Le décret du 3 juillet 2024 [1] autorise les Commissaires de justice depuis le 1er septembre à exercer des missions d’intermédiation immobilière à titre accessoire. Pouvez-vous nous rappeler la définition d’une « activité accessoire » pour les Commissaires de Justice ?
Benoît Santoire : Depuis toujours, les Huissiers de Justice ont été autorisés à exercer, en parallèle de leur activité principale, des activités dites accessoires, limitativement énumérées à l’article 20 du décret du 29 février 1956 pris pour l’application de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
Le décret du 10 décembre 2021 a naturellement prévu que le Commissaire de Justice pourrait également exercer ces mêmes activités. À savoir, Médiateur, Agent d’assurance ou Administrateur d’Immeubles qui comprend les activités de gestion locative et syndic de copropriété et désormais celle d’intermédiaire pour parvenir à la vente des biens immobiliers préalablement gérés.
Il appartient à chaque Commissaire de Justice de déclarer à sa Chambre régionale et au Parquet Général de la Cour d’Appel du ressort de son Etude les activités connexes et complémentaires qu’il souhaite exercer, sous leurs contrôles. Ces activités étant, par nature, commerciales et soumises au bénéfices industriels et commerciaux, elles doivent être exercées dans un cadre juridique distinct de l’Office public et ministériel, selon les prescriptions mêmes de l’administration fiscales.
A ce jour, nous dénombrons près de 1300 commissaires de justice qui exercent les activités de location et gestion locative, 500 celle de médiateur, 200 celle de syndic de copropriété et moins de 50 celle d’agent d’assurance.
Pour les activités immobilières notamment, cela répond à un véritable besoin exprimé par notre clientèle, nos confrères qui exercent ces activités étant principalement installés en zones rurales, semi-rurales et péri-urbaines où la présence des autres acteurs de l’immobilier est quasi inexistante ou faible.
Nous ne sommes pas les seuls à pouvoir exercer des activités accessoires et complémentaires, notamment l’intermédiation immobilière. Les Avocats, les Géomètres-Experts mais aussi, bien évidemment, les Notaires pratiquent déjà ces activités. Dans un souci d’équité, l’Autorité de la concurrence a considéré qu’il était essentiel d’aligner nos différents statuts sur ce point.
Le marché immobilier est actuellement assez tendu. Ne craignez-vous pas que les autres acteurs de l’intermédiation voient votre arrivée sur ce marché comme une nouvelle concurrence ?
B. S. : De tous temps, le marché de la transaction a été très fluctuant. Il est actuellement encore tendu dans certaines régions, non pas en raison d’une baisse de l’offre et de la demande mais plutôt en raison des difficultés que rencontrent les acquéreurs à obtenir des financements ou pour les propriétaires à vendre des biens présentant des performances énergétiques médiocres.
Le marché de la location est également tendu dans les grandes agglomérations, parfois en raison d’une perte de confiance des bailleurs dans l’investissement en immobilier locatif. La crainte du squat, de l’impayé de loyers ou des dégradations locatives freinent de nombreux propriétaires à mettre leurs biens sur le marché de la location.
Le droit de l’immobilier se complexifie chaque jour, et pourtant seulement 40 % des propriétaires bailleurs font appel à un professionnel de l’immobilier pour les accompagner en gestion locative. De même, près de la moitié des transactions immobilières se concluent en direct et sans intermédiaire.
Et pourtant il existerait 84.000 agences immobilières et 48.000 mandataires immobiliers qui ont connu sur les dix dernières années une augmentation de 75 % de leur chiffre d’affaire. Certes, l’année 2023 a connu une baisse d’activité de 21 % mais consécutivement aux années 2021 et 2022 extrêmement favorables au secteur.
Il y a donc encore une très belle perspective de développement pour tous les acteurs du marché, sous réserve de proposer un service de qualité à cette clientèle potentielle.
Les particuliers auront de plus en plus besoin d’être accompagnés et conseillers et notamment au plan juridique.
Les Commissaires de Justice ont déjà l’habitude de collaborer avec tous les professionnels du secteur et sauront également, dans le cadre de l’intermédiation immobilière, conclure des partenariats avec eux, dans l’intérêt de nos clients respectifs.
Les Commissaires de Justice devront-ils s’inscrire auprès des Chambres de commerce et d’industrie (CCI) pour obtenir une carte de « Transactions » (« T ») et/ou de Gestion locative (« G ») ?
B. S. : De même que les Notaires, les Commissaires de Justice sont des Officiers publics et ministériels, soumis à une formation initiale et continue particulièrement exigeante.
Statutairement, nous ne sommes pas soumis à la Loi Hoguet du 2 janvier 1970. L’Huissier de Justice, devenu désormais Commissaire de Justice exerce, rappelons-le, depuis 1956, soit bientôt 70 ans, des missions en matière immobilière selon des règles professionnelles et déontologiques parfaitement établies et transparentes.
La profession d’Agent immobilier s’est d’ailleurs largement inspirée de nos professions lors des différentes réformes et notamment celles issues de la Loi ALUR et la Loi ELAN pour encadrer et réglementer le métier d’Agent immobilier (comptabilité séparée, compte affecté aux fonds clients, formation initiale et continue, inspections annuelles, code de déontologie, panonceaux….).
Il convient de rappeler que les activités d’entremise et de gestion immobilière, tant à la location qu’à la vente étaient exercées par le passé, par les Notaires et les Huissiers de Justice, bien avant la création du métier d’Agent Immobilier en 1970.
Les Commissaires de Justice qui souhaitent exercer une ou plusieurs activités accessoires doivent au préalable procéder aux formalités déclaratives auprès de leur Chambres Régionales et auprès du Procureur Général dont ils dépendent. Ils seront également assurés de plein droit par le Service des assurances et des risques professionnels de notre Chambre Nationale. Ils feront l’objet d’une inspection annuelle tant au plan comptable que de la pratique professionnelle et du suivi de leur formation continue obligatoire.
Nous pouvons désormais faire état de notre qualité d’Officier public et ministériel et cela représente une garantie supplémentaire et essentielle pour nos clients.
Avez-vous estimé le chiffre d’affaires potentiel généré par cette nouvelle activité ?
B. S. : Comme pour toute nouvelle activité, il est difficile de réaliser des projections tant le marché est fluctuant et que la réforme est entrée en vigueur il y a seulement quelques jours.
Comme, vous l’avez rappelé à juste titre, il s’agit d’une activité accessoire et donc complémentaire de nos activités principales. Tous nos confrères n’exerceront pas cette activité. Certains y trouveront très certainement un levier de croissance.
Nous sommes convaincus que cette nouvelle activité sera l’occasion pour nous de nouer ou renforcer des partenariats avec les Notaires, les Agences immobilières et les Diagnostiqueurs pour mettre en commun nos savoirs faire et nos expertises réciproques, dans l’intérêt du consommateur.
Ce que nous pouvons affirmer c’est que notre profession va continuer de se donner les moyens d’exercer les activités de gestion locative, syndic de copropriété et désormais d’intermédiation immobilière dans les meilleures conditions. De nombreux modules de formations, initiale et continue, sont déjà programmés. Les outils informatiques et numériques, le réseau, l’identité visuelle et la communication sont déjà opérationnels.
Quels services peut apporter le commissaire de justice en termes d’intermédiation immobilière ?
B. S.:Les Commissaires de Justice sont parfois les interlocuteurs de la dernière chance. Il nous arrive bien souvent de prendre des biens en gestion à la suite d’une location qui s’est mal déroulée et qui s’est parfois soldée par une procédure judiciaire.
Nos clients ne viennent pas chez nous par hasard, c’est bien souvent un choix délibéré de faire gérer son patrimoine par un Commissaire de Justice. Ils nous font confiance.
Il était donc naturel et légitime de pouvoir les accompagner jusqu’à la vente des biens confiés en gestion quand ils souhaitent réaliser leurs actifs.
Le Commissaire de Justice est avant tout un juriste de terrain. Il saura analyser la nature du bien et ses particularités, informer le vendeur des formalités et obligations qui lui incombent, l’éclairer sur les résultats des diagnostics techniques immobiliers et prendre les mesures nécessaires.
Le Commissaire de Justice est doté de tous les outils numériques et saura promouvoir les biens qui lui sont confiés à la vente au travers des portails immobiliers, des visites virtuelles et par drones et des réseaux sociaux.
Le Commissaire de Justice est également un médiateur au quotidien. Il sera à même de négocier et rapprocher vendeur et acquéreur dans une transaction équilibrée et garante des droits de chacune des parties.
Le Commissaire de Justice est enfin un spécialiste de la procédure et saura réunir les pièces nécessaires pour transmettre un pré-dossier de vente complet et de qualité au Notaire qui sera chargé de la rédaction de l’avant contrat et de régulariser la vente.
Là encore, les Notaires et les Commissaires de Justice ont des perspectives pour accroître leurs synergies, comme nous l’avions exposé lors du dernier Congrès de Deauville.
Pour aller plus loin : communiqué de presse du 3 septembre 2024 de la Chambre des Commissaires de justice
Notes :
Propos recueillis par Axel Masson
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)