Le Congrès propose la création d’un certificat prénuptial et la contractualisation des charges du mariage. Pouvez-vous nous en dire plus sur la "philosophie" sous-jacente ?
Alexandre Thurel : L’idée sur la contractualisation des charges du mariage est assez simple.
Je trouve complètement inadmissible juridiquement – et je ne partage là pas le point de vue d’un certain nombre de mes confrères ou des professeurs de droit, ni de la Cour de cassation ! – que l’on puisse modifier les règles matrimoniales des personnes mariées en séparation de biens, notamment sur l’achat de la résidence principale ou de la résidence secondaire sous prétexte d’une sur-contribution de l’un des époux.
On vient ici modifier judiciairement les termes et les bases même d’un contrat de mariage qui, pour ce qui concerne la séparation de biens, dispose que lorsqu’un époux a payé pour le compte de l’autre, il s’agit d’une créance entre époux recouvrable.
Aujourd’hui, on en a fait un régime plus communautaire que la communauté elle-même ! Si l’on hérite de biens et que l’on oublie de faire une déclaration de remploi, on pourra malgré tout prétendre à sa récompense à la sortie. Si l’on fait une fausse déclaration et que, finalement, un époux n’a pas contribué à hauteur de ses déclarations, je ne vois pas à quel titre il n’y aurait pas de créance entre époux. C’est injuste et c’est aujourd’hui une source importante de contentieux. On devrait respecter le contrat de mariage originel.
La proposition visant à contractualiser la contribution des époux aux charges du mariage a été adoptée à 91,2 %.
Le certificat prénuptial rejoint cette idée d’informer suffisamment les époux des conséquences du choix de leur régime matrimonial ?
A. T. : D’après mon expérience, les gens découvrent leur régime matrimonial le jour où ils divorcent... Et c’est confirmé par le sondage que nous avons réalisé : 91 % des personnes disent connaître parfaitement leur régime matrimonial.
Or à la première question plus précise qui leur a été posée (est-ce que les biens reçus par successions des parents tombent en communauté ou restent personnels à l’époux gratifié ?), 62 % se sont trompés et considèrent que cela profite à la communauté... Pire encore, même si cela prête à sourire, les personnes non mariées se sont moins trompées que les personnes mariées !
À la deuxième question (les revenus d’un bien reçu des parents tombent-ils en communauté ou sont-ils personnels ?), encore une fois, les époux se trompent quasiment à 60 % en pensant qu’ils sont propres. Les personnes non-mariéss ne se trompant qu’à 50 %. Idem avec la troisième question sur la nature de la prime ou de l’indemnité de licenciement ou de rupture conventionnelle.
Les couples ne s’intéressent pas suffisamment à ce que dit leur contrat de mariage. Une consultation a priori apparait donc adéquate. L’idée n’est pas nouvelle, elle avait déjà été soumise au vote au Congrès dans les années 1970. À l’instar du certificat médical prénuptial, que les plus anciens ont connu, il ne serait pas inutile qu’il y ait un certificat prénuptial notarial pour que, à tout le moins, les gens puissent avoir conscience :
- qu’il y a un régime légal et qu’ils en connaissent les règles ;
- qu’il existe des alternatives au régime légal et que l’on peut adopter un régime conventionnel, au besoin adapté sur-mesure.
Précisons, pour rassurer nos détracteurs, que ce passage devant notaire est prévu sans rémunération. Encore une fois, il s’agit de remplir notre mission de service public. Il serait bon que les gens qui se marient connaissent les modalités de leur mariage et qu’il y ait un peu moins de contentieux sur ces sujets-là. On n’empêchera ni le divorce, ni l’adultère, ni les autres problèmes d’affect, mais, pour autant, juridiquement, les discussions seraient peut-être moins complexes. L’idée est que tout le monde soit égal en droit et qu’il ne doit pas y avoir de distinction entre les initiés et les non-initiés.
La Rédaction vous en dit plus sur les réactions de la profession à la proposition de certificat prénuptial, adoptée par seulement 63 % des votants, ici.
Qu’est-ce que la vocation successorale de souche ? On parle par exemple de grands-parents qui pourraient faire transmettre directement à leurs petits-enfants ?
A. T. : Le constat est que l’on hérite souvent de ses propres parents, alors même que l’on approche de la retraite. L’âge moyen auquel on hérite est aujourd’hui 51 ou 52 ans. À l’horizon 2040, on estime, à qualité de vie égale, que ce sera aux alentours de 58 ans. On hérite donc à un moment où on n’a plus forcément besoin d’argent pour un projet immobilier, d’activité professionnel, etc. On est alors face à un double problème : ceux qui vont hériter vont continuer à épargner et la génération de nos enfants continue de manquer de moyens pour s’installer compte tenu des prix de l’immobilier pratiqués particulièrement dans les grandes villes.
Ainsi, on est face à un dilemme, : on a des gens qui héritent, qui sont déjà « riches » et qui seront peut-être un peu plus riches, et une génération en-dessous qui va attendre patiemment d’hériter, mais qui héritera à 60 ans. En somme, il faut que ces valeurs tournent. Et l’État devrait s’y retrouver puisque, par définition, celui qui thésaurise ne consomme pas, et donc ne génère pas de fiscalité, de TVA, de droits d’enregistrement pour des nouveaux investissements, et l’argent ne circule pas.
Je m’explique : le principe d’un partage différent des valeurs existe déjà avec la donation-partage transgénérationnelle. Dans ce cadre, un grand-père propose par exemple à ses enfants de « sauter » leur génération et de transmettre aux petits-enfants. Cela fonctionne très bien et nous sommes beaucoup de spécialistes à l’utiliser régulièrement. Aujourd’hui, l’idée a germé. Il y a eu beaucoup de débats avec les professeurs de droit, avec un enthousiasme non dissimulé pour certains et pour d’autres des réserves, qui ont été levées au cours de nos échanges. Lorsque vous êtes initié et que vous faites partie de la tranche aisée de la société française, il n’est pas rare que vous fassiez appel à un notaire. On a donc pu vous suggérer effectivement ce transfert de valeur.
Mais soyons réalistes. Certaines personnes n’ont pas eu le temps d’aller chez le notaire pour ce faire et décèdent avant d’avoir pu prévoir quoi que ce soit. Ou alors, certains pensent que l’opération n’est pas accessible et ont l’idée reçue que recourir au notaire coûte cher.
Il faut donc que l’on puisse contrer la difficulté des non-initiés ou des personnes qui n’ont pas eu le temps d’intervenir.
La donation-partage transgénérationnelle n’est donc pas suffisante pour répondre aux envies des familles ?
A. T. : Il est assez fréquent aujourd’hui que nous, notaires, nous retrouvions à ouvrir une succession dans laquelle les héritiers nous disent ne pas avoir besoin de tout ou partie de l’héritage. Et nous devons leur expliquer qu’ils n’ont pas pour autant le droit de transmettre partiellement à leurs enfants puisque l’on ne peut renoncer qu’intégralement à une succession : c’est ce qu’on appelle l’indivisibilité de la succession. On hérite donc de tout ou de rien.
Pourquoi ne pourrait-on pas fragmenter la succession avec sa propre souche ? On pourrait par exemple décider de ne conserver que 20 % de la succession et d’en laisser 80 % à ses descendants. Pourquoi un célibataire sans descendance se verrait dans l’obligation d’hériter d’un patrimoine dont il n’a pas besoin, alors même qu’il souhaiterait que ce soit ses neveux dans la souche d’à côté qui en héritent ?
Ce que l’on propose, c’est donc que ce qui a été fait pour la donation-partage transgénérationnelle, c’est-à-dire un pacte de famille conclu du vivant, puisse être dupliqué en cas de décès, dès lors qu’il y a une concertation globale conformément aux volontés du défunt. Plutôt que d’avoir de l’argent dormant sur le compte de grands-parents, l’argent circule et les petits-enfants pourraient plus facilement acheter une voiture, payer une partie d’un appartement, financer leurs études, etc.
Et ce transfert de valeurs serait neutre fiscalement ?
A. T. : Oui, à l’instar de la donation-partage transgénérationnelle. Et on ne démultiplie pas pour autant les abattements supérieurs à 100 000 €. L’administration fiscale s’y retrouve donc elle aussi.
C’est ce que nous expliquions à la Chancellerie lors de nos rencontres : plutôt que d’avoir -uniquement des incitations fiscales, tout aussi utiles qu’elles aient été par ailleurs, nous disposerions un outil juridique supplémentaire qui permettrait de réaliser des choses équivalentes sans qu’il y ait de "carotte fiscale" à la clé.
La transmission successorale par souche a été adoptée lors du Congrès à 91,2 % des voix. Retrouvez tous les résultats ici.
Propos recueillis par A. Dorange
Retrouvez le détail des propositions évoquées en cliquant sur les images ci-dessous :
Retrouvez l’intégralité des propositions du 118e Congrès des Notaire de France ici.