des propriétés forestières de moins de 4 hectares. Et parmi ces propriétaires, plus de 2 millions possèdent moins d’un hectare. Il y a donc une atomisation très importante de la propriété dans certaines zones, qui rend toute gestion inefficace. »
Pour répondre à ce besoin de regroupement des espaces forestiers, il est impératif d’enrayer la complexification des procédures, souvent décourageantes, compte tenu des enjeux financiers modestes. La deuxième commission préconise ainsi la création d’une autorité publique qui centraliserait l’ensemble des droits et recours pour les particuliers. Les droits de priorité, de préférence et de préemption seraient ainsi simplifiés et ce seul organisme serait informé de la vente de la parcelle boisée, afin qu’elle soit rapide. Il bénéficierait également des biens sans maitre, qui sont aujourd’hui soumis à une procédure lourde, coordonnant l’administration fiscale, les préfectures et les communes. Enfin, la commission propose de créer un droit de délaissement. « En tant que notaire, nous rencontrons fréquemment des petites propriétés de terrain forestier dans une succession, dont les héritiers ne savent pas quoi faire. Nous proposons que vous puissiez abandonner ces petites propriétés de droit, que cet organisme public ait l’obligation de les racheter pour ensuite les rétrocéder, car l’objectif n’est pas ne nationaliser la forêt. On ne vous donnera pas une fortune pour votre parcelle, mais vous aurez la satisfaction de ne plus être redevable de taxe foncière, tout en permettant de la regrouper avec d’autres. »
Garantir une bonne gestion des espaces forestiers signifie aussi que les outils à disposition accompagnent les propriétaires, qui doivent remplir cette obligation légale. « Vous pouvez vous faire aider par des coopératives, ou par un expert forestier, voire par l’Office national des forêts dans certains cas, mais il n’y a pas de système qui vous permette de les faire gérer complètement. Nous suggérons d’imaginer un bail forestier, d’une durée comprise entre 18 et 99 ans. Cela existe un peu, mais il demeure des problèmes de qualification, et les parties craignent que la notion de bail rural soit mise en œuvre. Si l’on veut que cela fonctionne, il faut une neutralité fiscale entre le faire-valoir direct et le faire-valoir indirect. Et en dernier point, nous proposons que l’on réécrive les articles de l’usufruit sur les bois et forêts, dont la rédaction est très ancienne. »
Rénover les dispositions juridiques en les adaptant aux besoins des citoyens permet de mieux assurer leur effectivité, car comme le souligne Christophe Le Guyader, « il est nécessaire que les dispositifs soient réellement efficaces et ne poussent pas à un comportement allant à l’encontre du résultat escompté. Par exemple, l’agriculteur peut être tenté de gérer son entreprise sous le seul objectif de payer moins d’impôts, alors que ces choix ne seront pas toujours les plus appropriés pour la pérennité de l’exploitation. Autre exemple, un propriétaire de terrain à bâtir peut choisir de le conserver plutôt que d’être fortement imposé lors de la vente. Ce comportement ne permet pas la libération de terrain pourtant nécessaire aux besoins en logements. »
Mais l’aménagement des territoires demande également à ce que les outils ne ralentissent pas les projets futurs. C’est notamment le cas en ce qui concerne les villes.
Pour répondre aux besoins d’infrastructures et de logements des métropoles, la troisième commission a réfléchi à exploiter la hauteur des immeubles. Et dans une telle configuration, la multifonctionnalité est indispensable. Ce qui, explique Christophe Sardot, est souvent difficilement compatible avec notre modèle de copropriété : « On constate que les immeubles aux destinations différentes ne fonctionnent pas très bien en copropriété et qu’il faudrait réfléchir en terme de volumes, surtout si les immeubles de très grande hauteur et à multi-usages se développent : la copropriété y présente immédiatement des déficiences. Quand nous aurons des immeubles avec des commerces au rez-de-chaussée, une crèche, des bureaux, une salle de sport dans les étages, puis pour finir des appartements et un hôtel au sommet, toute demande aux autres propriétaires pour réaliser des travaux dans les seuls bureaux va s’avérer problématique. Idem pour végétaliser l’immeuble. Certaines décisions, comme l’installation d’une culture agricole sur le toit, nécessiteront même un vote à l’unanimité parce qu’il s’agit d’une nouvelle destination. En volumes, j’ai plus de facilités à trouver des solutions. »
Et le numérique ?
Pas de réflexion sur le futur du territoire français sans envisager la place que le numérique y occupera. S’il occupe déjà une place importante dans nos vies, qu’en sera-t-il dans 30 ou 50 ans ? Comment nous sera-t-il utile ? La troisième commission a notamment réfléchi au concept de « smart city », avec tous les questionnements sur les dangers à envisager. « La ville intelligente est un pari entre le caractère intrusif d’une intelligence mal maitrisée et le caractère bénéfique des économies que l’on peut en tirer, résume Christophe Sardot. Vais-je me retrouver avec une machine qui va m’éteindre l’électricité que j’ai oublié d’éteindre, pour faire des économies, ou va-t-elle tout savoir de mes faits et gestes ? Où est la limite ? Qui va la maitriser ? Et comment cela va-t-il va se passer ? »
Du côté de l’agriculture, la problématique paraît plus immédiate, avec l’utilisation du big data par les agriculteurs. Déjà au fait des avancées technologiques, la profession manque encore de moyens quant à son développement. « Il faut que les agriculteurs puissent traiter leurs données afin d’en tirer des enseignements et des utilisations pratiques, souligne Guillaume Lorisson. Le problème est que le coût du traitement des données reste encore relativement élevé, ce qui implique des mutualisations, soit au niveau de l’entreprise, soit au niveau local par des partenariats, ou peut-être au niveau des coopératives agricoles. Mais nous n’avons pas poussé suffisamment loin notre analyse de la question pour pouvoir être en mesure de proposer une solution en la matière. »
De la diversité pour embrasser les enjeux de demain
L’autre idée clé qui ressort des travaux des quatre commissions est celle de la diversité. Diversité des situations, d’abord. Un constat particulièrement évident en ce qui concerne l’agriculture. « Nous avons un véritable besoin de diversité des modèles, confirme Guillaume Lorisson. L’après guerre a imposé une sorte de modèle unique : l’agriculture familiale, sans jamais d’ailleurs la définir. Il était constitué d’une unité familiale, souvent construite autour d’un couple, travaillant sur une surface moyenne, qui permettait d’assurer une forme de maillage assez large du territoire et une exploitation efficace. Ce modèle a rempli ses missions. Mais aujourd’hui, il faut faire coexister tous les modèles d’exploitation, qui vont aller de certains types assez industriels, car nous avons quand même besoin de produire en quantité, jusqu’à des modèles extrêmement pointus, comme du maraîchage biologique en proximité de ville. Et les outils juridiques doivent permettre à chacun de coexister. »
Ils doivent aussi prendre en compte la réalité et la complexité du travail de l’agriculteur du XXIème siècle. « Aujourd’hui, un agriculteur est un agronome, mais également un technicien, un informaticien, ainsi qu’un professionnel qui doit être sensibilisé aux bonnes pratiques écologiques, et donc à l’utilisation d’un certain nombre de procédés favorables à l’agroécologie. Il doit aussi être capable de maitriser la communication autour de ses produits, de les valoriser en obtenant un certain nombre de labels, et certains entrepreneurs font preuve d’une grande imagination en créant des labels et des appellations spécifiques. L’agriculture est une véritable entreprise, qui nécessite un grand nombre de compétences. Et elle doit être l’objet d’un regroupement de plusieurs personnes, parce que la quantité de savoirs exigée d’un agriculteur isolé devient énorme. On a du mal à imaginer qu’une seule personne soit en capacité d’avoir la maitrise suffisante dans tous ces domaines. La définition de l’agriculteur et de l’activité agricole reste un peu traditionnelle, et doit évoluer, afin qu’elle corresponde plus à cette réalité. »
Ensuite, la diversité concerne les acteurs qui doivent y participer. Car l’aménagement du territoire ne concerne pas que l’Etat et les collectivités publiques. « Le territoire de demain dépend complètement du comportement de chacun agissant à titre professionnel ou à titre privé, souligne Christophe Le Guyader. Il s’agit en pratique de l’agriculteur abandonnant ses pratiques traditionnelles pour le bio ou du particulier posant des panneaux photovoltaïques sur sa toiture, ou encore du constructeur préférant surélever des bâtiments existants au lieu d’étendre la ville… Mais l’information et la sensibilisation du citoyen est insuffisant face aux enjeux cruciaux pour demain. Les pouvoirs publics doivent soutenir financièrement ces choix et favoriser ces comportements par une fiscalité incitative. L’ensemble façonne le territoire de demain. »
Un constat d’autant plus valable pour les énergies renouvelables. « Le déploiement des éoliennes, panneaux photovoltaïques, méthaniseurs et autres énergies renouvelables nécessite de nombreux espaces pour les installer. Les toitures des particuliers et des agriculteurs sont des espaces privilégiés pour l’énergie solaire. L’agriculteur possède en outre des terres pour accueillir des installations plus importantes. Mais, aujourd’hui, ils ont besoin d’être soutenus financièrement car l’équilibre économique de ces projets n’est pas encore au rendez-vous. L’avenir des énergies renouvelables sera certainement dans l’autoconsommation qu’il faut développer. »
L’autoconsommation démontre en effet que les particuliers doivent aussi prendre part à ce développement durable du territoire et des nouvelles énergies. Mais pour ce faire, comme l’explique Antoine Gence, il faut les rassurer. « Les tribunaux sont remplis de procédures de particuliers auxquels on a vendu une petite installation de production personnelle d’électricité ou chauffe-eau sans la garantie de récupérer leur investissement. Sauf que l’installation n’a pas le rendement escompté, de sorte qu’il y a une déception de la part du propriétaire. Nous proposons qu’un contrat d’installation d’énergie renouvelable pour les particuliers prévoie des obligations à la charge de l’installateur, et des garanties qu’il devra apporter aux particuliers sur les rendements de son installation. Et concernant la grande installation, il y a aussi, de la part du public, des inquiétudes sur l’aspect environnemental des installations dans la durée. Quand vous avez un champ d’éoliennes, quelles garanties avez-vous que l’installation, le jour où elle sera arrêtée, soit effectivement démontée ? Et ce, que vous soyez le propriétaire, le maire de la commune ou le citoyen qui habite dans le secteur. Nous proposons ainsi qu’à la signature des baux, des conventions de mise à disposition de terrains pour l’installation d’un champ d’éoliennes, il y ait l’obligation pour l’exploitant d’abonder à un fonds mutuel qui garantit le démantèlement de l’installation, même en cas de défaillance de l’exploitant. Nous pensons que cette proposition est de nature à rassurer beaucoup d’oppositions. »
Enfin, la diversité apparaît aussi nécessaire dans les villes, avec la question de dispositifs favorisant la mixité sociale, étudiés par la troisième commission. « La mixité sociale étant assez méconnue, nous avons essayé d’apporter beaucoup d’informations et de chiffres, afin d’expliquer comment elle fonctionne et d’évoquer les difficultés qui y sont liées, confirme Christophe Sardot. Nous avons aussi expliqué les mécanismes de la gentrification, qui, quelles que soient les époques, a toujours existé. Nous avons fait aussi un focus sur le bail réel solidaire. Contrairement à plein d’autres dispositifs l’ayant précédé, c’est peut-être un outil de mixité sociale avec une chance de fonctionner, car l’aide qu’il développe s’attache à l’immeuble et non plus au bénéficiaire. »
Le notaire citoyen face à son territoire
L’équipe de la 114ème édition a également expérimenté cette diversité, en s’entretenant durant leurs 24 mois de travail de multiples acteurs. « Les personnes que nous avons rencontrées nous ont donné leur avis sur les questions que nous leur avons posées, explique Antoine Bouquemont. L’agriculture est le sujet le plus délicat, et où s’expriment des sensibilités diverses. Parce que nous ne nous sommes pas mis de barrières, nous avons rencontré la confédération paysanne, le syndicat des propriétaires fonciers, etc., qui ont des positions totalement différentes. Nous avons gardé une certaine réserve pour toutes les prendre en compte et faire des propositions équilibrées. » Un moyen d’avoir un retour d’expérience réel, afin de travailler sur des propositions adaptées. « Le monde agricole dans son ensemble diagnostique extrêmement bien les problèmes, confirme Guillaume Lorisson. Il y a globalement un consensus sur les difficultés à être agriculteur aujourd’hui, à concilier des impératifs qui semblent un peu contradictoires : préserver l’environnement mais produire en quantité suffisante, faire des productions de qualité mais accessibles à des prix raisonnables … Sur les moyens d’arriver à cette agriculture de demain, les discours ne sont pas nécessairement unanimes, parce que l’on rentre dans des visions plus politiques. Malgré tout, chacun semble prêt à sauter le pas et à avancer vers des modèles rénovés. Et à ce titre, le fait que le notariat fasse preuve d’audace dans ses propositions peut être bien accepté, et nous avons eu des échos plutôt favorables de tous nos interlocuteurs face à nos propositions. » Une ouverture qui se prolongera durant les quatre jours du Congrès à Cannes, avec l’annonce d’interventions de spécialistes lors de certaines commissions, et sa clôture par un débat consacré à la société de 2050, réunissant Erik Orsenna, économiste et écrivain, Joël de Rosnay, biologiste et prospectiviste, et Emmanuel Todd, historien et essayiste.
Le Congrès démontre ainsi sa volonté de faire ressortir le « citoyen » chez le notaire et de le pousser à dépasser son expertise juridique. Notamment en faisant appel, pour diriger les commissions, à des notaires non spécialisés dans les domaines abordés. « Nous n’avons pas pris des spécialistes, justement pour bénéficier d’un regard neuf sur les questions abordées, confirme Antoine Bouquemont. Et je suis convaincu que l’équipe s’est énormément enrichie, non seulement sur les questions techniques, mais également sur cet aspect sociologique qui dépasse notre domaine de compétence. » Dans le même esprit, les congressistes auront la possibilité d’assister à des masterclass en lien avec les thématiques des commissions, ainsi qu’à des conférences sur des sujets relatifs au territoire, et tenues par des associations exposantes. Mais surtout, l’équipe de cette 114ème édition espère, avec ses propositions, susciter le débat, affirme le rapporteur général : « Il n’y a pas de propositions faciles, et nous espérons des échanges riches, pour justement replacer le notariat dans ces débats. Mon grand souhait est que tous les notaires, même ceux qui ne sont pas des spécialistes des questions très techniques, puissent avoir quelque chose à dire, puisqu’il y aura des sujets, même s’ils sont juridiques, qui seront citoyens et concerneront chacun d’entre nous. »
Clarisse Andry
Article initialement publié dans le Journal du Village des Notaires n°69
Notes :
[1] Recensés par le rapport n°14060 « La filière forêt bois » - Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux - janvier 2015 »