Révolution de la tech, cette chaîne de blocs, en français, constitue une base de données partagées entre ses membres fonctionnant sans organe central de contrôle. Grâce à la cryptographie, les informations déposées sur la blockchain sont validées par les utilisateurs eux-mêmes et ne peuvent plus être modifiées par la suite.
Apparition de la blockchain notariale
On murmurait la création d’une blockchain notariale depuis quelques années. En 2017, le Conseil supérieur du notariat (CSN) faisait notamment ses suggestions quant à la sécurité numérique assurée par les officiers publics que sont les notaires. Il s’agissait « de garantir l’exactitude des informations, dans tous domaines jugés utiles par l’État, constituant ainsi la blockchain notariale, tant pour les pouvoirs publics que pour les utilisateurs [2] ». Pareille suggestion avait été faite, la même année, dans le rapport du 113ème Congrès des notaires de France.
Les Notaires du Grand Paris ont signé en 2020 une « Politique de confiance de la blockchain Notariale », annonçant un plan de déploiement de cette technologie tout en créant une Autorité de confiance numérique notariale. Le 7 juillet 2020, la BCN est officiellement lancée, présentée comme une « technologie particulièrement aboutie pour assurer la constitution de preuves, leur conservation et leur restitution, en donnant toutes les garanties de fiabilité et d’inviolabilité, correspondant parfaitement aux usages et aux valeurs de la profession notariale » [3].
Le rapport annuel 2020 du Conseil supérieur du notariat, où l’année rime avec un « coup de fouet pour un nouvel élan de modernisation de la profession », évoque de plus un travail autour des potentialités de la blockchain notariale [4].
Certains notaires franciliens ont revêtu le label de « notaire mineur » ayant dans leurs études, interconnecté, le matériel adéquat. Il leur est maintenant possible d’enregistrer des centaines de transactions par seconde, quand la blockchain grand public n’en est capable que pour un échantillon. La capacité de stockage est donc exceptionnelle. Un comité de gouvernance et un comité stratégique, composé de notaires et d’experts de la cryptographie et autres prouesses technologiques, sont à la régulation.
Contrairement à la blockchain publique fonctionnant sur un modèle ouvert, les blockchains privées sont des systèmes fermés dont l’accès est limité à des personnes homologuées a priori. Les utilisateurs font donc l’objet d’une sélection en amont. Dans le cas de la BCN précisément, on parle plus exactement de « blockchain de consortium », dans le sens où la validation des blocs se fait à la majorité des acteurs privés de ladite blockchain. Elle est décentralisée, ce qui signifie que l’ajout d’un nouveau bloc est conditionné à la validation des transactions par un nombre suffisant de notaires mineurs [5].
Usages et perspectives de la blockchain notariale
La blockchain notariale sert notamment la création d’applications pour les clients des notaires. Le transfert de fichiers sécurisés entre les notaires et leurs clients et entre pairs et la mise en place d’une data room électronique constituent les deux principales utilisations de la BCN [6].
Entre notaires et de notaires à clients, la blockchain permet en effet de transférer plus facilement des fichiers volumineux tout en évitant leur falsification, donc en garantissant leur authenticité et la traçabilité des accès et modifications éventuelles. La notion de data room s’adresse spécifiquement au domaine des affaires et cette technologie va contenter la clientèle entreprise du notariat : la Chambre des notaires de Paris a annoncé l’arrivée prochaine, sur l’intranet notarial, d’une application permettant la tenue des registres d’actions et d’actionnaires des sociétés non cotées, utilisable grâce à une clé d’authentification forte des notaires [7]. Une façon, aussi, d’assurer la traçabilité des mouvements de valeurs mobilières.
La question d’une meilleure certification des actes notariés se pose si l’on considère la possibilité de l’horodatage dans la blockchain. Horodater tel ou tel acte permettrait de définir exactement le moment où le bloc stockant les données concernées a été validé par le réseau blockchain. La profession envisage aussi d’utiliser ces fonctionnalités pour ses activités immobilières, notamment pour optimiser la gestion du cadastre et de la publicité foncière, et de mettre en place un nouveau type de dépôt sur blockchain, à l’instar du traditionnel dépôt au rang des minutes que l’on connait [8].
Coût et cadre légal de la blockchain notariale
Les notaires mineurs ne sont pas rémunérés au titre de cette nouvelle casquette. Ils agissent en tiers de confiance de manière bénévole. Déjà considérés comme des tiers de confiance juridiques, ils œuvrent donc désormais en qualité de tiers de confiance technologiques. Pour s’équiper, le professionnel adhérent doit néanmoins débourser autour de mille euros pour le serveur doté des caractéristiques efficientes.
Avec les grandes possibilités offertes par la fameuse blockchain, viennent corrélativement de grandes responsabilités pour le notaire. La Charte du notaire mineur, que chacun doit dûment signer lorsqu’il est intégré au cercle, implique en effet certains engagements à la charge du notaire, qui supporte notamment l’entretien du matériel et sa sécurisation. On imagine donc que cela pourrait impliquer des coûts supplémentaires en matière de cybersécurité. Le « coût » énergétique de la blockchain est aussi à prendre en considération.
Le droit français n’étant à ce jour pas vraiment adapté à l’utilisation de la BCN, d’aucuns diraient qu’une évolution de la législation est nécessaire. Les pouvoirs publics semblent cependant encore frileux quant à la normalisation de ce procédé. Rappelons que le Code monétaire et financier mentionne la technologie en question [9] mais que, sur le plan civil, le droit positif reste assez réfractaire à sa reconnaissance. Si l’Assemblée nationale a déjà été chargée d’étudier le sujet et a pris acte de l’appropriation par les notaires de ce nouvel outil d’automatisation des tâches [10], la Convention d’objectifs 2021-2024 signée par le Conseil supérieur du notariat et l’État, elle, aborde certes la dématérialisation de la sécurité du service notarial sans pour autant évoquer nommément la blockchain.
De son statut de pionnier en matière de signature électronique au dernier Congrès des notaires de France consacré au numérique en passant par l’acte authentique par comparution à distance, l’écosystème notarial se montre très fortement impliqué dans la transformation technologique de la profession. Gageons qu’il ne lui faudra pas longtemps pour tirer le plus grand profit de la blockchain afin d’assurer une sécurité toujours plus grande des relations.
Alix Germain
Retrouvez cet article dans le numéro spécial nouvelles technologies du Journal du Village des Notaires, p. 16-17.
Notes :
[1] Blockchain France, 2016, La Blockchain décryptée, www.blockchainfrance.net.
[2] Conseil Supérieur du Notariat, Propositions du notariat aux candidats à la présidence de la République, 2017, p. 9, www.notaires.fr.
[3] Notaires du Grand Paris, dossier de presse du 7 juillet 2020, « Présentation de la Blockchain notariale (BCN) », www.notairesdugrandparis.fr.
[4] Rapport annuel du Conseil Supérieur du Notariat, 2020, www.notaires.fr.
[5] Camille Chaserant, Corine Dauchez, Sophie Harnay, « Du notaire à la blockchain notariale : les tribulations d’un tiers de confiance entre confiance interindividuelle, confiance institutionnelle et méfiance généralisée », Revue juridique de la Sorbonne [en ligne], n° 3, juin 2021, pp. 7-58.
[6] Rapport du 117ème Congrès des Notaires de France, 2021, Le numérique, l’Homme et le droit. Accompagner et sécuriser la révolution digitale.
[7] Stéphane Adler, Vice-président de la Chambre des notaires de Paris : « Notre volonté est d’être une autorité de confiance numérique notariale pour la fourniture de services blockchain », Entretien avec Gaëlle Marraud des Grottes, Actualités du droit, 16 juill. 2020, www.actualitesdudroit.fr.
[8] Rapport du 117ème Congrès des Notaires de France, op. cit.
[9] CMF, art. L. 211-3.
[10] Assemblée nationale, Rapport de la mission d’information commune sur les chaînes de blocs (blockchains).