Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) a publié en février 2024 un rapport intitulé « Projection du trait de côte et analyse des enjeux au niveau national » qui estime les conséquences de l’érosion sur le patrimoine bâti français à horizon 2050 et 2100.
Un phénomène ancien dont les causes sont multiples
Le phénomène d’érosion des côtes est ancien, mais semble prendre plus d’ampleur ces dernières années. En 2007, l’Institut français de l’environnement (IFEN) [1] s’intéressait déjà à l’érosion des côtes françaises.
L’érosion côtière peut avoir des causes naturelles telles que les vagues, le vent, les courants marins et la nature géologique et morphologique des côtes. Elle peut être également favorisée par les activités humaines qui, pour certaines, viennent bouleverser les grands équilibres naturels.
Citons quelques chiffres marquants issus de l’analyse de l’IFEN :
- 24 % du littoral métropolitain recule du fait de l’érosion marine, soit 1 723 km de côtes sur un total de 7 124 km ;
- les côtes sableuses sont surtout concernées puisque 48 % d’entre elles reculent, soit un total de 1 153 km (deux tiers de l’ensemble des côtes) ;
- dans les départements du Pas-de-Calais, de Seine-Maritime, des Pyrénées-Atlantiques et du Gard, plus de la moitié du littoral recule ;
- concentration des risques dans les zones urbanisées (tissu urbain, zones industrielles et commerciales, ports et voies de communication) qui représentent 23 % des terres situées à moins de 250 m des côtes en recul ;
- des menaces sur les milieux naturels, eaux de surface et zones humides qui occupent plus de la moitié des terres situées à moins de 250 m des côtes en recul.
Les conséquences de l’érosion côtière en 2050 et 2100
Le rapport du Cerema présente deux scénarii à moyen et long terme : le premier concerne les effets de l’érosion en 2050, le second concerne ses effets en 2100.
Le scénario pour 2100 présente des impacts majeurs sur l’ensemble bâti et des infrastructures. Le centre a choisi délibérément de retenir des hypothèses de calcul très défavorables : disparition complète des structures de défense côtière et inondation progressive de toutes les zones topographiquement basses du littoral (en lien avec la hausse concomitante du niveau de la mer).
Impact sur les logements
Logements concernés par l’érosion côtière à horizon 2050 et 2100
Source : Cerema
Selon ses calculs, le Centre estime qu’en 2050, environ 5 200 logements pourraient être concernés par le recul du trait de côte et 450 000 en 2100.
Estimation de la valeur vénale des logements concernés par l’érosion côtière à horizon 2050 et 2100
Source : Cerema
La valeur économique des logements concernés par l’érosion côtière atteindrait 1,1 milliard d’euros et dépasserait les 85 milliards d’euros en 2100.
La base DV3F (demande de valeurs foncières enrichies) [2] a été utilisée par le Centre pour estimer la valeur vénale de l’ensemble des bâtiments situés dans les espaces potentiellement impactés. Elle concerne les données de prix constatés entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2021. Il s’agit d’estimations aux prix réellement constatés et non projetés dans le futur.
Autres bâtiments et infrastructures
Locaux d’activités concernés par l’érosion côtière à horizon 2050 et 2100
Source : Cerema
Les locaux d’activité sont, comme les logements, concernés par le phénomène d’érosion.
Estimation de la valeur vénale des locaux d’activité de bureaux et de commerces potentiellement atteints
Source : Cerema
Pour les entreprises, l’impact économique, relativement mineur en 2050, dépasserait les 7,5 milliards d’euros en 2050.
Pour les équipements publics, 97 seraient potentiellement concernés en 2050 (une trentaine d’enceintes militaires, une dizaine de bâtiments religieux, de huit bâtiments d’école primaire et une station d’épuration). Environ 10 000 bâtiments de diverses fonctions seraient impactés en 2100. L’estimation de la valeur de ces biens publics n’a pas été évaluée dans le rapport.
Certaines infrastructures routières et ferroviaires seront également touchées. En 2100, 1 750 km de routes et 245 km de voies ferrées seraient à risque.
Les enjeux pour la société et les notaires
Les impacts sociaux et économiques sont susceptibles considérables à long terme. De nombreuses questions sont soulevées par le phénomène d’érosion côtière :
- sur quelle base et comment indemniser ?
- à quel endroit relocaliser les personnes physiques et les entreprisses en cas de réalisation effective du risque ?
- quel impact sur la délivrance de permis de construire dans les zones potentiellement concernées ?
- quel avenir pour les marchés immobiliers des zones concernées ?
- faut-il appliquer un strict principe de précaution en agissant dès maintenant ? Quelle politique d’aménagement du territoire mener dans ce contexte ?
La balle est bien évidemment dans le camp des politiques puisque des décisions (douloureuses) devront être prises.
Le Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs (FPRNM), également appelé « fonds Barnier », a été créé en 1995 [3] avec pour but initial de financer les indemnités d’expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur. Actuellement, le fonds ne couvre pas le risque associé au recul des côtes.
Un rapport de novembre 2023 réalisé par l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) et l’Inspection générale de l’administration (Iga) [4] donne des pistes avec la mise en place d’un « fonds de solidarité nationale » pour gérer le risque d’érosion. À noter, ce fonds exclurait la solidarité nationale « dès lors que l’achat du bien a été effectué en toute connaissance du risque d’érosion » et orienterait la solidarité nationale « vers les seuls propriétaires occupants de résidences principales ».
Les notaires seront bien évidemment concernés par le risque d’érosion côtière.
D’ailleurs, le 120e congrès des notaires traitera la question de l’« Urbanisme durable : accompagner les projets face aux défis environnementaux ». L’occasion d’évoquer le sujet de l’érosion côtière ?
Pour aller plus loin, consulter le rapport du Cerema.
Notes :
Axel Masson
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)