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« Il est important d'assurer une stabilité au notariat » (Pierre Morel-À-L'Huissier, député)

« Il est important d’assurer une stabilité au notariat » (Pierre Morel-À-L’Huissier, député)

La loi Croissance (ou loi « Macron ») du 6 août 2015 [1] a réformé en profondeur les professions réglementées, dont le notariat. Liberté et carte d’installation, encadrement des tarifs notariés, âge limite d’exercice et retraite des notaires, formes sociales des offices sont quelques-unes des mesures ayant largement affecté l’exercice de la profession. Ces conditions de nomination et d’exercice des notaires ont fait grand bruit au sein de la profession ; des ajustements sont actuellement préconisés à l’Assemblée nationale. Nous sommes allés à la rencontre de Pierre Morel-À-L’Huissier, auteur de la proposition de loi « portant diverses mesures d’adaptation de l’installation des notaires », déposée le 15 novembre 2022.

Pierre Morel-À-L’Huissier est député de la Lozère. Du fait de sa double formation d’avocat et de notaire, il prête une oreille particulièrement attentive aux évolutions du notariat. Et, ce, d’autant que, comme il le rappelle, il y a peu de notaires députés. Souvent sollicité par le Conseil Supérieur du Notariat (CSN), il est notamment invité à l’Assemblée de Liaison des notaires. Dans le prolongement du rapport d’évaluation sur la loi croissance du CSN [2], il prend soin de mettre en exergue certaines difficultés de la profession.

Village des Notaires et des Experts du Patrimoine : Vous êtes à l’origine d’une proposition de loi relative à l’installation des notaires. Avez-vous eu des remontées de terrain de leur part sur la réforme de la profession ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : Oui, en effet. J’ai notamment entendu des critiques concernant les effets de la loi Macron et la tendance à vouloir s’aligner sur le système anglo-saxon. L’acte d’avocat aussi, qui est venu interférer dans l’activité des notaires. L’émergence de nouvelles études notariales est un point de friction pour les notaires au sein d’un département et il est exact que lorsqu’une étude est créée en milieu rural, alors qu’il y en a déjà plusieurs, l’impact sur le chiffre d’affaires des études préexistantes peut être lourd.

« Il faut juguler le phénomène des études fantômes. »

Il faut encore juguler le phénomène des études fantômes, dites « études blanches », que j’ai dénoncé dans des questions écrites [3]. Les critiques visent également certains dispositifs technologiques et, plus précisément, l’horodatage du dépôt des demandes de nomination sur des offices à créer, qui a perturbé l’écosystème. Cela a été porté à la connaissance de l’Autorité de la concurrence, notamment via une lettre que j’ai pu lui adresser.

VNEP : La PPL propose de suspendre la création de nouveaux offices notariaux jusqu’au 1er janvier 2024. Y a-t-il un lien avec la crise sanitaire, qui a amplifié les effets de la réforme sur la santé des études ?

P. M.-À-L’H. : Sur l’installation à proprement parler, je soulignais dans une question écrite, le déséquilibre qu’il peut y avoir entre les notaires rachetant les parts d’études existantes et ceux créant des études ex nihilo à quelques kilomètres de là. Avec le dispositif Macron, les conditions d’installation ne sont pas les mêmes. Et ce déséquilibre n’est pas compensé [4]. On pourrait presque parler d’une rupture d’égalité entre professionnels. Là-dessus, il n’y a pas encore eu de prise en considération par les pouvoirs publics.

« La baisse du nombre d’actes menace la profession. »

Ensuite, de ce que j’ai pu entendre de notaires un peu partout, et notamment en Occitanie, la crise sanitaire a, en effet, eu des effets induits. Certaines études n’avaient pas l’acte électronique, elles manquaient de personnel, etc. Quant au télétravail, il peut convenir dans certaines circonstances, mais il n’a pas forcément été adapté dans le notariat. L’impact est donc certain. Or la baisse du nombre d’actes, liée aux difficultés à recevoir les actes en présentiel, menace la profession. Comme elle me l’a assuré par écrit, l’Autorité de la concurrence s’est attachée à mesurer le plus finement possible les répercussions de la crise sanitaire sur l’activité notariale et s’est engagée à formuler des recommandations en conséquence.

VNEP : Au lieu d’une révision tous les deux ans, la carte d’installation serait revue tous les cinq ans. Qu’est-ce qui justifie l’allongement de ce délai ?

P. M.-À-L’H. : ll est important d’assurer une stabilité à la profession. Plus on change la cartographie, plus on déséquilibre le territoire. Deux ans, c’est un laps de temps très court en droit des affaires. Et c’est un point sur lequel l’Autorité de la concurrence semblait me rejoindre dans nos échanges écrits, en restant « très attentive à la situation économique de la profession ». J’envisage de la relancer à ce sujet pour obtenir un bilan de la situation.

« Ouvrir une profession réglementée à la concurrence ne va pas de soi. »

Les notaires deviennent des officiers publics ministériels après des études difficiles, doivent faire des choix d’installation qui peuvent être lourds, et sont étroitement contrôlés. Or, ouvrir une profession réglementée à la concurrence ne va pas de soi. Le notaire aura toujours ses spécificités par rapport, par exemple, à l’avocat, en ce qu’il est investi d’une mission de service public.
La profession, dont le modèle intéresse par ailleurs beaucoup les autres pays, n’était peut-être pas préparée au mouvement qui a été lancé par la réforme et a pu être surprise. Le notariat avait quelque peu fermé la profession, et il a fallu la rouvrir aux jeunes et aux femmes, ce que les chiffres corroborent actuellement. Autant de changements qui doivent être menés avec prudence et demandent du temps.

VNEP : Il est aussi projeté de donner un droit de regard aux « personnes intéressées » sur l’avis établi par l’Autorité de la concurrence. De qui s’agirait-il exactement ?

P. M.-À-L’H. : Dans mon esprit, je pense que toutes les parties prenantes (CSN, chambres, études) devraient être impliquées. Le CSN est en effet une autorité représentative, en contact permanent avec la Chancellerie. Mais, de ce que j’ai pu observer, les présidents successifs n’ont pas toujours les retours qu’ils souhaiteraient de la part du ministère.

« Seules les études elles-mêmes ont un regard pleinement objectif sur la situation. »

Une analyse pourrait aussi être faite auprès des études, plus qu’auprès des seules Chambres. Seules les études elles-mêmes ont en effet un regard pleinement objectif sur la situation. Il faudrait donc s’adresser globalement aux offices, pour savoir quel est l’impact qu’ils ressentent aujourd’hui. Nul doute que l’Autorité a les capacités matérielles de les interroger directement. Le processus de réorganisation de la profession a certes été lancé, mais il conviendrait maintenant d’évaluer ce processus auprès de ceux qui ont été touchés, pour en tirer les conclusions adéquates.

VNEP : Quels sont les autres sujets qui vous tiennent à cœur à propos du notariat ?

P. M.-À-L’H. : Il y a un véritable enjeu concernant la question des tarifs. Certains notaires me disent qu’ils ne font pas certains actes qui leur rapporteraient tout au plus 90 euros. C’est par exemple le cas dans certaines communes rurales, pour régulariser des chemins disparus ou des cadastres complexes, le fonds de compensation étant insuffisant [5]. Les études ne doivent certes pas refuser de procéder à certains actes, mais elles ne doivent pas non plus se retrouver en difficultés financières car on les sous-paierait. Cette situation n’est pas satisfaisante et mériterait d’être remise à plat, notamment concernant le plafonnement de certains actes.

« On doit réfléchir aux nouveaux services de proximité que les notaires peuvent rendre à la société française moderne et décentralisée. »

Plus largement, je pense que le notaire pourrait, aujourd’hui, être investi de nouvelles missions, telles que la réalisation de rapports d’expertise en matière immobilière. L’autorité administrative s’occupe encore de certaines questions, alors que l’on dispose de professionnels qui sont sur place et sont des sachants dont l’expertise peut être mise à contribution, notamment pour l’évaluation patrimoniale au lieu et place de France Domaine. On doit aussi réfléchir aux nouveaux services de proximité que les notaires peuvent rendre à notre société, moderne et décentralisée. Pourquoi ne pas, par exemple, donner un nouveau rôle au notaire auprès des petites municipalités ? À l’instar des maisons médicales, on pourrait également imaginer de mettre en place des maisons du droit interprofessionnelles, pour que les citoyens aient accès à un panel de services. Je suis en tout cas prêt à proposer à la Commission des lois de s’y intéresser, par exemple sous la forme de « missions flash ».


Notes :

[1L. n° 2015-990, 6 août 2015, JO 7 août, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

[3Rép. min. n° 31493, JOAN, 16 nov. 2021, p. 8349, Morel-À-L’Huissier P.

[4Rép. min. n° 31494, JOAN, 9 nov. 2021, p. 8120, Morel-À-L’Huissier P.

[5Ibid.

  • « Il est important d’assurer une stabilité au notariat » (Pierre Morel-À-L’Huissier, député)

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