Dans la majorité des domaines, l’interprofessionnalité est vue d’un bon œil pour sa capacité à mutualiser un ensemble de services, en additionnant des compétences complémentaires. Il n’en est pas exactement de même pour les professionnels du droit. Longtemps, les plus illustres de ces professionnels, avocats et notaires se sont opposés une légitimité naturelle, puisque, si la loi leur attribue des pouvoirs différents, il n’est pas rare que les deux métiers adressent des sujets communs : divorce, droit des sociétés...
Le terme interprofessionnalité a pris une dimension nouvelle à la fin des années 2000 avec la publication au mois de mars 2009 du rapport Darrois sur les professions du droit, commandé par le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, un ancien avocat.
L’une des ambitions de ce rapport était d’inciter les professionnels du droit à intensifier leurs collaborations. À cet effet, le rapport propose un socle commun pour simplifier les interactions. Une pratique déjà mise en œuvre par les professionnels du droit, puisque jusqu’au niveau Master, futurs avocats et notaires partagent les mêmes bancs à la faculté et se voient dispenser le même socle commun de connaissance en droit.
Mais alors, des professions qui se challengent, voire se complètent, doivent-elles encore s’opposer régulièrement ?
Le législateur tend en tout cas à réconcilier les deux parties, et mise sur leur complémentarité pour gagner en efficacité. Ce législateur est en tout état de cause convaincu qu’il s’agit du sens de l’histoire. Il ne pourra y avoir d’autre salut que de concilier logique professionnelle et logique de marché.
Un autre Président de la République s’est donc attaqué à ce sujet. La loi Macron du 6 août 2015, du nom de celui qui était alors ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, va entériner la volonté des instances de mutualiser des savoirs et des compétences dans des entités uniques.
Son article 21 prévoit également la possibilité pour les professionnels du droit, dont les avocats et les notaires, de créer une société unique pour l’exercice de toutes ces professions, dans le respect des déontologies propres à chaque profession.
Dans les faits, l’objectif de cette loi est de se rapprocher du « service complet de bout en bout », un lien simplifié et plus fluide entre les différentes professions libérales. Le marqueur le plus flagrant est cette possibilité nouvelle, portée par l’actuel chef de l’État, de constituer une société qui a pour objet l’exercice en commun de deux ou plusieurs des professions réglementées évoquées ci-dessus. Si jusqu’alors, des partenariats de circonstances existaient, cette loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques consacre une complémentarité nouvelle et bénéfique pour les avocats et les notaires.
Mais tout compte fait, les vrais bénéficiaires de ce bouleversement des équilibres, certes tardifs si on le compare à d’autres pays européens, ne seraient-ils pas les clients ? Face à une concurrence toujours plus accrue, la notion de « service global » agrège les compétences, rendant les recherches pour un service plus simple, avec un accès aux informations et aux ressources regroupées sous une seule entité. Bien souvent le coût du service s’en voit réduit, car démultiplié au sein d’un même cabinet. Un gain de temps et d’opportunités pour une clientèle toujours plus exigeante.
De fait, une enquête réalisée par l’Indexfi, en avril 2016 sur l’interprofessionnalité, révèle que 70 % des professionnels interrogés considèrent que la mobilisation de leur réseau interprofessionnel produit une meilleure satisfaction du client. Cette synergie interne initiée par la rencontre entre des professions qui peuvent se compléter, ferait le bonheur d’une clientèle en recherche d’agilité et de solutions sur-mesure.
Selon cette même enquête d’Indexfi, le retour de la clientèle est positif puisque 65 % des clients particuliers ont déjà eu recours à un service proposé par plusieurs branches d’une Société Pluriprofessionnelle d’Exercice au moins une fois. Un chiffre qui dépasse les 75 % lorsqu’il s’agit d’un client professionnel, société ou profession libérale.
Le législateur encourage les notaires et les avocats à renforcer leur collaboration, leurs clients ont intérêt à une collaboration plus poussée mais au-delà, ces deux illustres professionnels du droit ont bien compris également qu’ils sont naturellement appelés à collaborer pour préserver la singularité, l’unicité et l’exemplarité du modèle à la française des professions réglementées. Une tradition juridique qui est de plus en plus challengée, tant au niveau européen que mondial.
Guillaume de Bruc, directeur général Septeo Notaire
Jean Paul Grimalt, directeur général Secib - groupe Septeo