Comme évoqué, les Sages de la rue de Montpensier ont été saisis par la Cour de cassation [1] d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité constitutionnelle des articles 2, 5, 6-1, 10 et 11 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels [2]. Ces textes précisent les modalités de l’exercice de l’action disciplinaire contre des notaires et de certains autres officiers publics ou ministériels devant le tribunal judiciaire statuant disciplinairement.
Le requérant (notaire) invoque ici une méconnaissance du principe de la présomption d’innocence et des droits de la défense.
Plus précisément, l’argumentation repose sur le fait que les textes ne prévoient pas la notification du droit de se taire lors de la comparution du notaire poursuivi, alors que ses déclarations sont susceptibles d’être utilisées dans le cadre de cette procédure ou, le cas échéant, d’une procédure pénale.
Dans sa décision du 8 décembre 2023 [3], le Conseil constitutionnel rappelle :
- le principe de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 [4] ;
- le droit découlant de ce principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser : le droit de se taire ;
- le champ d’application de ce dernier : ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition.
La notion d’accusation en matière pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme n’est pas loin... [5].
L’apport majeur de la décision est la conséquence qu’en tire le Conseil : les principes et textes sus-évoqués impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.
Cela étant, et c’est ce qui justifie la déclaration de constitutionnalité :
- les dispositions invoquées (ni aucune autre disposition législative) se bornent à désigner les titulaires de l’action disciplinaire, mais ne fixent les conditions selon lesquelles l’officier public ou ministériel poursuivi comparaît devant le tribunal judiciaire ;
- la procédure disciplinaire applicable est (certes) soumise aux exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, elle ne relève cependant pas du domaine de la loi mais du domaine réglementaire, sous le contrôle du juge compétent.
Le grief doit donc être écarté et les dispositions contestées sont déclarées conformes à la Constitution. Il n’en reste pas moins que les droits de la défense en matière de discipline notariale ont été très clairement reconnus !
Rappelons enfin que dans une décision du 23 juin 2023, le Conseil d’État a considéré, à propos d’un magistrat poursuivi disciplinairement, que la QPC soulevée pour les mêmes raisons de défaut de notification du droit de se taire, n’était pas nouvelle et ne pouvait être regardée comme présentant un caractère sérieux [6] : « ce principe [notification du droit de se taire] a seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale ».
Notes :
[2] Dans leur rédaction résultant de l’ordonnance n°2019-964 du 18 septembre 2019. Ord. abrogée par ord. n°2022-544, 13 avr. 2022, JO 14 avr.
[4] « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi »
A. Dorange
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)