Quels sont aujourd’hui les principaux enjeux de la propriété immobilière ? Les quatre présidents des commissions sont unanimes : le droit de propriété doit se transformer. « L’enjeu principal est de faire évoluer ce droit, avec les changements actuels de la société » confirme Sophie Sabot-Barcet, présidente de la quatrième commission. Si les Français restent attachés à la propriété immobilière (58% des Français sont propriétaires de leur résidence principale), les dispositions actuelles ne correspondraient plus aux pratiques des propriétaires ou futurs acheteurs. « Le droit de propriété doit survivre à l’inflation des normes, qui lui porte atteinte et limite son plein exercice, précise Thierry Vaillant, président de la troisième commission. Il doit conserver une certaine attractivité, dans une société qui voit se développer des modes de consommation sans investissement en capital, où l’usage prime sur la propriété. Serons-nous encore propriétaire de notre résidence principale dans 50 ans ? »
Reste maintenant à analyser les modifications qui doivent être apportées au droit de propriété, en commençant par ses fondements. « L’enjeu consistera à pouvoir adapter la définition du droit de propriété avec une évolution choisie et non subie de la société » explique Marie-Hélène Pero Augureau-Hue, présidente de la deuxième commission. L’évolution doit également concerner le savoir-faire des praticiens, afin « d’adapter le droit de propriété à l’évolution des esprits, souligne Vivien Streiff, président de la première commission. Nous reconsidérons les origines de la méfiance qu’éprouvaient et éprouvent encore les juristes à l’égard d’un droit de propriété perpétuellement divisé. Les arguments qui justifient ces craintes nous semblent venus d’un autre temps, d’autant que les techniques de division de l’immeuble autorisent ce que la division du droit de propriété interdit ».
Lors du Congrès à Nantes, chaque commission se penchera sur les problématiques spécifiques de la propriété immobilière. Le Journal du Village des Notaires s’est entretenu avec chaque président de commission, pour obtenir des éclairages sur ces multiples questions.
Interview de Vivien Streiff, président de la première commission
La définition actuelle du droit de propriété ne serait plus adaptée : ne doit-il plus être absolu ? Doit-il devenir un droit modulable ?
Il n’est pas question pour nous de revenir sur le caractère absolu du droit de propriété ni sur les prérogatives dont jouit un propriétaire sur son bien. Le droit de propriété se situe au sommet de la hiérarchie des droits réels et doit, à ce titre, demeurer le modèle absolu auquel le notariat est d’ailleurs fermement attaché.
Il s’agit de promouvoir la modularité, non pas du droit de propriété en tant que tel, mais des divisions dont il peut faire l’objet. Ces divisions correspondent aux figures bien connues des praticiens, que sont l’usufruit et son diminutif, le droit d’usage. Leur régime juridique, qui participe nécessairement de la définition du droit de propriété, souffre selon nous, de certaines rigidités qui freinent l’exploitation économique de l’immeuble. Si l’on voit le droit de propriété comme une somme de prérogatives dont le propriétaire jouit librement, on peut assez légitimement plaider pour la liberté de diviser les utilités d’un immeuble.
C’est forts de ce constat que nous plaidons pour une approche plus pragmatique du droit de propriété dont la dissociation serait assouplie.
Dans quelles mesures la définition de l’immeuble crée de l’insécurité juridique ? Laisser une place à la volonté des parties ne constituerait pas une trop grande variable ?
La définition de l’immeuble a effectivement retenu notre attention pour deux raisons. La première a trait, sans grande surprise, à l’emploi d’une terminologie quelque peu désuète héritée de 1804. La seconde, moins anecdotique, tient aux contours flous de la qualification de l’immeuble. Cela est particulièrement vrai s’agissant des immeubles par destination. Il s’agit, rappelons-le, de meubles qui se transforment automatiquement en immeuble par fiction de la loi, en raison de l’affectation que le propriétaire est censé leur avoir donné. Par exemple, si cette qualification va de soi pour un tracteur affecté à une exploitation agricole, elle varie pour un cheptel, pour le mobilier d’un hôtel, et, en général, en matière commerciale. Or l’éventuelle qualification d’immeuble par destination a pour effet de soustraire au fonds de commerce, donc au gage des créanciers, certains éléments dont la valeur n’est pas négligeable. Il nous paraîtrait logique de permettre au propriétaire d’adapter conventionnellement la qualification de ces biens dans le respect des droits des tiers et, en particulier, des créanciers. C’est bien la sécurité juridique qui est ici visée.
Le droit de jouissance spéciale est-il l’avenir du démembrement de propriété ?
La reconnaissance des droits réels de jouissance spéciale est la révolution qui manquait à l’auguste droit des biens. Cette nouvelle catégorie de démembrement, que nous qualifierons de résiduelle, est l’outil qui manquait aussi au notariat. C’est ici la liberté contractuelle qui prend le pas pour offrir le choix d’un droit à la carte, dans sa composition et dans sa durée : je ne finance et ne valorise que ce qui correspond à mes besoins.
L’enjeu est considérable pour le notariat qui n’a cependant pas, depuis l’arrêt Maison de Poésie, saisi toutes les opportunités. Rien de surprenant pour nous au regard des importantes zones d’ombres que la Cour de cassation n’a pas levées à ce jour. Nous invitons le notariat à se saisir de ce sujet majeur et à œuvrer à cette passionnante construction.
Le droit réel de jouissance spéciale constitue pour nous une véritable impulsion. Il nous invite, au-delà de son intérêt pratique, à réfléchir sur une conception renouvelée du rapport au logement. Nous voyons dans la jouissance temporaire, non un substitut mais plutôt une alternative au modèle de la propriété perpétuelle.
Vivien Streiff est notaire associé à Condé sur Escaut (Nord) et président de la première commission du 112ème Congrès des notaires de France.
Interview de Marie-Hélène Pero Augureau-Hue, présidente de la deuxième commission
Comment rééquilibrer les relations entre droit de propriété et droit de l’occupant ?
Il faut tout d’abord arrêter de véhiculer cette vision naïve et stéréotypée du méchant propriétaire face au gentil locataire. Il n’y a ni gentil ni méchant dans l’histoire, mais des droits et obligations réciproques qui doivent être équilibrés et respectés par les bailleurs comme par les locataires.
Cet équilibre participe au maintien du contrat social et favorise l’investissement. Mais cet équilibre se trouve menacé par des actions législatives principalement dictées par des évènements particuliers et médiatisés. On pense ici et essentiellement à la question sensible du logement.
Pour rééquilibrer les relations entre droit de propriété et droit de l’occupant, il nous semble impératif de se recentrer sur le principe de l’équité. Ainsi, si la lutte contre les abus de certains propriétaires est une cause légitime de l’action législative, il doit en être de même lorsqu’il s’agit de lutter contre les abus du locataire.
Prenons un exemple : si le marchand de sommeil est privé du droit d’acquérir certains biens immobiliers, ne peut-on envisager, réciproquement, que tout personne condamnée suite à une occupation sans droit ni titre ne puisse se prévaloir du droit au logement ?
Le droit de préemption est, selon la commission, dévoyé. Quelles limites faut-il poser pour qu’il retrouve son sens ?
Oui, le droit de préemption est dévoyé de ses finalités premières, que l’on parle du droit de préemption du locataire ou encore de celui ouvert à la collectivité.
Le droit de préemption a été conçu comme un moyen d’action permettant au locataire d’accéder à la propriété et à la collectivité de préparer et de réaliser des opérations d’aménagement et d’urbanisation.
Mais progressivement, l’évolution de la société, les crises successives et la multiplication « des droits à », ont modifié l’aspect premier du droit de préemption qui est devenu un moyen de lutte et de contrôle plus qu’un moyen d’action. Contrôle des prix, lutte contre la fraude, lutte contre la crise du logement, lutte contre la disparition du commerce et de l’artisanat de proximité…
Quant aux limites à poser, elles sont à notre sens étroitement liées à la définition que la société entend donnée, dans l’avenir, au droit de propriété.
Malgré les contraintes actuelles, devenir ou être propriétaire reste intéressant aujourd’hui ?
Cette question amène plusieurs réponses. Concrètement, et hormis le cas du professionnel de l’immobilier, il nous faut distinguer celui qui est déjà propriétaire de celui qui ne l’est pas encore. L’intérêt que vous mentionnez s’appréciant, alors, de manière différente.
Pour celui qui n’est pas propriétaire, accéder à la propriété reste (encore) et pour la majorité une aspiration sociale. L’accession à la propriété témoigne d’une certaine réussite professionnelle et personnelle : être locataire, c’est bien, mais être propriétaire c’est mieux…
Pour celui qui est déjà propriétaire, la question est différente car il est dans une autre logique, celle de l’investissement et de la rentabilité. La propriété est alors perçue comme un moyen de gérer et de faire fructifier son patrimoine.
Bien que présentée de façon distincte, il existe une interdépendance certaine entre ces deux logiques. Ainsi, le risque à trop contraindre est de décourager l’investissement mais aussi tout esprit d’entreprise.
Finalement cette question a de multiples facettes qui relèvent et sans ordre préconçu : du droit, de l’économie, de l’évolution de notre société, de l’histoire et de la sociologie.
Marie-Hélène Pero Augureau-Hue est notaire à Chevreuse et exerce depuis 2007. Son office notarial est membre du groupe Monassier.
Interview de Thierry Vaillant, président de la troisième commission
Le droit de propriété doit-il aujourd’hui être personnalisable ? Ne sera-t-il pas compliqué de fixer des aménagements qui conviennent à toute une copropriété ?
Si la copropriété est une « institution au statut essentiellement légal » selon Daniel Sizaire, elle laisse une réelle place aux aménagements conventionnels. Ces aménagements consistent en l’établissement de parties communes spéciales, en la définition de charges spéciales, en la création, le cas échéant, de syndicats secondaires, afin que l’état descriptif de division contenant règlement de copropriété puisse correspondre au mieux à la configuration réelle de l’immeuble.
Est-il normal qu’un copropriétaire d’un lot du bâtiment A participe aux charges d’entretien et de réfection de la toiture du bâtiment C ? Assurément non. Si les copropriétaires étaient consultés pour des questions les concernant directement et participaient essentiellement à des dépenses relatives à des parties et équipements communs qu’ils utilisent effectivement, ils se sentiraient réellement impliqués dans la vie de leur immeuble.
L’habitat participatif vous semble-t-il l’avenir de la propriété ?
Tel qu’il résulte de la loi ALUR, il ne nous semble pas l’avenir de la propriété. En effet, la société civile immobilière d’attribution peut, avec certains aménagements statutaires, tout à fait répondre aux objectifs de l’habitat participatif, défini comme « une démarche citoyenne » qui doit permettre à des personnes de s’unir autour d’un projet et d’apporter des réponses à la spéculation immobilière et à l’insuffisance du parc de logements sociaux.
Il présente, pour le quotidien des habitants, des avantages économiques en raison de l’absence de syndic, sociaux avec une possible et souhaitable entraide intergénérationnelle, et permet une mutualisation des services : covoiturage, garde d’enfants, travaux ménager, etc.
L’esprit de mise en commun et de mutualisation recherché engendre une multiplication des rapports entre les habitants et impose une contractualisation. Le règlement intérieur ne pourra être établi sur la base d’un modèle prédéfini.
Les notaires doivent s’approprier ce nouveau mode d’habitat, afin de proposer aux clients des solutions adaptées, tant les questions juridiques posées sont nombreuses et variées : dispositif anti-spéculatif, encadrement des conditions de retrait, rédaction de la garantie d’achèvement notamment dans le cas où les futurs habitants sont autopromoteurs, …
Qu’entendez-vous par « utilisation économique de l’usufruit » ? Et dans quelles conditions s’instaurerait cet « usufruit à durée déterminée » proposé par la commission ?
L’usufruit a été initialement conçu pour permettre d’assurer à une veuve les ressources pour les quelques années qui lui restent à vivre [1]. L’usufruit est soit d’origine légale, soit d’origine conventionnelle.
Si l’origine légale reste prépondérante, la convention ne doit pas être négligée, tant les praticiens ont su faire de l’usufruit un outil de gestion et de transmission de patrimoine. L’utilisation économique est inhérente à l’institution, l’usufruitier disposant d’un droit réel de jouissance de la chose, objet du démembrement, droit réel lui permettant de retirer du bien une utilité économique. Une illustration courante est l’apport en société de droits démembrés. Mais un usufruit constitué pour une durée déterminée s’éteint par le décès de son titulaire, même si cet événement intervient avant le terme convenu. Cette extinction prématurée déjoue les attentes du bénéficiaire et invalide la justification du prix payé, situation d’autant plus regrettable si l’usufruit temporaire a été constitué à titre onéreux.
La possibilité de constituer un usufruit temporaire non viager permettrait de supprimer cet aléa. Mais à notre sens, cette dérogation doit être réservée aux opérations à titre onéreux. Sans l’aléa lié au décès de l’usufruitier, d’autres applications pourraient encore se développer.
Thierry Vaillant est notaire à Paris et diplômé de la Faculté de Droit de Paris II (Panthéon Assas).
Interview de Sophie Sabot-Barcet, présidente de la quatrième commission
Quelles sont les clés d’une bonne optimisation fiscale ?
Le thème de la quatrième commission est l’optimisation de la propriété immobilière, à ne pas confondre avec l’optimisation fiscale. L’optimisation de la propriété immobilière ne se limite pas à l’optimisation fiscale, ça peut être une finalité. En effet, nous n’avons pas conduit notre réflexion dans cette voie. Bien au contraire, nous avons d’abord chercher des techniques juridiques pour optimiser la propriété immobilière, dès l’acquisition mais aussi tout au long de la détention et à la cession de l’immeuble. Valoriser de manière juridique mais aussi économique sa propriété immobilière, telle a été notre objectif, et si la fiscalité peut être optimisée, c’est encore mieux...
Mais pour répondre à votre question, les clés d’une bonne optimisation sont l’anticipation, le discernement, le bon sens et le respect des principes de droit commun.
Quelles sont les pratiques que doivent absolument bannir les notaires ?
Les pratiques à bannir sont celles qui ont pour seul objectif de contourner les règles fiscales pour que notre client paie moins d’impôt. En effet, nos clients, qui sont des contribuables avant tout, recherchent des déductions toujours plus nombreuses. Rappelons que dans le même temps, la Direction générale des impôts publie une « carte des pratiques et montages abusifs ». Il faut donc concilier ces deux volontés, en recherchant l’intérêt juridique du client avant tout.
Pour l’exemple de la stratégie de donation avant cession d’un immeuble. L’un des intérêts est bien entendu fiscal puisque cette stratégie purge les plus values immobilières. Néanmoins, le fait de donner avant de vendre et non de vendre avant de donner n’est pas en soi constitutif d’abus de droit si le donateur ne se réapproprie pas le prix de vente. Mais tout montage qui permet au donateur de récupérer tout ou partie du prix de vente est à bannir.
Avec les évolutions que connaît le droit de la propriété, pensez-vous que l’investissement immobilier restera privilégié par les Français ?
L’investissement immobilier restera bien évidemment privilégié par les Français. N’oublions pas que la durée de détention des logements, en France, est en moyenne d’un peu plus de sept ans, il convient d’en tenir compte. Toutefois, je pense que le droit de propriété est en pleine évolution et les investissements qui seront proposés à l’avenir se feront peut-être davantage sur les attributs de ce droit, comme par exemple les investissements en nue-propriété.
Sophie Sabot-Barcet est notaire associée à Monistrol sur Loire (Haute Loire), dans une étude comptant quatre notaires associés (deux hommes, deux femmes, parité oblige) et une vingtaine de collaborateurs. « Il y a 15 ans, lorsque j’ai assisté à mon premier congrès, j’ai fait ce rêve un peu fou d’être un jour à la place des rapporteurs...et m’y voilà aujourd’hui ».
Clarisse Andry
Rédaction du Village des Notaires
Notes :
[1] P. Tarrade, Propositions de l’Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens, Litec, 2009, ouvrage collectif, p. 71.