Si certains notaires ne voient « aucun avantage » à travailler en milieu rural, l’immense majorité de ceux qui ont répondu à notre enquête sur le sujet trouvent une ou plusieurs qualités à exercer dans ce type de territoire.
Le thème le plus récurrent est celui de la relation avec la clientèle. Les réponses qui sont venues le plus souvent évoquent « la proximité », « la convivialité », « le lien de confiance ». Certains parlent de la « cordialité » de clients plus agréables et fidèles par rapport à la ville où les relations sont « plus anonymes ». Une réponse vante notamment « la proximité avec toutes les clientèles, de la plus favorisée à la plus défavorisée », et le « rôle central du service public notarial » à l’instar du médecin généraliste. Beaucoup mentionnent le suivi des familles sur des générations et la force du lien qui en découle. Le notaire peut aussi se vivre comme « un confident » qui est « écouté et reconnu »,
et « a une influence considérable sur la population ».
Le notaire n’est « pas perçu comme un prestataire de services lambda, même si cela a tendance à s’éroder », mais souvent comme « un homme de conseil et un homme de Loi en qui on peut avoir confiance et qui accompagne chaque grand moment d’une vie ».
Parfois les clients « [nous] prêtent beaucoup plus de pouvoir que nous n’en avons, comme si nous étions une sorte de ‘juge de paix’ ».
Un autre élément qui revient dans beaucoup de réponses porte sur la qualité de la vie. Les notaires apprécient le « cadre de vie », la possibilité de « profiter de la nature », de « travailler dans un bel environnement de champs, d’herbages, de forêts, en étant proche de la nature et au contact de personnes qui apprécient cet environnement rural et ont conservé l’esprit rural fait de solidarité et de respect ». Certains valorisent également les « déplacements rapides », en opposition aux villes embouteillées.
L’ancrage dans le territoire joue un rôle central dans l’appréciation du métier. Certains répondants mettent en avant « la participation réelle à l’essor du territoire » au travers d’une « relation privilégiée avec les collectivités locales ». L’étude notariale semble prendre d’ailleurs une importance croissante quand d’autres services, voire d’autres offices, quittent la zone. Dans le travail en zone rurale, certains répondants apprécient particulièrement les déplacements sur le terrain, chez les habitants, d’autres vantent la connaissance très poussée que le notaire développe du « milieu économique, social et humain ».
De nombreuses réponses mentionnent enfin la diversité des sujets abordés dans le travail : « L’activité est très diversifiée, nous sommes confrontés à la pratique de toutes les branches du droit, ce qui est totalement conforme à notre formation de généraliste du droit ». Cette polyvalence est d’autant mieux vécue par certains qu’il est « devenu désormais plus facile d’accéder aux enseignements juridiques grâce à internet ».
Quelles sont les difficultés pour le notariat en zone rurale ?
Sur le sujet des difficultés propres au travail en milieu rural, les notaires ont été aussi critiques qu’ils avaient été laudatifs au sujet de ses qualités, à l’exception notable de certains répondants qui ne voient « aucune difficulté » au notariat en zone rurale.
Parmi les caractéristiques des territoires ruraux, ceux qui sont mentionnés comme rendant l’activité notariale difficile sont : « la désertification liée non seulement au dépeuplement mais aussi à la dévitalisation économique des terroirs », « la longueur des transports pour les rendez-vous », « l’éloignement des services publics », ou encore la « faiblesse des connexions internet ». Tous ces éléments contribuent à ce qui constitue la thématique la plus récurrente quand il s’agit des territoires ruraux, à savoir la difficulté à viabiliser l’office.
Parmi les autres éléments qui y participent, on trouve les assiettes faibles, le temps passé sur de nombreux petits actes écrêtés tels que des ventes et échanges de parcelles agricoles, notamment « du fait des complexités administratives », qui font dire à un notaire qu’il « perd de l’argent dès qu’il ouvre ces dossiers ». À cela s’ajoutent « les nombreux rendez-vous de renseignements sans rémunération du temps passé ».
Les revenus sont donc « bien moindres que dans les grandes agglomérations et pour beaucoup plus d’efforts à fournir », avec des « coûts identiques pour les services ADSN » qu’il est donc « plus difficile d’amortir ». De nombreuses voix s’étaient d’ailleurs faites entendre lors de la mise en place des nouveaux tarifs, pour suggérer, comme Jean-Christophe Hoche, président de l’Inere (Institut notarial de l’espace rural et de l’environnement), « qu’il [s’agissait] d’une aberration économique qui allait conduire à un désert juridique dans les campagnes, parce qu’un acte facturé 90€ nécessite une vingtaine d’heures, et revient donc à toucher 4,50 euros de l’heure ». D’où un certain ressentiment vis-à-vis des instances et des pouvoirs publics qui louent les mérites du maillage territorial sans en donner les moyens aux notaires qui l’assument, un notaire pointant ainsi « le décalage de plus en plus fort entre les décisions verticales des instances nationales de la profession et la réalité de terrain du notaire en milieu rural, [donnant] la sensation que la réforme de la profession, et plus particulièrement le tarif, a essentiellement impacté les notaires ruraux et profité aux notaires des grandes villes ».
Plusieurs notaires mentionnent également la forte densité notariale qui peut exister dans certaines zones rurales, et le risque que représenterait la création d’une nouvelle étude pour la rentabilité des études existantes. Certains notaires précisent d’ailleurs qu’ils ont réinstallé leur étude en zone périurbaine,
« car les milieux ruraux ne sont pas viables », quand d’autres suggèrent qu’une solution pourrait être de réorganiser les études rurales en les adossant à une étude urbaine.
L’ensemble de ces difficultés est encore accentuée par la difficulté à recruter des collaborateurs confirmés, d’où l’impossibilité de « se faire remplacer durant les congés », ou la « nécessité de cumuler la réception des clients, la rédaction, la comptabilité ».
Les relations avec la clientèle constituent l’autre thématique la plus souvent mentionnée parmi les difficultés du travail en zone rural. Comme le miroir inversé de cette qualité relationnelle que beaucoup apprécient, il a été beaucoup question, dans les réponses au questionnaire, des exigences très fortes d’une clientèle qui entend très souvent « venir sans rendez-vous », « ne comprend pas que l’on ne puisse pas toujours les recevoir immédiatement », perçoit le notaire comme « quelqu’un qui sait tout, qui le communique gratuitement, et qui n’a pas droit à l’erreur ». Une population rurale marquée par « la paupérisation », « le vieillissement », comprenant « beaucoup de personnes vulnérables », donnant à plusieurs répondants le sentiment de jouer le rôle d’assistance sociale. Beaucoup de notaires sont également sensibles à « la critique du tarif, que les clients trouvent trop élevé pour des biens à la valeur faible », ainsi qu’au sentiment que ces actes sont « délaissés par manque de temps », « provoquant le mécontentement de la clientèle et une mauvaise opinion du travail du notaire ».
Les qualités requises pour s’épanouir comme notaire en milieu rural
Pour répondre à ces difficultés, et trouver sa place dans les territoires ruraux, la plupart des répondants semblent s’accorder sur un certain nombre de caractéristiques qu’il convient de cultiver. Il est avantageux d’avoir de bonnes raisons de vivre en milieu rural, de « connaître le milieu rural », soit par ses origines, soit par son expérience en tant que collaborateur, d’aimer notamment « les loisirs nature » ainsi que « le relationnel avec les gens et les élus du territoire », et d’avoir « un conjoint qui partage les mêmes valeurs rurales ». En matière de qualités humaines, il importe d’avoir de « l’humilité », de la « simplicité », de la « disponibilité » et de « l’écoute ». Il faut également avoir « un sens aigu de l’humain », de la « ténacité » et de la « patience », avoir beaucoup d’empathie et « être prêt à accepter que les clients puissent vous consulter pour tout ce qui concerne leur existence ».Parmi les suggestions les plus radicales, certains notaires considèrent que, pour exercer en zone rurale, il convient de « ne pas penser à l’argent », d’accepter « un investissement professionnel au-delà du raisonnable et souvent au détriment des siens », d’avoir « besoin de peu de sommeil », voire de « vivre en ermite », « d’abdiquer tout à priori », ou encore d’avoir « la foi en son métier tout en sachant que cela ne suffit pas ».
Dans quelles directions développer son activité ?
Un choix plébiscité par beaucoup consiste à développer l’expertise de l’étude dans le droit agricole, voire en se spécialisant en droit viticole pour les territoires concernés. Sont favorisées également toutes les expertises qui peuvent intéresser les domaines agricoles : gestion de patrimoine, cession d’exploitations, optimisation des transmissions, propositions de partage, fiscalité avancée des entreprises agricoles (démembrements, holding,…), en allant jusqu’à « l’étude de marché ». Le rôle du notaire peut être d’autant plus crucial que la frontière entre l’outil de travail et le patrimoine familial reste encore floue en milieu rural, et l’avantage successoral attribué autrefois à celui qui poursuivait l’exploitation n’est plus une évidence. Le notaire joue donc de plus en plus souvent un rôle de médiateur dans les partages de famille.
Un autre choix récurrent porte sur les compétences en immobilier : améliorer « l’évaluation des biens », ses capacités en « négociation », et développer « la gestion des locations ».
Afin de développer le « conseil en général » en milieu rural, certains notaires ont choisi la labellisation « Notaire conseil du monde Rural », d’autres se forment en droit de l’environnement, ou tiennent une veille juridique sur les réformes afin de « conseiller les maires qui sont très demandeurs ».
Dans les territoires où « des communautés étrangères sont séduites par une vie française à la campagne », il semble intéressant de se former au droit international privé.
Qu’est-ce qu’un institut notarial de l’espace rural et de l’environnement ?
Un INERE a pour vocation de « réunir les notaires intéressés par les problèmes du notariat rural et en particulier par les relations avec le monde agricole et désireux de se perfectionner et de développer leurs activités dans ces domaines. Il vise à rapprocher ces notaires de leurs confrères siégeant auprès des structures agricoles ou para-agricoles, d’étudier la législation en matière rurale, agricole et environnementale, d’assurer la formation permanente des notaires, de publier dans toutes revues professionnelles, notariales et agricoles, [enfin] d’assurer un service public de consultations, soit à l’occasion de manifestations locales, soit de manière régulière, le tout sous le contrôle de la chambre ».
Jordan Belgrave
Article initialement publié dans le Journal du Village des Notaires n°74