Laurine Tavitian : Comment le notariat peut-il changer pour mieux répondre à la demande de ses clients ?
Pascal Chassaing : Notre profession change vite depuis 20 ans, même si l’impact de la réforme Macron a, de manière paradoxale mais tout à fait compréhensible, figé depuis 2 ans et demi l’association dans les offices. Et a donc ralenti les ajustements qui s’imposent. Le notariat est, et a toujours été, une profession en mouvement. Cette profession est composée d’un grand nombre d’études de typologies différentes, adaptées aux besoins des différentes zones du territoire. Des offices publics n’en sont pas moins présents partout en France, là où des besoins se font sentir pour la population.
Le notariat continuera à s’adapter au monde actuel grâce à la qualité et à la formation des membres qui le composent, qu’il s’agisse des 10 000 notaires ou des 50 000 salariés qui travaillent au sein des offices. L’augmentation du nombre des notaires contribuera à ce progrès.
La principale mutation en cours est liée à la révolution technologique qui bouleverse nos méthodes de travail, avec la dématérialisation et le travail à distance, et qui permettra de transformer notre relation à la clientèle. Nos clients attendent de leur notaire une plus grande disponibilité, une réponse rapide, un conseil personnalisé, le tout dans la mesure du possible sans devoir se déplacer.
Le schéma traditionnel du « rendez-vous » chez le notaire va donc évoluer profondément. D’ores et déjà la visioconférence est entrée dans nos offices afin de permettre d’échanger plus facilement avec nos clients et avec les notaires de la France. L’acte authentique électronique a considérablement simplifié la « cérémonie » des signatures…
Des plateformes d’échanges entre les notaires et leurs clients se développent, à la fois pour faciliter les relations – les rencontres ne seront plus nécessairement en face à face – et pour donner plus de consistance aux échanges documentaires, ce qui permettra aux notaires de donner des informations et d’en recueillir de la part des clients. La relation sera de plus en plus interactive et participative. Tel est l’enjeu du projet national NOTAVIZ que nous soutenons fermement.
C’est une évolution qui va être inédite par son ampleur et on s’y prépare. Grâce au numérique, le client sera encore plus au cœur de l’office notarial parce qu’il aura un accès plus direct au notaire, à son dossier, au conseil, et à tout ce qui constitue l’activité notariale. Ce passage au numérique est indispensable pour le notaire mais il est extrêmement demandé par le client.
Que pensez-vous de la libéralisation du notariat ?
La libéralisation est l’affiche de la « loi Macron » d’août 2015. Ce n’est pas une libéralisation du notariat à proprement parler car la fonction notariale n’est pas transformée. Elle reste une profession réglementée dont l’installation a été partiellement libéralisée.
L’activité notariale reste inchangée et sa particularité est consacrée par les pouvoirs publics et nos clients, mais c’est la manière dont elle va être exercée par un plus grand nombre de notaires qui évolue.
En soi, une telle évolution peut être facteur de progrès. Le notariat sera une profession encore plus nombreuse, davantage au contact du client, encore plus disponible… Autant de facteurs de croissance !
En même temps, notre profession exige une attention particulière en raison de la nature de de son activité, du service particulier qui est rendu aux clients et dont l’accès a toujours été contrôlé par les pouvoirs publics.
Il n’est pas question de copier la profession d’avocat. Elle ne représente en aucune manière un modèle pour nous. Et il convient de prendre en compte nos responsabilités, notamment financières, avec 600 milliards de mouvements de fonds et 25 milliards de prélèvements fiscaux.
Nous sommes des officiers publics, une étude de notaire est un office public. Il est bien normal que les pouvoirs publics contrôlent l’accès et l’exercice d’une telle profession et que notre activité reste placée sous le contrôle des parquets, avec une délégation partielle pour les chambres.
Qu’il y ait une libéralisation de l’accès est acquis. La manière de la mettre en œuvre, probablement inévitable du fait des termes de la loi, s’avère catastrophique.
La Chancellerie a organisé un système d’horodatage qui a débouché (notamment parce qu’il y avait une totale liberté laissée aux notaires et même aux offices) sur beaucoup plus de demandes que de possibilités effectives de créations de nouveaux offices proposées par la loi.
Or, le système d’horodatage a connu un tel succès qu’est engagé, impérativement et pour chacune des zones de la cartographie, un tirage au sort qui va s’assimiler à une regrettable loterie.
Ce tirage au sort condamnera inévitablement de nombreuses bonnes candidatures de jeunes diplômés disposant d’un réel projet d’entreprise et distinguera des candidatures de hasard avec des installants non préparés.
Nous sommes placés devant une légitime incertitude. Qui vont être les notaires retenus ? Quels seront leurs parcours professionnels ? Quelles pratiques de la gestion d’entreprise vont-ils privilégier ? C’est en cela que nous manifestons une très forte inquiétude et que nous sommes déroutés par cette manière de faire qui a été retenue par les pouvoirs publics.
Quels conseils donneriez-vous à un notaire qui souhaite s’installer ?
Le premier conseil que je donnerais à un candidat qui souhaite créer une entreprise notariale est de construire très rigoureusement son projet d’entreprise. Il doit évidemment le faire en amont de sa décision de créer. Il doit le faire en fonction d’un site précis. L’office notarial est une véritable entreprise. Ce n’est pas un notariat hors sol.
On ne peut envisager de créer un office notarial sans avoir analysé les possibilités de développement et audité les risques. Un notaire dispose de la délégation des pouvoirs publics. La création d’un office obéit à des impératifs particuliers (garantie des fonds clients ; conservations des archives…) qui déborde la seule création d’entreprise.
La création d’un office s’inscrit impérativement dans la durée et la sécurité de cette entreprise, mais aussi en lien avec tout ce qui est constitutif de la fonction notariale. D’où le fait que la création d’un office soit aussi un projet collectif.
Je pense ici à la relation avec les instances de la profession, avec l’autorité judiciaire et à la très grande responsabilité que portent les notaires au regard de la sécurité qu’ils doivent donner tant à leur activité qu’au maniement régulier et efficient des flux financiers. Ceci dans le contexte dématérialisé et mondialisé que nous connaissons, avec la vigilance que demandent de manière bien compréhensible les pouvoirs publics.
Cela suppose une qualité de l’entreprise qui elle-même s’appuie sur le sérieux du montage d’un projet. De la même manière qu’une banque exige un business plan à n’importe quel créateur d’entreprise, nous allons demander à tous ces nouveaux créateurs d’entreprise qu’ils soient très vigilants sur la construction de leur projet. C’est en effet de notre responsabilité collective.
Hormis les formations purement juridiques, quels sont les besoins de formation des notaires ? (gestion d’office, management…)
Il existe dans la profession une ancienne tradition de formation doublée depuis plusieurs années d’une obligation permanente de se former (60 heures de formation obligatoire sur 2 ans).
La formation dans le domaine du droit constitue une exigence permanente pour les notaires en raison des mutations rapides que nous connaissons actuellement. Mais, à côté de ces formations, nous ouvrons, pour les notaires installés et les futurs notaires, des formations qui concernent la direction des entreprises, la gestion des systèmes d’information, la relation client et la dimension économique et sociale de nos marchés.
Il est essentiel que le notaire, qui est un juriste généraliste ou spécialisé suivant les cas, soit aussi un chef d’entreprise qui connaisse et pratique les techniques de gestion et de management d’entreprise. Il est essentiel aussi que ce notaire connaisse les évolutions prévisibles de la société et de l’économie.
C’est pourquoi, la Chambre des Notaires de Paris a organisé un cycle de formation avec l’école HEC Paris, qui connaît un grand succès (près de 250 notaires ont suivi tout ou partie du cycle en 2016).
C’était une formation qui a une nature vraiment différente de tout ce que nous connaissons habituellement, et qui a été très appréciée toutes générations confondues. Les notaires y ont vu une approche nouvelle de leur métier avec du dynamisme, de l’ouverture, et un souci très fort de gouvernance de leur entreprise notariale.
La relation-client a besoin d’être renouvelée avec un regard moderne, fondé sur les exigences de réactivité et de conseil global qui s’imposent de plus en plus.
Nous n’échangeons pas aujourd’hui avec nos clients de la même manière qu’on le faisait il y a 30 ans. Nous savons très bien aujourd’hui que les personnes, particulièrement en Ile-de-France, sont très occupées et qu’elles ont une forte exigence de réactivité et de qualité.
C’est pourquoi, il faut aller à leur rencontre, et il faut y aller par des moyens nouveaux que ce soit par la visio-conférence ou les plateformes.
Il y a également au sein des entreprises ou en partenariat entre entreprises la nécessité de constituer des équipes de travail qui répondent à ce même objectif.
Tous les notaires chefs d’entreprise d’aujourd’hui doivent comprendre qu’au-delà de leur formation professionnelle juridique qui doit rester d’excellence, il y a beaucoup à apprendre de cette formation à la direction des entreprises.
L’innovation fait partie de la formation. Elle suppose une formation interactive, parfois une autoformation.
Nous allons organiser à Paris les « ateliers de l’innovation » pour permettre aux notaires de réfléchir sur leur manière de travailler, leur relationnel avec le client, le numérique…
Nous souhaitons que les notaires associent dans cette démarche leurs collaborateurs pour développer un partage collaboratif au sein des entreprises.
Comment voyez-vous le rôle du notaire évoluer ?
Je vois le rôle du notaire évoluer principalement, toujours dans la durée, comme un
« tiers de confiance » qui va donner un conseil de plus en plus personnalisé et adapté à la situation de chacun, tout en sauvegardant les équilibres liés à la réglementation que le notaire doit faire respecter.
Les clients se rendent souvent chez le notaire pour des questions ponctuelles immobilières, de droit de la famille, des donations etc. Le notaire n’accompagne que les moments stratégiques mais ponctuels de l’existence.
Ils viendront le voir de plus en plus parce qu’il sera un tiers de confiance permanent qui délivre des conseils de court ou moyen terme. L’accompagnement va donc être permanent.
Certes le notaire établit des actes qui portent son analyse du droit et ses conseils, mais je suis convaincu que l’idée de service et de conseil prendra plus de place dans l’avenir.
Pour bien exercer ce service global, il doit acquérir de nouvelles compétences dans une société en perpétuelle évolution.
Dans le Grand Paris, mais aussi dans plusieurs Régions de France, cette ouverture est aussi une ouverture au monde.
Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus sollicités sur des questions de droit international privé, par des binationaux, par des mariages mixtes ou des personnes qui résident en France et à l’étranger.
Voilà un domaine qui va connaître un développement considérable pour la génération qui vient. C’est une opportunité extraordinaire pour nous !
Propos recueillis par Laurine Tavitian
Article initialement paru dans le Journal du Village des Notaires n°61