Des données parcellaires qui montrent de grandes fragilités
Les copropriétés représentent aujourd’hui 10 millions de logements, soit environ un tiers du parc total de logements en France.
Selon les propres termes de la rapporteure Mme Marianne Margaté, « le phénomène des copropriétés paupérisées et en difficulté est massif et, semble-t-il, croissant ».
La première difficulté rencontrée est qu’un flou statistique entoure le nombre exact de copropriétés en France.
Le registre d’immatriculation des copropriétés tenu par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) en recense en effet 572 450 en 2023.
Lire notre article : Le registre des copropriétés, un outil au service de la politique du logement.
En parallèle, selon les propres estimations de l’Anah et du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), actuellement plus de 300 000 copropriétés ne seraient pas immatriculées dans le registre. Le rapport précise que ces défaillances de recensement concernent particulièrement les plus petites copropriétés. À noter qu’une copropriété doit être immatriculée dans le registre afin d’être éligible aux aides de l’Anah pour le financement des travaux de rénovation.
D’autres statistiques sont révélatrices. Pour mesurer l’ampleur des difficultés financières rencontrées par les copropriétés, la Banque des territoires a ainsi estimé que 215 000 d’entre elles ont au moins 20 % de leur budget annuel constitué d’impayés. Par ailleurs, si on se place sous l’angle de la performance énergétique, 35 % des copropriétés auraient un diagnostic de performance énergétique (DPE) de classe F ou G, et selon l’Anah, en Île-de-France, la moitié des logements indignes seraient en copropriété.
Le rapport mentionne que « 58 % des maires indiquent avoir au moins une copropriété en difficulté sur leur territoire et, pour deux tiers d’entre eux, il s’agit d’une question importante ou très importante ».
Les causes identifiées des fragilités
Le rapport précise qu’une copropriété ne « naît pas en difficulté, elle le devient ».
Souvent modestes et vieillissants, les propriétaires n’ont en général pas ou plus la capacité financière d’assumer les travaux de nécessaire remise en état. Le rapport précise que « le parc privé accueille deux tiers des ménages situés sous le seuil de pauvreté, la moitié d’entre eux étant propriétaires occupants ».
Le vieillissement progressif des immeubles aggrave la situation. En effet, plus les travaux de rénovation sont différés et plus leur coût aura tendance à augmenter.
Dans ce contexte, le rapport s’inquiète de l’apparition d’un « cercle vicieux entraînant la dégradation des locaux, la dévalorisation des biens, l’arrivée de copropriétaires plus pauvres et aussi de marchands de sommeil ». Les copropriétés dégradées deviennent ainsi un « parc social de fait », ce qui constitue « l’un des symptômes de la crise du logement et de l’hébergement ».
Le rôle des pouvoirs publics dans la prévention et dans le redressement financier des copropriétés
Le rapport fait le constat que « les outils actuels semblent peu adaptés face à l’urgence de la situation ». Ceux-ci sont « nombreux, parcellaires et donnent l’image d’une mosaïque ».
Le rapport fait au total vingt-cinq recommandations pour améliorer l’efficacité des politiques publiques. Ces recommandations concernent notamment :
- le redéploiement des plans d’actions existants, initialement dédiés aux grandes copropriétés, vers les plus petites copropriétés ;
- le renforcement des instances de gouvernance des copropriétés ;
- le déblocage des moyens financiers nécessaires afin que les copropriétés puissent assumer les travaux leur incombant.
Les apports de la loi du 9 avril 2024
Les pouvoirs publics n’ont pas attendu les conclusions de ce rapport pour agir. Ainsi, au printemps 2024, la loi pour l’accélération et la simplification de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement [1] comporte des mesures qui concernent l’ensemble des copropriétés. Les objectifs principaux de la loi étant d’améliorer leur fonctionnement et de faciliter la réalisation de travaux d’entretien.
Un emprunt collectif s’appliquant à tous
Ainsi, une des principales mesures de la loi est venue assouplir les règles entourant l’emprunt collectif en copropriété destiné à financer les travaux votés en assemblée générale.
Une copropriété peut souscrire ce type de prêt collectif, au nom du syndicat des copropriétaires, pour financer la réalisation de travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien d’un immeuble. Il ne sera plus nécessaire que cet emprunt soit adopté à l’unanimité en assemblée générale. Il pourra désormais être adopté à la majorité des voix.
Un copropriétaire peut tout à fait refuser de participer à l’emprunt. Il doit ainsi indiquer son refus au syndic par courrier, au maximum deux mois après la notification du procès-verbal de l’assemblée générale. Ensuite, il doit verser la totalité de la part du prix des travaux qui lui revient, au maximum six mois après la notification de ce procès-verbal.
La loi précise aussi des dispositions relatives :
- aux informations devant être délivrées aux copropriétaires ;
- à la procédure de recouvrement de charges impayées par un copropriétaire.
Extension du dispositif Denormandie
Rappelons que le dispositif d’investissement locatif Denormandie s’adresse aux investisseurs particuliers souhaitant acquérir un bien immobilier ancien destiné à la location nue. Il procure des avantages fiscaux sous la forme d’une réduction d’impôt sur le revenu, avec en contrepartie la réalisation des travaux de rénovation, notamment énergétiques.
La loi du 9 avril a étendu le périmètre du Denormandie aux copropriétés en difficulté.
Lire notre article sur l’extension du dispositif Denormandie aux copropriétés dégradées.
Les conséquences potentielles des difficultés financières des copropriétés
Les impayés n’ont pas que des conséquences financières à court terme. Si la situation ne se redresse pas, dans les cas les plus graves, l’existence même de la copropriété peut être remise en question.
Ainsi, la réglementation prévoit qu’en cas de fort taux d’impayés ou de graves difficultés pour assurer la conservation de l’immeuble, certaines procédures doivent être enclenchées afin de redresser la situation. La nature de ces procédures varie selon la gravité des difficultés rencontrées. Il existe une gradation des mesures pouvant aller jusqu’à l’expropriation. Ces mesures sont les suivantes :
- adoption des mesures préventives avec retour à l’équilibre financier ;
- en cas de difficultés avérées, retour au fonctionnement normal de la copropriété ;
- mise en place d’un plan de sauvegarde en cas de graves difficultés ;
- déclaration d’état de carence, voire expropriation, en cas de difficultés irrémédiables.
Pour aller plus loin, consulter le rapport « La paupérisation des copropriétés, mieux la connaître pour mieux la combattre. »
Notes :
Axel Masson
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)