1. Dans les deux affaires ayant donné lieu aux ordonnances commentées, les requérants avaient, depuis de très nombreux mois, sollicité leur nomination en qualité de notaire.
En dépit de dossiers complets dès leur introduction, aucun arrêté de nomination n’était publié, le ministère se bornant à indiquer aux intéressés que leurs demande était toujours « en cours d’instruction ».
Pour vaincre l’inertie de l’administration, les requérants ont alors, sur le fondement de l’article L521-3 du Code de justice administrative, introduit un référé « mesures utiles » et demandé au juge des référés qu’il soit enjoint au garde des sceaux de statuer sans délai sur leur demande.
Ce recours se situait dans la droite ligne de la jurisprudence Fathi en vertu de laquelle un référé « mesures utiles » peut être engagé afin de contraindre l’autorité compétente à prendre une décision lorsque le retard de l’administration à prendre position sur une demande ne fait naître aucune décision implicite [1].
2. Toutefois, alors même, d’une part, que le ministère indique lui-même, sur différents documents publié sur son site Internet, que le délai moyen d’instruction d’une demande de nomination est compris entre cinq et six mois, et alors même d’autre part, que l’administration, aux termes de ses observations en défense, admettait ne pas encore avoir statué sur les demandes des requérants, les juges des référés des tribunaux administratifs d’Amiens et de Montreuil ont estimé que ces demandes avaient en réalité déjà fait l’objet d’une décision implicite de rejet.
Ils ont en effet relevé qu’en application de l’article 1er du décret du 23 octobre 2014 et de son annexe, le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande de nomination en qualité de notaire vaut décision implicite de rejet et s’en sont tenus à une application stricte de ce texte.
Le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a ainsi précisé que :
« Si l’administration indique poursuivre toujours l’instruction de cette demande dans l’attente d’un avis du procureur général près la cour d’appel territorialement compétente et si cette circonstance est susceptible d’induire en erreur la requérante sur le délai de recours susceptible de lui être opposé, elle est en revanche sans incidence sur la formation même de la décision implicite rejetant cette demande, qui ne dépend que des dispositions légales et réglementaires citées ci-dessus […] » [2].
Pour sa part, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a retenu dans le même sens que :
« En application des dispositions précitées du Code des relations entre le public et l’administration et du décret n°2014-1277 du 23 octobre 2014 et de son annexe, une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le ministre à l’expiration du délai d’un deux mois à compter de l’enregistrement de ces demandes. En l’espèce, des décisions implicites de rejet étaient ainsi nées depuis plusieurs mois à la date d’enregistrement du présent référé « mesures utiles ». Par suite, l’injonction demandée serait de nature à faire obstacle à l’exécution de ces décisions implicites et ce alors même que le ministre de la justice indique, dans son mémoire en défense, être dans l’attente d’un avis du procureur général près la Cour d’appel de Paris » [3].
3. Une conclusion se dégage ainsi de ces deux décisions : tout notaire en attente de nomination doit considérer qu’à l’issue d’un délai de deux mois après avoir introduit sa demande, celle-ci a implicitement été rejetée.
Il est alors dans son intérêt de contester immédiatement cette décision dans le cadre cette fois d’un recours en annulation assorti, si l’urgence le justifie, d’un référé suspension introduit sur le fondement de l’article L521-1 du Code de justice administrative.
4. Ce qu’ont d’ailleurs fait avec succès les requérants.
Saisis cette fois sur le fondement de l’article L521-1 précité, les juges des référés des tribunaux administratifs d’Amiens et de Montreuil ont en effet retenu que le garde des sceaux ne pouvait refuser de procéder à la nomination des demandeurs au seul motif que ses services ne disposaient pas encore de l’avis du procureur général relatif à leur honorabilité - un tel avis n’étant en effet nullement requis par les textes.
Aux termes de deux nouvelles ordonnances, ils ont ainsi ordonné la suspension des décisions implicites de rejet et enjoint à l’administration de prononcer provisoirement, dans l’attente du jugement au fond, la nomination des intéressés [4].
Notes :
[1] CE, 18 juillet 2011, n° 343901, publié au Recueil.
[2] TA Amiens, JR, 10 novembre 2022, n° 2203452.
[3] TA Montreuil, JR, 14 novembre 2022, n° 2215368.
Laurent Stouffs
Avocat au Barreau de Paris