Pouvez-vous nous rappeler ce que sont les cryptoactifs et quels sont les enjeux pour régler une succession avec ce type d’actifs patrimoniaux ?
Fréderic Fortier : Les cryptoactifs comprenant notamment les cryptomonnaies désignent les actifs virtuels fonctionnant de manière décentralisée, c’est-à-dire sans l’intervention de banques centrales ou d’États, par conséquent sans cours légal. Ils sont acceptés comme moyen de paiement et reposent sur le procédé technologique qu’est la blockchain. Il s’agit d’actifs définis par le Code Monétaire et financier au même titre que les « NFT », les jetons non fongibles qui sont des objets informatiques reposant sur la même technologie. Le principal enjeu pour régler une succession comportant ce type d’actifs est celui du recensement ou comment ne pas omettre ces derniers dans le patrimoine du défunt et de la difficulté de les transférer aux héritiers en l’absence des clés de chiffrement ou identifiants.
Quels sont les outils actuellement accessibles aux notaires pour effectuer le recensement et la valorisation de ces crypto-actifs lors du règlement de la succession ?
F. F. : La valorisation n’est pas véritablement une problématique puisque tout est tracé et chiffré dans le temps. Comme indiqué dans votre question, le recensement est le véritable sujet et il n’y a pas encore d’outil dédié pour la profession comme les fichiers FICOBA ou FICOVIE pour les produits bancaires ou assurantiels. Rappelons les modes de détention possibles de ces cryptomonnaies : par une plateforme d’échange (type Coinbase) avec des identifiants basiques, par le biais d’une clé privée (« cold wallet » type ledger) ou enfin au moyen d’une série de mots (12 ou 24 mots, « hot wallet »).
À votre connaissance, des confrères ont-ils déjà été confrontés à cette problématique ?
F. F. : Dans la mesure où, à date, seulement 10% des Français sont concernés et 70% des détenteurs de cryptomonnaies ont moins de 45 ans, les cas d’usage son objectivement rares. Toutefois oui, cela commence à se produire chez des confrères… Des héritiers ayant connaissance d’un patrimoine virtuel du défunt mais ne disposant pas des identifiants ou des mots de passe ! Malheureusement, la sanction est rude : la perte du patrimoine.
Le Conseil supérieur du notariat a-t-il élaboré une doctrine ou un guide à l’usage des notaires sur le sujet ?
F. F. : Il n’y a pas de guide sur le sujet, mais un principe propre à la gestion de patrimoine, celui de l’anticipation. Il faut absolument que les porteurs de tels actifs s’interrogent sur la transmission de ces actifs en cas de décès. Pour ce faire, le tiers de confiance prend tout son sens. Soit virtuel à travers un prestataire informatique labellisé assurant une sécurisation de la donnée, soit humain par le biais d’un notaire au travers d’un testament mystique dans le contenu n’est pas révélé avant décès ; la confidentialité serait ainsi pleinement assurée.
Que recommandez-vous à une personne ou client qui possèderait ce type d’actifs dans son patrimoine ?
F. F. : Les crypto-actifs s’inscrivent la plupart du temps pour leurs détenteurs comme des placements financiers, avec une forte volatilité. Dès lors que ces investissements ne sont pas appréhendés à très court terme (et donc potentiellement perdus en cas de décès), il convient de réfléchir très concrètement au mode de détention souhaité ainsi qu’aux modalités de transmission de ce patrimoine virtuel. Le notariat se doit d’être moteur dans la délivrance de cette information, en proposant des solutions concrètes et sécurisées. Le phénomène n’en est qu’à ses balbutiements.
Notes :
[1] [INTERVIEW] Successions et crypto-actifs : « La pratique notariale ne pourra pas passer à côté de cette virtualisation du patrimoine. » (Me Frédéric Fortier, notaire).
Propos recueillis par Axel Masson
Rédaction des Experts du Patrimoine (Village des Notaires)