1) La loi de finances pour 2024 exclut les activités de gestion de son propre patrimoine du régime Dutreil
En pratique, et conformément aux dispositions de l’article 787 B du Code général des impôts, la cession à titre gratuit de parts sociales ou d’actions d’une société exerçant une activité opérationnelle (commerciale, industrielle, agricole, artisanale ou libérale) est exonérée de droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75% de la valeur des titres ainsi transmis, sous réserve du respect de certaines conditions spécifiques.
Parmi ces conditions – et de manière très schématique -, il convient notamment qu’un engagement de conservation des titres soit souscrit.
À noter qu’un dispositif similaire existe en cas de transmission à titre gratuit des éléments de l’actif immobilisé affectés à l’exercice de l’activité opérationnelle (commerciale, industrielle, agricole, artisanale ou libérale) d’une entreprise individuelle (article 787 C du Code général des impôts).
Cela étant, la nature des « activités commerciales », - qui seraient éligibles au dispositif Dutreil -, a fait l’objet de plusieurs rebondissements au cours de ces derniers mois.
- La solution restrictive retenue par l’administration fiscale.
Selon l’administration fiscale, l’activité de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier serait exclue du dispositif Dutreil.
L’administration fiscale mentionne ainsi au paragraphe 15 de sa documentation BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 [1] que, pour l’application de l’article 787 B du Code général des impôts, l’activité de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier n’aurait pas une nature commerciale.
Il s’agirait ainsi d’une activité de nature purement civile et patrimoniale.
Dans la documentation administrative précitée, l’administration fiscale prend le soin d’exclure expressément du champ d’application du dispositif Dutreil les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation, ainsi que les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation.
- La position adoptée par la Cour de cassation.
La Cour de cassation a récemment contredit la solution retenue par l’administration fiscale par deux arrêts rendus en 2023.
Tout d’abord, dans un arrêt en date du 1ᵉʳ juin 2023, la Cour de cassation a jugé que l’activité de location d’établissements commerciaux munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation serait bien éligible au dispositif Dutreil (Cass. Com. 1er juin 2023 n°22-15.152 F-D).
Puis, dans un arrêt en date du 21 juin 2023, la Cour de cassation a jugé que l’activité de location meublée serait également éligible au dispositif Dutreil (Cass. Com. 21 juin 2023 n°21-18.226 F-D).
- La position adoptée par le Conseil d’État.
Le Conseil d’État a également contredit la solution retenue par l’administration fiscale dans un arrêt en date du 29 septembre 2023 (CE, 8ᵉ - 3ᵉ chambres réunies, 29/09/2023, 473972).
Le Conseil d’État a ainsi jugé qu’aucune disposition légale ne permet de dénier le caractère d’activité commerciale à l’activité de location de locaux meublés à usage d’habitation.
À la suite de la publication de cet arrêt, un espoir est apparu pour les associés de sociétés exerçant une activité de location meublée, désireux de céder gratuitement - et à moindre coût fiscal - leurs titres à leurs enfants.
- Les nouvelles règles découlant de la loi de finances pour 2024.
La loi de finances pour 2024 a formellement légalisé la solution précitée retenue par l’administration fiscale.
La loi fait donc désormais échec à la position prise par la Cour de cassation et par le Conseil d’État.
Ainsi, conformément à l’article 23 de la loi de finances pour 2024, l’activité de gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier ne constituerait pas une activité commerciale éligible au dispositif Dutreil.
De fait, les activités de location meublée à usage d’habitation, ainsi que les activités de locations d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation, ne seraient plus éligibles au dispositif Dutreil.
2) La loi de finances pour 2024 apporte des précisions pour les activités mixtes et les activités des holdings animatrices
La loi de finances pour 2024 a pris le soin de préciser que, lorsqu’une entreprise exerce une activité qui serait à la fois opérationnelle et civile, le dispositif Dutreil pourrait s’appliquer, mais à la condition que l’activité opérationnelle soit prépondérante.
Il s’ensuit que pour les sociétés exerçant une activité mixte, l’activité opérationnelle devrait être exercée à titre principal pour pouvoir revendiquer l’exonération partielle prévue par le dispositif Dutreil, et l’activité civile devrait être exercée à titre accessoire.
En pratique, ce caractère prépondérant s’apprécie en fonction de la nature de l’activité exercée par la société dont les titres sont transmis, ainsi que ses conditions d’exercice.
Il sera fait observer que cette règle est conforme à celle adoptée par le passé par la doctrine administrative (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°20 [2]), ainsi que par la jurisprudence (cf. notamment Cass. Com. 25 janvier 2023 n°20-23.137 F-D).
Il s’agit donc désormais d’une règle ayant une valeur légale.
À noter que la loi de finances pour 2024 légalise également l’éligibilité au dispositif Dutreil de l’activité des « holdings animatrices ».
Ces sociétés sont dorénavant considérées par la loi comme exerçant une activité opérationnelle.
À noter qu’une holding animatrice est une société qui participe activement à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales. Elle rend à ses filiales des services variés, qui peuvent être de nature juridique, administrative, comptable, ou financière.
En présence d’une holding mixte, il convient que l’activité d’animation soit prépondérante pour que le dispositif Dutreil soit applicable.
Cela étant, il sera fait observer que - conformément aux dispositions de l’article 23 de la loi de finances pour 2024 - l’ensemble de ces nouvelles règles s’appliquent aux transmissions réalisées à compter du 17 octobre 2023.
Un doute subsiste toutefois sur le régime applicable pour les transmissions ayant eu lieu entre le 29 septembre 2023 (date de l’arrêt du Conseil d’État précité) et le 17 octobre 2023.
Quoi qu’il en soit, en faisant rétroagir ces nouvelles règles au 17 octobre 2023, le législateur a souhaité éviter un effet d’aubaine, sachant que certains contribuables – associés d’une société exerçant notamment une activité de location meublée à usage d’habitation – auraient pu être tentés de céder leurs parts sociales ou leurs actions, avant la publication de la loi de finances pour 2024.
Notes :
Didier Majerowiez
Avocat Fiscaliste
Barreau de Paris
https://www.fiscaloo.fr/