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Interview de Jean-François Sagaut, Président du 111ème Congrès des notaires.

Interview de Jean-François Sagaut, Président du 111ème Congrès des notaires.

La rédaction du Village des notaires a rencontré Jean-François Sagaut, Président du 111ème Congrès des notaires de France.

A l’heure où la France est à la tête du CNUE avec l’élection récente de Jean Tarrade à la Présidence et l’entrée en vigueur prochainement de la réforme des successions, est ce que le choix de Strasbourg, capitale européenne, pour le 111ème Congrès des Notaires est une coïncidence alors que le notariat franchit une étape supplémentaire dans son développement européen ?

Le choix de Strasbourg n’est pas une coïncidence. Il résulte d’une réelle volonté qui est née d’abord du constat que la garantie de la sécurité juridique n’est pas une nécessité seulement hexagonale. Ensuite, le notariat, qui participe à assurer la sécurité juridique, est connu dans 22 des pays de l’Union. Il y a aussi une mise en exergue par l’entrée en vigueur le 17 août prochain du règlement sur les successions transfrontalières. Ce symbole de la concrétisation de la construction d’une Europe du droit faisait que Strasbourg apparaissait comme une évidence pour donner encore une fois à notre Congrès, qui demeure un Congrès national, une portée et une tonalité qui montrent l’engagement résolu du notariat et du notariat français en particulier dans cette nouvelle dimension européenne.

Cette année le thème du Congrès est la sécurité juridique. Alors que la France est un modèle sur ce point notamment par rapport aux pays anglo-saxons, comment expliquez vous que le gouvernement cherche à le remettre en question avec le projet de loi Macron ?

C’est à tout le moins une source d’étonnement, voire même de désarroi et d’incompréhension, de constater que le berceau du droit continental qu’est la France, qui incarne la sécurité juridique conférée et apportée par l’Etat dans le cadre d’un grand service public, est elle même à l’initiative de ce projet qui ébranle les fondements de notre culture juridique. Il faut avoir conscience que notre modèle est en vive concurrence au plan international avec celui proposé par la Common law. Or on ne peut que se réjouir de voir un nombre grandissant de pays, notamment les pays qui redécouvrent la démocratie, les pays qui redécouvrent la nécessité d’avoir un titrement foncier sécurisé, se convertir à ce mode de fonctionnement plutôt que de choisir le modèle anglo-américain qui repose finalement sur une absence de sécurité juridique conférée par l’Etat autrement que par les Tribunaux. Nous avons un système dualiste qui repose sur deux jambes, d’une part, une justice préventive que nous administrons par une preuve non contentieuse et un devoir de conseil qui est assumé dans le cadre d’un service public prévenant les contentieux et d’autre part, une branche curative qui est beaucoup plus économe en fonctionnement puisqu’elle est sollicitée dans une moindre mesure. Alors que dans le droit anglo-américain, il n’y a pas de volonté de l’Etat d’assumer cette charge de la sécurité juridique organisée et offerte dans un service public en amont. Seul le recours aux tribunaux est organisé et pris en charge, ce qui explique le coût exorbitant de l’administration de la justice dans ces pays. Compte tenu de ce que je viens de rappeler, il est vrai que l’on a du mal à comprendre que ce qui constitue un merveilleux vecteur d’exportation de la culture française et de la culture juridique en particulier, se trouve peut être fragilisé demain par une remise en cause de ces fondamentaux à la faveur de cette réforme. Même le quai d’Orsay semble partager ce point de vue…

Si ce projet de loi venait à entrer en vigueur, est ce que vous pensez que le modèle français s’exportera moins bien et ne sera plus considéré comme une référence ou une source de sécurité juridique ?

Je ne le pense pas. En effet il est important de relever que dans ce projet de réforme, à aucun moment, on ne remet en cause la justification et la nécessité de l’existence d’un notariat en ce qu’il accomplit une justice préventive par ce grand service public de la sécurité juridique. Ce qui est discuté aujourd’hui ce sont les conditions d’exercice par l’accès, par les structures et par le tarif mais jamais le fondement même et la justification sociale du rôle du notaire n’ont été remis en cause. L’Etat français ne remet en aucune manière en cause la nécessité de devoir accomplir encore par le service public de l’authenticité, la sécurité juridique qu’il entend toujours vouloir apporter en amont et à titre prophylactique. La nécessité d’œuvrer pour exporter le modèle que représente le droit continental est fort heureusement aussi le fait d’initiatives des professions du droit et en particulier du notariat dans son émanation nationale, dans sa représentation européenne (CNUE) comme internationale (UNL : Union du notariat latin). Toutes ces forces rassemblées constituent des facteurs d’exportation de la culture française et donc de ce modèle là. Il faut avoir conscience de l’effet que la réforme pourrait avoir de manière induite. En affaiblissant la capacité financière que nous aurons, nous professionnels, à faire des actions collectives menées directement sur le terrain à l’étranger pour promouvoir ce modèle, on risque d’affaiblir sa promotion.

La profession s’est très bien appropriée les outils numériques, quels sont les nouveaux projets sur lesquels le notariat travaille dans le but de renforcer encore la sécurité juridique ?

La profession achève le déploiement de la technologie permettant la signature sur support électronique. L’ensemble des études sera équipé d’ici la fin de l’année avec des clés. Il y a une appropriation de cette conversion à l’ère numérique qui, de mon point de vue, est accomplie et dont nos concitoyens sont très demandeurs, leurs esprits étant totalement convertis à l’immatériel.

Il reste encore à avoir un certain nombre de connexions avec des fichiers puisque les actes notariés sont déjà publiés dans le service des hypothèques par voie dématérialisée et qu’on interroge déjà ces mêmes conservations par ce biais. Mais, il y a un certain nombre de fonctionnalités à finir d’achever.

Pour finir de se convertir à l’ère numérique, il faut se poser la question de ce que nous devons faire du papier qui sert à fabriquer ce qui devient numérique ensuite. C’est un des grands enjeux qui a des conséquences d’un point de vue juridique et de la sécurité. Le support papier a une importance toute particulière et un écho particulier car nous sommes les gardiens de la mémoire des actes, des secrets des familles. Donc le basculement vers le tout numérique où le papier disparaitrait complètement est un vrai passage presque plus psychologique mais qui a des conséquences juridiques.

C’est vrai aussi qu’on a de moins en moins d’appréhension car nous ne rencontrons plus les problèmes apparus lors des premiers temps du basculement sur l’ère du numérique avec des supports qui subissaient une altération dans le temps. On a tous connu des DVD gravés qui n’étaient plus lisibles cinq, six ans après. Aujourd’hui, tout cela est géré au niveau du MICEN avec des équivalents de « cloud sécurisés » hébergés en toute sécurité et assurant une migration au fur et à mesure des données. Pour autant, je pense qu’un des prochains grands chantiers sera la gestion du papier face à la conversion numérique. Ce sont des réflexions qui ne sont pas que notariales mais qui ont une résonance toute particulière pour les notaires qui garantissent de la sécurité et pour longtemps.

Que pensez vous de l’émergence des start up du droit et pensez vous qu’elles peuvent mettre à mal la sécurité juridique ?

La question est effectivement double. Que pense le notaire face à ces initiatives ? Le notaire estime que son périmètre d’action dans lequel il est en exclusivité est la délégation de service public qui est d’accomplir son ministère de l’authenticité, c’est a dire d’offrir à toute personne qui le souhaite le choix d’accéder à une preuve préconstituée non contentieuse qui est incontestable et d’avoir en même temps un service public du conseil qui est un conseil impartial.
Le devoir de conseil, nous l’avons en partage avec d’autres professions, les avocats notamment, mais le notaire n’est jamais le notaire d’une partie, il est notaire du contrat. Le notaire a de manière consubstantielle à son statut une obligation de servir un conseil impartial quelles que soient les parties en cause et quelle que soit celle que l’on assiste plus volontiers. Face à cela, nous offrons un service qui offre cette sécurité et nous pouvons l’appliquer à tous les sujets pour lesquels nous sommes sollicités. Parfois, la loi impose le recours à l’acte authentique en raison de leur gravité.

C’est le cas des contrats de mariage, des donations, des ventes immobilières pour lesquels on estime que les engagements sont tellement importants qu’il faut passer la convention devant un notaire. De manière fondamentale,
l’émergence de ce type de site pose la question de savoir si on est pas en train de faire tomber dans un domaine marchand un conseil qui normalement n’est pas un conseil vendu comme un service ou un produit de consommation. Elle pose aussi la question de la responsabilité de celui qui le dispense et donc le degré de sécurité qu’il entend et qu’il s’engage à apporter. Cela peut être pernicieux notamment par le faux semblant que cela peut créer pour l’utilisateur de ce type de solutions qui peut avoir l’impression qu’il aura la même responsabilité et la même garantie d’un conseil sérieux avec une assurance de responsabilité derrière.

Je trouve que c’est plutôt là qu’il y a un manque de pédagogie ou d’information suffisants. Le plus préjudiciable c’est que ça fait glisser petit à petit le droit et le conseil dans un service marchand puisqu’acheté à l’unité ou à un tarif unitaire comme c’est le cas pour faire la vidange de sa voiture ! C’est là où je crois que le préjudice peut être important. C’est un changement de culture, c’est typiquement une importation du monde anglo-américain dans lequel le droit est vécu comme un service marchand qui peut parfaitement s’accommoder de ce type de tarification et de commercialisation.

Pouvez me dévoiler deux propositions qui seront présentées lors du Congrès ?

Parmi les propositions, certaines seront résolument tournées vers des moyens juridiques pour bâtir une Europe du droit et de l’authenticité c’est-à-dire faciliter et
trouver les moyens pour rendre sûre la circulation des actes notariés en Europe. C’est le cas de façon embryonnaire notamment avec le règlement « Succession » mais on pense pouvoir faire des propositions sécurisées qui faciliteraient une circulation beaucoup plus généralisée et beaucoup plus simple des actes des notaires des 22 pays de l’Union européenne.

Dans un registre plus technique, nous allons évaluer, pour tenter de les réformer, des procédures qui sont venues altérer la sécurité dans le domaine des ventes immobilières. Il s’agit notamment des avant-contrats immobiliers avec l’introduction du droit de la consommation qui aboutit à une surenchère de documents qu’il faut annexer, à une surenchère de droits de rétractation qui fragilisent les engagements contractuels.

Nous allons proposer de considérer que lorsque l’avant-contrat a été reçu par un officier public comme un notaire pour éclairer les consentements, il n’est pas nécessaire d’accumuler l’information et la documentation tant lors de la promesse, que lors de la vente et d’ouvrir des droits tous azimuts auprès de certaines personnes.

Le consentement éclairé par l’authenticité doit recevoir un traitement législatif adapté.

Propos recueillis par Laurine Tavitian

  • Interview de Jean-François Sagaut, Président du 111ème Congrès des notaires.

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