Pouvez-vous nous présenter brièvement le groupement des Commissaires de justice administrateurs d’immeubles ?
Didier Duplaa - Sylvain Ollagnon : Notre groupement a été créé en 2012 à l’initiative d’une dizaine d’huissiers de justice bénévoles qui, pratiquant l’administration d’immeubles, étaient désireux de partager leurs expériences et leur pratique. Il s’agissait également de favoriser l’exercice de cette activité dans notre profession en travaillant avec nos instances représentatives.
Nous avons ainsi fédéré plusieurs centaines de confrères. Nous avons organisé chaque année des assises nationales devenues un évènement incontournable, lieu de rencontres et d’échanges avec des partenaires toujours plus nombreux. C’est une vraie réussite humaine et corporative dont nous sommes très fiers.
Nous avons porté de nombreux projets concernant des outils numériques innovants, des logiciels adaptés à notre statut, des formations en gestion locative, en syndic et en intermédiation, des outils de communication, etc.
Notre groupement a été depuis sa création un vecteur d’innovations et un ardent défenseur de l’évolution de notre statut pour une égalité de traitement avec les autres professions règlementées telles que les notaires notamment dans l’exercice des activités immobilières.
Cette initiative a été fructueuse car actuellement un tiers de la profession exerce une ou plusieurs des activités accessoires d’administration immobilière
Quels sont les faits marquants de l’année 2024 pour votre association ?
D. D. - S. O. : L’année 2024 a été une année exceptionnelle. Les commissaires de justice sont devenus des acteurs de l’immobilier à part entière. En effet, après une évolution très lente depuis 1958, notre profession a obtenu la possibilité de pratiquer l’intermédiation immobilière [1], mais surtout de travailler au grand jour en faisant état de notre qualité de commissaire de justice, d’officier public et ministériel. Comment imaginer de continuer à exercer nos activités immobilières à visage caché ? Ceci était une hérésie. L’autorité de la concurrence a bien compris qu’il était naturel et équitable d’aligner les statuts de tous les professionnels, pour une meilleure transparence et une sécurité juridique accrue.
À ce sujet, nous ne pouvons que remercier Maître Benoit Santoire, président de la Chambre nationale des commissaires de justice et son bureau, pour leur écoute et leur capacité à faire aboutir ces projets qui sont une avancée majeure pour notre profession.
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L’investissement du groupement a été total dans ce combat depuis sa création, c’est pour nous une grande satisfaction. Mais évolution rime avec formation, c’est pourquoi nous avons également, au côté de notre chambre nationale, construit une nouvelle formation sur l’intermédiation immobilière.
Nous nous étions entretenus l’an dernier avec le Président Santoire et avions évoqué le constat de conformité Legal Preuve. Avec l’interdiction de louer les logements « énergivores » de classe G effective depuis le 1er janvier 2025, pouvez-vous rappeler l’intérêt pour un bailleur ou un locataire d’avoir recours à ce service proposé par les Commissaires de Justice ?
D. D. - S. O. : Il n’aura échappé à personne que la mise en location d’un logement est devenue plus complexe. Les règlementations de décence et de rénovation énergétique se sont accentuées, pouvant aller jusqu’à l’interdiction de louer. C’est effectivement le cas pour les logements classés G depuis le 1ᵉʳ janvier 2025. On entend par là des logements considérés comme indécents et les passoires thermiques.
Gérer un bien mis en location, c’est aussi conseiller son bailleur en lui rappelant les contraintes existantes et en l’incitant à effectuer les travaux nécessaires au maintien d’un logement en état de location.
Dans cette optique, le groupement des commissaires de justice administrateurs d’immeubles a été à l’initiative de la création d’un véritable audit de l’habitat destiné à recenser les anomalies d’un logement pouvant le rendre impropre à la location. C’est sur cette base que notre chambre nationale a créé le constat de conformité locative Légal Preuve qui permet à travers un outil numérique de lister et de recenser les obstacles à la mise en location d’un logement. Le bailleur obtient ainsi une check-list complète de son logement et connait les postes de travaux à prévoir pour pouvoir continuer à louer son logement. À ce sujet, notre devoir de conseil est ainsi rempli et nous pouvons accompagner nos bailleurs dans leurs choix de gestion de patrimoine. Puisqu’il s’agit d’un procès-verbal de constat, il est neutre et objectif. C’est donc un moyen simple pour le bailleur de bonne foi de se prémunir de recours intempestifs ou injustifiés ou pour le locataire de faire valoir ses droits à l’encontre d’un marchand de sommeil.
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La conjoncture économique est morose. Constatez-vous une hausse des impayés de loyers et de charges de copropriété ?
D. D. - S. O. : Effectivement, la conjoncture économique n’est pas des meilleures, le pouvoir d’achat des Français s’en ressent. Le commissaire de justice est en prise directe avec les difficultés de paiement des particuliers comme des entreprises.
Dans nos activités d’administration d’immeubles, nous ressentons des difficultés et des retards dans les règlements des loyers ou des charges locatives.
Nos interlocuteurs que sont les locataires ou les bailleurs sont sensibilisés à l’importance du paiement de leurs loyers et charges. Il s’agit pour eux de protéger leur lieu de vie ou d’investissement. Notre formation fait de nous des gestionnaires avisés du retard de paiement ou de l’impayé. C’est une de nos valeurs ajoutées dans la gestion immobilière.
Garantir les paiements des loyers ou le règlement des charges de copropriété, c’est participer à l’amélioration et à la conservation du patrimoine immobilier de nos concitoyens et clients.
Comment accompagnez-vous les particuliers/sociétés lorsqu’ils rencontrent des difficultés dans ce domaine ?
D. D. - S. O. : La gestion de l’impayé est notre cœur de métier. Aussi, dès le premier retard de paiement et sans attendre l’impayé, nous prenons contact avec le retardataire et analysons l’origine de l’incident de paiement. Nous expliquons alors que l’impayé locatif ou de copropriété crée les conditions de la précarité ou de la perte financière. Perdre son logement ou son bien est gravissime.
L’accompagnement à la régularisation de l’incident de paiement est indispensable. Nous aidons nos interlocuteurs à faire des choix, à prioriser leurs dépenses, à connaitre leurs droits et à saisir les organismes sociaux susceptibles de les aider. Un impayé se rattrape, la multiplication des impayés obère la situation.
Lorsqu’il n’est pas possible de résoudre l’impayé immédiatement, nous sommes l’intervenant idéal dans la mise en place d’une stratégie de recouvrement pouvant aller jusqu’à la récupération du logement en matière locative. En matière de charges de copropriété, en fonction du montant d’impayés, nous pouvons poursuivre le recouvrement par des mesures conservatoires ou jusqu’à l’expropriation du bien. Des cas extrêmes qui existent néanmoins.
Depuis septembre 2024, vous couvrez l’ensemble des métiers allant de la transaction immobilière à la gestion locative en passant par le syndic de copropriété. Comment convaincre un client potentiel de pousser la porte d’une étude et de mandater un commissaire de justice comme intermédiaire immobilier ?
D. D. - S. O. : Nous savons que les activités immobilières sont très concurrentielles. La possibilité de réaliser de l’intermédiation immobilière depuis le 1ᵉʳ septembre 2024 n’est que la suite logique des activités immobilières que nous exerçons déjà à bas bruit depuis 1958. Les rues des villes françaises ne vont pas se remplir de nouvelles agences des commissaires de justice. Nous souhaitons simplement offrir à un marché ouvert ce qui fait notre particularisme, à savoir nos qualités de juriste de proximité, tiers de confiance, acteur de terrain.
Nous remarquons d’ailleurs que nombre de nos clients nous ont connus à travers nos activités régaliennes. Ils nous font confiance dès lors que nous leur proposons nos services immobiliers. Il ne faut pas oublier que l’intermédiation immobilière n’est possible que sur les biens immobiliers que nous gérons déjà, donc le client est déjà là.
Une offre de service globale est un plus que nous mettons en avant.
En tant que praticien du droit, de la légalité, de la gestion de créances, nous sommes totalement légitimes dans le monde des activités immobilières. La lecture et l’analyse des documents juridiques sont notre quotidien. Nous tâcherons d’apporter à nos clients notre savoir-faire et une sécurité juridique accrue.
Notamment lors de la constitution d’un dossier de vente bien construit favorisant une signature rapide.
À ce titre, les notaires qui sont nos partenaires dans nos activités régaliennes pourront apprécier, nous l’espérons, nos interventions en matière d’intermédiations immobilières. Nous nous attacherons à transmettre au notaire, rédacteur de l’avant-contrat, un dossier bien préparé pour qu’il soit rapidement et facilement traité.
Vous avez signé en décembre 2024 avec l’APAGL une convention de partenariat pour accélérer le déploiement du dispositif Visale. Pouvez-vous nous en dire plus sur le sujet ?
D. D. - S. O. : Lors du dernier congrès des commissaires de justice qui s’est tenu en décembre 2024 à Paris, le GCJAI a effectivement signé un partenariat avec l’Association pour l’Accès aux Garanties Locatives (APAGL) qui propose le dispositif VISALE. En tant que gestionnaire locatif, il nous paraissait indispensable de permettre aux plus jeunes d’accéder au logement tout en sécurisant les revenus locatifs des bailleurs. Il s’agit d’une garantie des loyers et des charges simple, rapide et 100 % gratuite pour toute la durée du bail. Avec Visale, Action Logement rassure sur l’éligibilité et la solvabilité du candidat locataire.
Ce dispositif a la particularité de s’adresser aux jeunes actifs, étudiants, alternants et cette approche à caractère social avait son importance pour nous. Nos portefeuilles de gestion contiennent de nombreux logements de petite surface destinés à ce public, alors ce partenariat était une évidence. Le dispositif VISALE s’ajoute à d’autres propositions du marché. Nous allons développer des actions pour porter à la connaissance de nos adhérents ce dispositif.
Pour en savoir plus sur le dispositif Visale.
Notes :
[1] l’intermédiation immobilière est un terme générique regroupant les activités réglementées de transaction sur immeubles et fonds de commerce, de gestion locative et de syndic de copropriété.
Propos recueillis par Axel Masson
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)