Village des notaires : Existe-t-il aujourd’hui des données sur le niveau moyen de performance énergétique des logements ?
Thierry Delesalle : La question est moins simple qu’il n’y paraît ! L’INSEE a publié des chiffres et fait l’évaluation du parc immobilier français sur un échantillonnage de plusieurs milliers de logements. Il en ressort qu’un quart des logements (26,3 %) seraient, en France, classés F et G, donc des « passoires énergétiques ». Cette proportion monterait à un tiers en Île-de-France (34,5 %). Ces chiffres révélant un état du parc de logements aussi catastrophique nous ont un peu surpris, c’est vrai.
Nous avons donc consulté nos propres bases (Bien/Perval [2]) et nous nous sommes rendu compte que les logements énergivores étaient moins nombreux, en moyenne aux alentours de 15 % en Île-de-France [3] et de 11 ou 12 % au niveau national [4].
Vous allez me demander comment expliquer ces différences ? Il est possible que le parc muté ne corresponde pas au parc des logements dans son ensemble. Mais de tels écarts (du simple au double), restent quand même un peu étranges. Avec les dossiers que nous voyons passer dans nos études, je pense qu’il y a, en réalité, moins de passoires thermiques que ce qui ressort des chiffres de l’INSEE.
Mais il faut aussi garder à l’esprit que toutes ces analyses ont été réalisées avec les anciens diagnostics de performance énergétique (DPE) et que les nouveaux font ressortir beaucoup plus de logements énergivores qu’avant [5]. Les chiffres pourraient donc bien évoluer à la hausse, même s’il est encore bien trop tôt pour pouvoir mesurer cela dans les statistiques.
Justement, l’adoption du « nouveau » DPE [6] a-t-il eu ou va-t-il avoir un impact sur l’évolution des chiffres ?
T. D. : Pour en avoir discuté avec plusieurs diagnostiqueurs immobiliers, il semble que l’opposabilité des DPE, depuis le 1er juillet 2021, soit un facteur d’évolution de la performance des logements. Il résulte en effet de la réforme qu’une erreur dans le diagnostic permet désormais des actions en responsabilité. On pourrait donc assister – comme on l’a vu d’ailleurs dans l’évaluation des surfaces avec la loi Carrez – à une sorte de réflexe de protection de la part de certains professionnels, qui alourdiraient la note en quelque sorte, pour éviter de voir leur responsabilité engagée. C’est en tout cas ce qui m’a été rapporté.
Une deuxième difficulté un peu plus ancienne (depuis 2013 en réalité) et assez inquiétante de mon point de vue, est liée à la qualité des DPE. En principe, depuis 2013, chaque DPE doit être transmis à l’ADEME par le diagnostiqueur qui l’a réalisé et il reçoit en retour un numéro d’identifiant du document [7].
Ce numéro doit être obligatoirement indiqué sur le DPE que nous transmettons au client. Or, lorsque nous faisons l’inventaire des anciens DPE (non opposables donc, mais qui peuvent encore être utilisés ) qui nous ont été transmis, près d’un sur deux n’indiquent pas ce numéro et ne sont donc probablement pas intégrés dans les chiffres officiels.
Les notaires, eux aussi, peuvent agir s’ils constatent des DPE non conformes ?
T. D. : Oui, mais encore faut-il le savoir ! Ne dressons toutefois pas un faux tableau de la situation : la prise de conscience est réelle, mais il faut poursuivre les efforts.
Comme vous le dites, il faut continuer à appeler à la vigilance, les confrères, les agences immobilières, ainsi que les particuliers, et les sensibiliser au fait que sans ce numéro d’ADEME à 13 chiffres, le DPE fourni ne vaut absolument rien. Il n’a pas d’existence juridique et cela peut donc affecter la validité des contrats conclus. Des peines d’amende sont également encourues en cas de manquement (DPE erroné, absence de DPE, absence de transmission du DPE à l’ADEME, etc.).
Que l’on soit le notaire de l’acquéreur ou celui du vendeur, et pour la partie négociation immobilière des études qui ont cette activité, il est donc important à la fois d’alerter et de s’entourer de diagnostiqueurs de confiance, dont on sait qu’ils travaillent bien. Mais on rappelle bien sûr que le notaire ne peut pas être prescripteur du diagnostiqueur et qu’il doit y avoir une indépendance totale entre les deux professions.
Que faut-il penser des recommandations (indicatives) de travaux mentionnées dans les DPE ?
T. D. : Les recommandations de travaux pour améliorer la performance énergétique qui sont formulées, à titre purement indicatif en effet, sont en réalité, le plus souvent, réalisées de manière automatique par les logiciels de DPE. Et elles sont quand même, très souvent, peu réalistes et pas vraiment adaptées à la situation du bien.
Il suffit de prendre l’exemple d’une recommandation d’isolation par l’extérieur pour un logement situé dans un immeuble haussmannien… ou celui d’une préconisation systématique d’installation d’une pompe à chaleur. On ne peut donc que souhaiter une évolution de ces logiciels, afin d’avoir des préconisations pour les copropriétés et des préconisations pour les maisons individuelles qui soient un peu plus pertinentes.
Un autre conseil mérite l’attention d’ailleurs en cas de copropriété, où le règlement de copropriété qui va définir la charge des travaux. Dans certains cas, les portes et fenêtres seront des parties privatives, dans d’autres, des parties communes, etc. Et cela change substantiellement la donne.
Quoi qu’il en soit, nous conseillons à nos clients de demander, lors de l’assemblée générale à venir, à mettre à l’ordre du jour la réalisation des travaux d’isolation (par le toit, la cave, la chaudière collective, etc.). Parce qu’en cas de refus de la copropriété de les réaliser, cela constituera une cause d’exonération de l’obligation mise à la charge des propriétaires-bailleurs dans le cadre de la lutte contre les passoires énergétiques. En pareil cas en effet (refus de la copropriété), l’absence de travaux ne pourra pas être reprochée au propriétaire.
Même s’il n’est pas parfait dans son usage, vous disiez que c’est un instrument utile, y compris pour les notaires eux-mêmes ?
T. D. : Oui, soyons positifs ! Il faut en effet reconnaître que ce DPE est devenu pour nous une mine de renseignements, y compris pour remplir la fiche « Perval » ou la fiche « Bien ». Énormément de renseignements sur les biens ne sont en effet pas mentionnés dans les actes et titres de propriété (date de construction de l’immeuble, superficie, etc.) Or si le DPE est bien fait, nous pouvons facilement récupérer ces informations.
Le DPE bien réalisé est donc en effet un outil précieux, d’autant que le diagnostiqueur s’est rendu sur place. Cela nous permet également de faire des recoupements avec les titres de propriété pour voir s’il y a eu des transformations ou des augmentations de surface par exemple. Le questionnaire vendeur et le DPE – bien réalisé, j’insiste ! – sont des documents dont nous profitons en effet dans le cadre des audits juridiques techniques que nous réalisons, c’est indéniable !
Plus largement, comment les notaires peuvent-ils accompagner leurs clients sur le sujet de la performance et de la rénovation énergétique ?
T. D. : Il y a plusieurs aspects. Tout dépend d’abord si le logement est acheté pour soi ou pour investir.
Dans le premier cas (85 % des acquisitions), la plupart des acquéreurs se soucient en réalité assez peu de la performance énergétique, soit parce qu’ils vont, de toute façon, faire des travaux, soit parce qu’ils considèrent que le jeu n’en vaut pas la chandelle en quelque sorte, en se disant « autant de travaux pour économiser si peu ».
C’est à l’acquéreur de décider bien sûr, mais outre le souci de la préservation de l’environnement en lui-même, il est quand même probable qu’avec l’augmentation du prix de l’énergie, tous ces travaux vont commencer à devenir rentables beaucoup plus rapidement.
Dans le second cas, avec un profil d’investissement, tous les confrères le disent : il faut absolument un DPE nouvelle version, quand bien même l’ancien serait encore valable juridiquement.
Et s’il s’avère qu’il s’agit d’une passoire énergétique (F ou G), il nous appartient d’informer pleinement l’acquéreur de la nécessité impérative de faire des travaux parce qu’en 2025-2028, le logement deviendra « indécent » et l’investisseur ne pourra plus louer le bien sans faire des travaux d’isolation thermique.
Il est aussi important de se renseigner sur le dispositif de MaPrimeRénov’, que ce soit pour un usage personnel du bien ou pour le louer, car il est possible d’obtenir une aide financière assez intéressante.
Pour le reste, sur la meilleure stratégie à mettre en place, elle ne pourra être décidée qu’au cas par cas puisque, sans surprise, tout dépendra notamment du régime fiscal de l’acquéreur/investisseur. Les conseils porteront évidemment sur ce qui permettra d’amortir au mieux le montant des travaux.
Propos recueillis par A. Dorange
Notes :
[1] Voir Marché immobilier en Île-de-France : le bilan 2021 et les projections 2022 des Notaires du Grand Paris
[2] La base Bien, gérée par les Notaires du Grand Paris, collecte, rassemble et traite les données des actes de ventes enregistrés en Île-de-France (https://basebien.com). La base PERVAL recense les informations contenues dans les transactions immobilières notariées et transmises par les notaires en région (www.perval.fr).
[3] Voir not. Notaires du Grand Paris, janv. 2022, Le nouveau diagnostic va-t-il accélérer la lente progression des ventes de logements anciens bénéficiant des meilleurs étiquettes énergétiques ?, Focus immobilier.
[4] Voir not. Notaires de France, oct. 2021, La valeur verte des logements en 2020, Note de conjoncture immobilière n°53
[5] Voir not. le schéma comparatif de modification des seuils proposé par l’Institut National de la Consommation. INC, déc. 2021, Le diagnostic de performance énergétique, Fiche pratique J296, www.inc-conso.fr.
[6] Réforme opérée par la loi dite « ELAN » (L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, JO 24 nov., portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique).
[7] Obligation résultant de la loi dite « Grenelle II » (L. n° 2010-788, 12 juill. 2010, JO 13 juill., portant engagement national pour l’environnement ; D. n° 2011-807, 5 juill. 2011, JO 7 juill.) ; CCH, art. L. 126-32 et R. 126-27.