Vous proposez la création d’une société libre. Il s’agirait en quelque sorte d’une société « à la carte », avec un ajout assez libre de clauses à un unique modèle social servant de base.
N’y a-t-il pas un risque d’"usine à gaz" et d’augmentation des risques si l’on ne maîtrise pas l’articulation des règles ? Dès lors, est-ce que cela n’oblige pas à passer exclusivement par des professionnels du droit pour la constitution des statuts ?
Alexandre Thurel : Le constat initial est qu’il y a des choses qui peuvent intéresser, tantôt dans la SARL, tantôt dans la SAS ou dans d’autres formes sociales. Pour des raisons inexpliquées, il n’y a pas de modèles suffisamment souples et satisfaisants qui permettraient d’allier les avantages de chacun ou en tout en cas de faire le choix dans les clauses les plus adaptées au projet.
Actuellement, 66 % des nouvelles structures se créent sous la forme de SAS ? Mais ce choix est parfois fait pour de mauvaises raisons. Certaines choisissent cette forme pour le modèle social ; d’autres le font parce que l’intervention de leur conjoint n’est pas nécessaire pour opter ou non pour la qualité d’associé. En outre, pourquoi ne pourrait-on pas, pour une certaine période, vouloir être à l’IR plutôt qu’à l’IS. Pourquoi ne peut-on pas avoir une coprésidence en SAS, alors que la cogérance est possible en SARL ? La question de l’interférence du droit des régimes matrimoniaux pose aussi énormément de difficultés.
Face à ce constat, nous avions deux options.
La première : tout re-nettoyer. Mais ce serait créer un problème d’application de la loi dans le temps, puisque deux modèles auraient co-existé, les SARL et les SAS « avant congrès », et les SARL et SAS « après congrès ».
La seconde, que nous proposons, avec une société libre, dont on fournirait un canevas, un squelette de base et auquel nous pourrions ajouter les stipulations adéquates et adaptables.
Il s’agit donc d’avoir toute liberté pour créer une société qui correspondrait parfaitement aux besoins de l’entrepreneur, de son entourage, de ses salariés, du business lui-même, etc. ?
A. T. : Exactement. Et éventuellement de pouvoir modifier tout aussi librement a posteriori, parce que la société évolue. Pour un projet entrepreneurial qui est « embryonnaire », pourquoi est-on obligé d’être à l’IS dès les premières années, alors qu’il y a peu ou pas de résultats et que, finalement, l’IR serait peut-être plus adapté ?
Pourquoi ne pourrait-on pas repasser à l’IS plus tard, et éventuellement permuter à nouveau ?
Pourquoi ne pourrais-je pas opter pour le régime social des travailleurs non-salariés (TNS) plutôt que celui des salariés ?
Il s’agit donc de faire en sorte qu’il y ait un outil adapté aux besoins de la société et que l’on ne soit obligé d’enfermer les entrepreneurs dans un carcan sinon irréversible, du moins complexe et coûteux à modifier.
Cela ne va-t-il pas à l’encontre de l’offre faite par des sociétés privées, notamment de la legaltech, qui proposent de faciliter et d’automatiser la création de statuts ?
A. T. : Il est vrai que la société libre serait un outil qui, par définition, ne serait pas adapté à la legaltech, puisque, techniquement, elle nécessitera du conseil, de l’ingénierie et de la stratégie. Mais il pourra être utile aux avocats, aux experts-comptables, aux notaires, etc. qui prodiguent des conseils à ce titre.
Et en termes de coût (votre « question qui pique » suivante ?! ), je pense que comparativement au coût des statuts proposés et frais de parution sur Internet aujourd’hui, on n’est en réalité très loin de ce que peuvent facturer certains professionnels. Dès lors, pourquoi se priver de leur conseil ? Au demeurant, faire faire des statuts par une legaltech et consulter ensuite un avocat ou un notaire pour défaire l’ensemble et faire évoluer une société coûte finalement bien plus cher...
La société libre a été plébiscitée par la profession à 89,6 %. La Rédaction vous en dit plus ici.
Autre proposition, le certificat de conformité juridique et éthique. Les notaires, comme d’autres professionnels du droit qui s’emparent de la question de la RSE, ont-ils une vraie carte à jouer ou est-ce une opportunité « business » ?
A. T. : Nous avons une véritable carte à jouer. Le but n’est pas de faire du business, il s’agit de répondre à un besoin. Pourquoi ? La RSE connaît un peu le même engouement que, par exemple, l’ISO 9001 (management de qualité) il n’y a pas si longtemps. Il ne suffit pas de dire qu’on fait de la RSE, il faut que cela soit vérifiable. C’est le premier point.
Le deuxième point, c’est que beaucoup de sociétés sont en danger pour défaut de conformité. Dans nombre de sociétés par actions, on se contente des ordres de mouvement sur le registre des titres (RMT), sans vérifier l’origine de la propriété. Pour autant, le cédant a-t-il reçu les titres par donation, par succession ? Avait-il besoin de l’accord de ses cohéritiers pour la cession ? Il y a une certaine instabilité à cet égard, dont les gens n’ont pas forcément conscience.
À l’instar du commissariat aux comptes qui atteste des bilans par exemple, il serait donc pertinent de délivrer un certificat qui validerait la « conformité juridique ». L’idée serait d’attester que les statuts sont mis à jour et, par exemple, conformes à ce que l’on peut attendre des statuts de SARL ou de la SA, que l’origine de propriété des cédants est valable, etc.
Ce certificat permettrait notamment de rassurer les banques, les fonds d’investissement dans le cadre de certaines opérations. Cet outil de notation nous paraît essentiel ; le notaire a particulièrement vocation à intervenir dans ce domaine en tant qu’officier ministériel exerçant une mission de service public.
Propos recueillis par A. Dorange
Retrouvez le détail des propositions évoquées en cliquant sur les images ci-dessous :
Retrouvez l’intégralité des propositions du 118e Congrès des Notaire de France ici.