Village des Notaires : De quelle manière le confinement a-t-il influencé votre méthode d’enseignement ?
Mélanie Jaoul : J’ai eu la chance que mes cours d’amphithéâtre de premier cycle se soient achevés exactement la semaine du confinement. Je n’ai donc pas eu à faire de cours dans l’urgence avec 300 à 400 étudiants. Les TD, eux, n’étant pas terminés, je suis restée présente pour accompagner la continuité pédagogique de mes équipes, en relation avec les étudiants en créant des supports écrits et des groupes de discussion. Nous avions également une vision plus directe avec des applications comme Slack pour rassurer les étudiants, expliciter les problématiques, etc.
Pour les Master 2, ayant la charge du second semestre, il a fallu que j’organise beaucoup de cours en distanciel. Cela m’a obligé à donner des supports préétablis et ensuite de faire des cours basés sur les discussions. En distanciel, il est plus compliqué de capter leur attention, mais j’ai aussi remarqué beaucoup d’implication des étudiants. Paradoxalement, sur les évaluations de mes enseignements, les étudiants ont indiqué préférer la période distancielle où ils se sont sentis plus encadrés, plus sécurisés, car on leur demandait d’être plus dans la réflexion.
Au-delà de mes enseignements, j’ai essayé d’organiser des réunions Zoom au moins 1h par semaine pour avoir les retours des étudiants sur leurs cours, sur les problématiques rencontrées quant au diplôme, aux stages. On a instauré un rapport inter-individuel singulier par rapport à une année classique, avec une plus grande proximité.
VN : Avez-vous reçu des recommandations de la part de votre établissement ou de la conférence des doyens en droit et science politique en ce qui concerne l’organisation des prochains examens semestriels ? Pensez-vous qu’il existe un risque de dévaluation (ou de dévalorisation) des diplômes obtenus cette année ?
MJ : La discussion avec l’établissement s’est faite de manière régulière. Ainsi, au niveau Master 2, le doyen nous a donné des recommandations quant à la tenue des examens, en passant par un Moodle avec un support transmis. L’esprit de cette discussion était vraiment axé sur la flexibilité et la confiance car il était important d’évaluer les étudiants dans le respect du cadre réglementaire tout en maintenant le niveau d’exigence.
« La discussion avec l’établissement s’est faite de manière régulière. »
Bien sûr, nous avions une grande angoisse de la valeur du diplôme, en termes de marketing et d’image. Pour éviter une déconvenue, nous avons veillé à ce que les diplômes soient toujours au même niveau voire un niveau supérieur en adaptant les examens, avec des sujets qui font la part belle à la capacité réflexive de l’étudiant. Pour être sûr de limiter les risques de triche, nous avons tous choisi soit des sujets QCM avec un temps limité et des questions différentes, soit des sujets qui valorisent la réflexion.
VN : Un collectif d’enseignants-chercheurs a fait part, dans une tribune diffusée par voie de presse, de leur opposition à un enseignement 100% à distance. La mise en place d’un système hybride, entre enseignements en présentiel et en distanciel, est-elle, selon vous, une solution à exploiter de manière durable ?
MJ : Le présentiel me manque terriblement tout de même. La situation actuelle m’interroge en tant qu’enseignante, et je suis convaincue que ce qu’on apprend là sur le distanciel peut apporter au présentiel. Un autre sujet d’inquiétude concerne les répercussions de l’ambiance anxiogène sur les étudiants et sur leur capacité à s’investir. Même nous, enseignants, n’avons plus de temps pour faire autre chose. Par exemple, cela fait 3 mois que je n’ai pas écrit d’article. Il faut prendre conscience du fait que penser un cours numérique, l’adapter, le faire évoluer et créer de l’interaction prend un temps considérable.
« Le présentiel me manque terriblement tout de même. »
J’ai toujours mis des contenus additionnels sur les plateformes d’enseignement et utilisé des supports numériques en sus de mes cours. Par exemple, j’utilisais Socrative pour les sondages en cours magistraux, et des questionnaires en live en cours. On a tous déjà réfléchi à l’apport du numérique, aux méthodologies inversées, à l’hybridation des enseignements. A mon sens, tout cela doit rester un choix de l’enseignant et s’inscrit dans sa liberté académique laquelle relève de l’essence même de notre statut.
VN : Comment voyez-vous l’organisation de la prochaine rentrée universitaire, particulièrement en termes de gestion de l’aléa sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19 ? Un renforcement du poids des évaluations en contrôle continu est-elle selon vous une piste à explorer ?
MJ : Je ne peux pas m’avancer car la ministre ne parlera pas avant le 15 juin. Les bruits courent que le 100 % présentiel ne semble pas envisagé dans les perspectives. Les universités ont en plus cette problématique de la responsabilité en cas d’exposition au virus de nos étudiants et collègues fragiles, et en même temps le souci d’assurer la continuité pédagogique du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Si le 15 juin, cela se précise, un certain nombre d’universités devront s’adapter sur l’organisation matérielle et dans certains cas, reverront probablement les modalités de contrôle des connaissances notamment pour passer du contrôle terminal à un contrôle continu.
« Nous avons tous le sentiment que face à l’urgence, nous avons essayé de faire au mieux. »
Nous avons tous le sentiment que face à l’urgence, nous avons essayé de faire au mieux, même si passer du présentiel au distanciel, a nécessairement impacté la pédagogie, parfois de manière négative. Un cours numérique ne se conçoit pas de la même manière qu’un cours en présentiel. Cela s’est néanmoins plutôt bien passé dans l’ensemble car sur le terrain, les équipes ont fait en sorte que cela se passe bien. Si l’on passe à la rentrée sur un enseignement 100% distanciel, il conviendra de discuter avec le ministère des moyens mis en place pour accompagner cela. Certains, au nombre desquels je compte, nourrissent la crainte que cela soit un moyen de pérenniser le distanciel et l’hybridation au dépend de la liberté d’enseignement.
VN : Nous avions interviewé en mai Monsieur Jean Quintard, [1] le nouveau président de l’INFN, qui plaidait pour une fusion entre les deux voies de formation initiale des futurs notaires à savoir universitaire et professionnelle. Qu’en pensez-vous ?
MJ : Je n’ai pas d’avis prédéfini sur le sujet et je crois que c’est à la profession et aux instances de penser la formation. Je suis convaincue que les deux formations forment des professionnels compétents et permettent une variété de profils qui constitue un enrichissement pour les études notariales. La seule vraie différence est que durant l’année de Master 2, outre les cours indispensables à la formation notariale, on a le luxe de pouvoir pousser les étudiants à interroger les mécanismes, les grands enjeux du droit et de la profession. On essaie de faire intervenir, à côté des universitaires, nombre de professionnels avocats, huissiers, notaires, universitaires pour leur donner une vision globale. L’avenir de la profession s’oriente vers la délivrance d’un service sur-mesure au client. Au sein de notre master 2 nous avons à cœur de permettre à nos étudiants de mettre en perspective les connaissances acquises durant le cursus, de les décloisonner, et d’appréhender le rôle qui sera le leur.
Propos recueillis par Simon Brenot
pour le Village des Notaires
Notes :