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Interprofessionnalité et gestion de patrimoine dans les offices notariaux

Interprofessionnalité et gestion de patrimoine dans les offices notariaux

Nous évoquions dans un récent article, la possibilité, pour les acteurs du conseil patrimonial et notamment les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) de produire des consultations juridiques ou des actes sous seing privé, dans le cadre de la Compétence Juridique Appropriée (CJA). Pour les notaires notamment, cette situation peut permettre une véritable réflexion quant au positionnement de l’interprofessionnalité à offrir à ces professionnels avec lesquels une véritable collaboration à haute valeur ajoutée est possible. L’objet de cet article est précisément d’explorer les bases de cette collaboration interprofessionnelle et le périmètre exact où CGP et notaires peuvent se rencontrer, en matière de conseil et d’ingénierie patrimoniale de nature juridique [1].

Sans avoir la prétention de dater précisément l’origine du mouvement de fond actuel qui tend à faire de l’interprofessionnalité dans les métiers du chiffre et du droit une sorte de modèle incontournable, on peut facilement poser le constat d’un véritable « effet de mode ».

Or, peut-on se permettre de s’amuser de la définition de la page Wikipédia dédié au concept « d’effet de mode » [2], dont l’équivalent en anglais, « bandwagon effect », signifie à peu près « sauter dans le dernier wagon où joue l’orchestre » [3]. Sommes-nous donc aujourd’hui dans une véritable situation panurgique au regard de l’interprofessionnalité, qui, par la force des injonctions croisées qu’exercent les opportunités législatives, les considérations économiques ou les initiatives institutionnelles des ordres, conseils et chambres de référence, poussent les professionnels du droit et du chiffre à se structurer ensemble, autour d’un destin commun plus ou moins formalisé ?

Interprofessionnalité et notariat

Dans la réalité d’exercice de la profession notariale, des outils particuliers sont à disposition, on le sait, et notamment la fameuse SPE, société pluriprofessionnelle d’exercice. Mais ces joint-ventures un peu particulières répondent-elles vraiment à ce qu’attend le client, en termes de souplesse, d’agilité, et de service fluide à 360° ?

On le sait dans la profession, l’ affectio societatis notarial est déjà, à lui seul, tout à fait particulier. Et s’associer simplement entre notaires est déjà un exercice difficile, tant il oblige à cumuler un minimum d’alchimies humaines, avec si possibles des complémentarités techniques. Dès lors, s’associer avec des experts-comptables et des avocats [4], relève de l’effort culturel assez intense, du dépassement des freins institutionnels, et d’un élan sans doute mutuellement un peu fascinatoire.

Lorsque le pas est franchi, la métaphore nuptiale s’impose – notariat oblige ! –, pour envisager les éléments de réussite indispensables à la bonne entente et à la vraie conjugalité.

En principe, l’espace de « vie commune » que représente la SPE, ou tout autre structure de codéveloppement et de co-investissement formalisée, devrait donc offrir une réalité ou chacun abandonne les archétypes de son célibat professionnel antérieur, et de sa seule identité personnelle de métier.

En filant la métaphore plus loin, il serait agréable de penser que chacun consacrera de conséquents et louables efforts pour s’intéresser à l’autre, pour sortir de sa zone de confort, et pour polir ses habitudes afin de les rendre fonctionnelles et propres à la bonne intelligence, dans le cadre quotidien de l’exercice en commun.

La cohabitation entre les professionnels réunis oblige à ce qu’en principe une certaine fusion des mœurs et des usages se produise pour engendrer une famille tournée vers l’extérieur. Mais hélas, après des fiançailles enthousiastes, faites d’annonces au public porteuses de promesses de fertilité et d’efficacité, la réalité révèle parfois [5] plutôt un maintien des activités propres à chacun, avec des rencontres ponctuelles sur des dossiers, mais rarement de vraies normalisations [6] aussi abouties que dans le cadre de fusions d’entreprises « classiques ».

Collaborations interprofessionnelles des CGP

Parmi les sujets sur lesquels il y a matière à interprofessionnalité, le conseil patrimonial et l’ingénierie à développer dans ce cadre, offrent un terrain de prédilection, pour voir travailler ensemble sur un dossier, experts-comptables, avocats, notaires, CGP [7] et consorts...

Il n’aura échappé à personne que le CGP ne relève pas de l’une des professions réglementées visées par les possibilités d’association commune dans les sociétés interprofessionnelles. Sans doute, la structure habituelle de ses rémunérations, en grande partie par des diverses commissions, et la position « commerciale » de son modèle, constituent un frein supplémentaire à la classification même des statuts réglementaires du CGP comme offrant une compatibilité aux exigences légales de la gestion des conflits d’intérêts ou du secret professionnel, dans le cadre de l’interprofessionnalité [8].

Pour autant, le CGP travaille assez régulièrement avec des représentants de ces diverses professions que sont les avocats, les experts-comptables ou les notaires [9]. Il est même assez souvent, un apporteur de dossiers, compte tenu du fait que la largeur de son champ d’intervention auprès de ses propres clients englobe au moins, la fiscalité, le droit civil, le droit des sociétés et la finance.

L’interprofessionnalité entre notaires et CGP, est ici comme ailleurs, évoquée comme un serpent de mer depuis longtemps, avec un vécu de terrain assez peu satisfaisant, et des trajectoires le plus souvent trop parallèles pour représenter le « service 360° » dont le client aurait besoin. Dans le notariat notamment, des initiatives portées par les Chambres des notaires conjointement avec la Chambre Nationale des Conseils en Gestion de Patrimoine (CNCGP) [10], semblent avoir été mises en place actuellement pour faire se rejoindre deux professions (notaires et CGP), en mettant en relation des notaires récemment installés, avec des cabinets de gestion de patrimoine.

Prospective

La piste prospective que nous préconisons est celle d’une création de normes sur-mesure, pour déterminer des périmètres conjoints, en s’appuyant notamment sur des outils digitaux [11] qui permettraient de gérer différentes étapes [12].

Prenons la situation assez fréquente d’un CGP ayant détecté dans le cadre de son suivi ou d’une analyse patrimoniale, un besoin de conseil sur des thématiques de transmission à titre gratuit, de protection civile, d’organisation patrimoniale sociétaire ou d’autres sujets équivalents.

Dans le cadre de bonnes pratiques relationnelles avec un office notarial disposant de l’expertise et de la ressource pour produire une vraie consultation juridique sur ces sujets, il est envisageable pour le CGP, de rédiger et de facturer un premier niveau de conseil, logé dans son étude patrimoniale globale, sur les différentes pistes qu’il détecte, et de préconiser leur exploration, tout en rappelant les limites de son cadre d’exercice au regard de la consultation juridique [13], il peut dès cette étape proposer la délégation de cette mission à l’Office notarial.

Une fois l’office entré en contact direct avec le client, une véritable articulation de la mission de consultation juridique avec ce premier niveau de conseil, s’opérera pour développer la dimension juridique d’ingénierie patrimoniale [14] que seul une profession réglementée du droit peut assumer. Par ailleurs, la mise en œuvre du conseil pourra être proposée à l’issue de cette consultation, si des actes sont nécessaires.

L’interprofessionnalité doit conduire le professionnel du patrimoine à l’initiative de la mission en commun, à se positionner justement comme ce véritable maître d’œuvre du conseil et de l’ingénierie patrimoniale développée entre les différents spécialistes.

L’opportunité commune que représente la collaboration interprofessionnelle entre CGP et notaires [15] sur des missions de conseil, est réelle et porteuse d’une grande valeur ajoutée pour le client, dont le souhait est souvent de conserver un maître d’œuvre global de son dossier, capable de rendre lisible le déroulement de la mission de conseil. Cette collaboration apportera de surcroît au client la possibilité de bénéficier de la mise en œuvre directe de ce conseil par la rédaction des actes ensuite, ce qui n’est pas, pour le coup, qu’une considération accessoire [16]...

Damien Lamothe
Expert en stratégie patrimoniale chez NCA


Notes :

[1nous explorerons les autres thématiques de collaborations interprofessionnelles entre CGP et notaires, notamment l’ingénierie et la gestion financière, ou l’allocation d’actifs, dans un article à venir prochainement.

[3Donc « prendre le train en marche », en attrapant in extremis le dernier wagon, sous-entend que certains esprits indécis finissent par prendre tardivement leur décision en imitant ce que pense ou fait la majorité...

[4Les SPE peuvent être constituées entre des représentants des professions d’avocat, d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de commissaire de justice, de notaire, d’administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle, de commissaire aux comptes et d’expert-comptable.

[5À de notables exceptions près, que nous avons la chance de connaître dans notre groupe d’exercice actuel.

[6Les cadres institutionnels plus ou moins formels se développent autour de la question, comme la charte publiée par le CNB dans le Guide de la SPE.

[7Conseil en Gestion de Patrimoine, terme professionnel peu défini par le droit positif et ne constituant pas un statut réglementaire en tant que tel, mais regroupant souvent les statuts de COA, IOBSP, CIF, et Agent immobilier.

[8Cf. ajout des articles 31-8, 31-9 et 31-10 de Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, ajoutés par l’ordonnance de 2016 même si l’article 31-5, expose que la SPE peut exercer des activités commerciales, mais accessoires.

[9Moins avec les autres professions, telles que commissaires de justice, conseils en propriété industrielle, ou mandataire judiciaire.

[11Il conviendrait pour le notaire de soumettre ses innovations pratiques aux instances de la profession, pour contrôler en cas de doute leur validité déontologique. Dans un temps proche, il est probable que les outils digitaux permettront une gestion de ce genre d’articulation de missions interprofessionnelles, dans une véritable dynamique de maîtrise d’œuvre.

[12Définition des périmètres, Répartition des travaux à effectuer par missions et compétences, Définition de l’organisation à mettre en place, Identifications des coûts, Mise en œuvre des missions, Restitution.

[13En indiquant par exemple dans la partie dédiée de l’étude patrimoniale globale une indication de qualification du conseil juridique donné comme relevant d’un « premier niveau » et en indiquant la proposition d’une délégation de consultation de vérification et d’approfondissement à un notaire, conformément aux dispositions de la loi de 1971. Les lettres de missions respectives des deux professionnels pourront reprendre en miroir cette articulation par des rédactions adaptées.

[14Sur la distinction entre les « conseils patrimoniaux » de nature juridique et « l’ingénierie patrimoniale » de nature juridique, voir D. Lamothe, L’exercice du droit par les conseillers en gestion de patrimoine, www.village-notaires.com

[15Et bien sûr, avec les autres professions réglementées.

[16Un conseil donné, si bon soit-il, ne sera d’aucune utilité si l’on ne peut le mettre en œuvre dans des délais corrects avec un praticien externe, parce que celui-ci refuse d’adhérer, ou ne comprend pas les développements.

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