S’il est vrai que l’écosystème numérique peut avoir un impact négatif sur l’écologie, lorsque non régulé. L’inverse est également vrai, lorsqu’il l’est. Il demeure un outil. Sur ce sujet, Manuella Bourassin professeur agrégé de droit privé à l’université Paris Nanterre, où elle dirige le master droit notarial, s’est livrée à une synthèse des travaux du 117ème Congrès des notaires.
Elle était en effet toute désignée en tant qu’observateur universitaire du monde notarial. Ses travaux rejoignent les thématiques au cœur du congrès : responsable scientifique de la recherche « Notariat et numérique. Le cybernotaire au cœur de la République numérique », elle est l’auteur d’articles analysant la digitalisation de la publicité foncière et la dématérialisation des actes authentiques. [1]
L’exploration juridique du monde numérique.
Son propos s’est tout naturellement tourné vers le thème du Congrès, « le numérique, l’Homme et le droit », « aussi vaste que son dessein est essentiel ». Préciser les liens entre les trois et finalement en faire jaillir une synthèse (le rapport du Congrès) et des propositions crédibles était « un voyage ambitieux et finalement fructueux ». Selon elle, et c’est un souhait que l’on peut partager, « le rapport favorisera la connaissance et la compréhension des règles de droit applicables. »
En écho aux discours d’ouverture de cette édition, elle a rappelé un principe clé à suivre, et qui le fut visiblement pendant tout le temps des travaux : « Ce sont les valeurs humanistes qui sont à privilégier. » Des pierres angulaires sur lesquelles se sont appuyées les équipes du Congrès pour façonner leur synthèse.
Manuella Bourassin détaillait en effet le « voyage » entrepris par l’équipe du Congrès en deux étapes fondamentales :
Dans un premier temps, une « exploration juridique du monde numérique » qui aura duré deux ans.
Laquelle aura accouché d’un rapport et de propositions censés incarner la volonté d’ « appropriation juridique du monde numérique » de ce Congrès.
Allant davantage dans le détail de cette première étape, afin d’expliquer les enjeux au cœur de la réflexion menée, la professeur a poursuivi sa démonstration : « En moins de 20 ans, le numérique a investi toutes les strates de la vie humaine. » Il s’agit désormais, selon elle, d’un « monde à part entière […], d’un fait social total » qui conduit à des bouleversements plus intenses encore « et parfois même inédits » sur plusieurs plans : anthropologique, sociologique, politique, juridique.
Ce phénomène numérique, qu’elle qualifie de « déracinement », a cette portée suffisamment grande qu’il déstabilise tant l’homme que le droit. Le rapporteur soulignait « l’ambiguïté du monde numérique et son hostilité », avec le manque de netteté qui le caractérise. Elle observe que les repères traditionnels de la vie réelle ; la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle ; sont autant de lignes autrefois si nettes, mais aujourd’hui bien plus difficiles à cerner. La formidable capacité du numérique de rapprocher les gens, d’effacer les frontières, peut également n’être qu’un leurre, mettant entre les hommes des machines.
Il est cependant utile de souligner, comme elle le fait justement, que « le numérique n’est pas intrinsèquement bon ou mauvais », car il n’est qu’un outil au service de l’homme. En ce sens, l’une des principales caractéristiques de cette dimension numérique, en lien avec cette dualité si marquée, réside dans le fait que le numérique « peut être à la fois source d’opportunités et de dangers selon les usages qui en sont faits. » Il peut également représenter à la fois une chance d’égalité, mais aussi un réservoir d’inégalité, invoquant alors l’exemple de la fracture numérique, ou encore celui de l’illectronisme frappant des groupes de population.
Une menace en cachant une autre, c’est vers le droit que Manuela Bourassin attirait notre regard. Car l’ordre normatif juridique est défié par le monde numérique et ses acteurs « GAFAM, licornes, créateurs de blockchain », lesquels, « dans une logique libertarienne », cherchent à s’affranchir ordres juridique et politique pour les remplacer par « un ordre normatif autonome » basé sur le code informatique : Code is Law. La sécurité juridique, délivrée et garantie par les professions juridiques, se retrouve ainsi concurrencée par une rationalité mathématique, déshumanisée et promise par les outils numériques et considérée comme plus sécurisante.
Viser l’appropriation juridique du monde numérique.
Finalement, Madame le professeur énonçait deux défis en particulier : d’une part, c’est du côté du choix de méthode juridique que le numérique semble pousser l’homme et le droit ; d’autre part, c’est également la fonction anthropologique du droit, et la place de l’homme par-rapport au droit, que questionne le numérique. Il semblait clair pour elle que « le droit est mis au défi de concilier innovation et précaution, modernité et sécurité » de façon à encadrer sans brider les usages du numérique.
Usages qui peuvent tout aussi bien apporter des bienfaits que des méfaits. Ainsi, d’un côté, « capacitant », il peut « renforcer les relations et la solidarité humaine et sociale et conforter la citoyenneté et les droits humains » ; de l’autre, il peut être « clivant sur le plan économique et social, asservissant si l’humain devient l’assistant des données numériques. » Le but du droit est par conséquent d’ « occuper le territoire numérique en fixant des directions et des limites » via des autorités comme le législateur, les autorités de régulation, les juges. L’appropriation juridique évoquée plus tôt par Manuella Bourassin, doit donc se faire par le prisme de l’ « humanisme juridique », « la boussole », et les ressources nécessaires sont fournies par le droit commun.
En route vers le Congrès 2022.
Puis ce fut au tour de Gilles Babinet, co-président du Conseil National du Numérique, de prendre la parole pour louer « la véritable maîtrise » des notaires sur ces sujets « comme les smart contracts ». Enfin, Thierry Delesalle, président de la 118ème édition du Congrès, est monté sur la scène pour présenter la thématique de l’année 2022 : « L’ingénierie notariale », c’est à dire la capacité du notaire à prévenir les risques pour assurer un avenir à chacun. « Il m’a semblé important d’axer nos recherches autour du conseil, avec un certain humanisme. En essayant de se concentrer sur la pertinence du conseil dans l’anticipation pour mieux comprendre les sources de contentieux et protéger. » Trois domaines seront ainsi au coeur du programme : le droit de l’immobilier, le droit de l’entreprise et le droit des familles.
Par Simon Brenot
Rédaction du Village des notaires
Notes :